Normaliser la radicalisation

Dans la panique sécuritaire qui a suivi les attentats de janvier, certains choix iconographiques interrogent. Outre le clip de sensibilisation adressé aux jeunes, le gouvernement a choisi de lutter contre la radicalisation à travers un panneau d’avertissement à destination des proches, composé dans le langage normalisateur de la signalétique. Comme un tableau d’articles interdits à bord d’un avion, divers comportements se voient ici transformés en pictogrammes, qui opposent une conduite “normale” (manger de la baguette, écouter de la musique, regarder la télévision, aller à la piscine, porter des vêtements sexy…) à une conduite déviante.

radicalisation-djihadiste

En instituant une véritable police des comportements (déjà esquissée par les lois sur le voile), ce tableau suggère, par son style graphique, la généralisation d’une radicalisation qui ne concerne dans la réalité que quelques dizaines d’individus. En d’autres termes, on voit ici une instance gouvernementale s’inscrire dans le sillage d’une vision extrémiste, et alimenter les fantasmes d’“ennemi intérieur” ou de “choc des civilisations” qu’illustrent les couvertures de magazines de la droite dure. Des conseils aussi génériques peuvent-ils avoir une quelconque efficacité en matière de terrorisme? On peut en douter. Ils jetteront en revanche le soupçon sur des groupes ou des conduites qui ne présentent aucune forme de dangerosité.

14 réflexions au sujet de « Normaliser la radicalisation »

  1. Le clip gouvernemental, en reprenant les mêmes codes que les vidéos des djihadistes qu’il entend combattre, ne fait que se mouler dans la même forme de ce discours tout en lui donnant encore plus d’écho.

    Quant aux pictogrammes, destinés sans doute aux malvoyants et malentendants, ils sont d’un ridicule achevé (si l’on ose dire) : la « délation » qu’ils sont censés déclencher (« oh là là, ma fille ne va plus au cinéma ! ») montre, plus que le petit bout d’une « police de la pensée », l’aveuglement et les oreilles bouchées des responsables de ces pauvres dessins grossiers – rendez-nous Charlie Hebdo !

  2. Ce que je trouve le plus choquant, ce sont les messages sous-jacents qui émergent de ces pictogrammes, sur ce que serait « la norme française » : Une famille hétérosexuelle, avec un enfant (mâle de préférence) et une société où les jeunes filles portent des robes (décolletées).
    La nourriture est, symboliquement, représentée par la baguette française, c’est peut-être ça le plus fort… Comme si le processus de radicalisation était un processus de rejet de la France. Je ne pense pas que cela soit le moteur premier ou principal, et je ne pense pas que cela soit bon de le mettre en avant.

  3. La réaction est bien consensuelle face à des outils de propagande comme la création d’un jeu vidéo « djihadiste » basé sur une émulation de GTA (en cours, le trailer est facilement accessible sur le net)

  4. Je ne sais plus si je dois rire ou pleurer du grotesque de notre époque. Rire, par la présomption de débilité et l’infantilisation des gens à qui elle s’adresse, pleurer, parce que tout comportement déviant doit être surveillé, analysé, dénoncé par les mêmes qui se moquaient de l’URSS. Donc en gros, toute révolte adolescente peut-être considérée comme suspecte et monstrueuse. Toute démarche personnelle visant à ne pas gober tout ce qu’on nous impose, fuir la société marchande, devient potentiellement criminelle. Et le plus pervers dans tout ça, c’est que c’est au nom de la démocratie qu’on criminalise l’esprit critique, et la remise en question des normes…

    On marche sur la tête… Tout le vocabulaire n’est que fausse monnaie… Tout est fait pour la confusion maximale des esprits, et le perpétuement du djidahisme, et autres conduites sectaires très utiles pour maintenir la fiction permettant à ceux qui possèdent les leviers de pouvoir de les maintenir avec l’assentiment de la majorité silencieuse inquiète et éprise d’ordre.

  5. Je crois que le plus bouffon est la fébrilité finale dans le message du bandeau inférieur. Un peu comme une porte au-dessus de laquelle on aurait inscrit « ISSUE DE SECOURS (peut déboucher sur le placard à balais) ».

  6. Lu dans le forum des lecteurs du magazine Le Vif/Express Le Vif/L’Express no. 5 de 30/01/2015

    Radicalisation et maladie mentale

    Je me demande s’il ne faudrait pas aussi convoquer le discours de la psychiatrie pour expliquer la radicalisation de certains jeunes et leur transformation en candidats terroristes. Il ne s’agit pas bien entendu d’excuser leurs comportements mais de comprendre une partie du phénomène pour y trouver des solutions adéquates.
    Les symptômes d’un début de radicalisation recouvrent pour une large part les symptômes de la schizophrénie et en premier lieu l’âge, le retrait social, le discours incohérent, la violence en période aiguë, la drogue. Les candidats au radicalisme concernent souvent des individus qui se situent à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Ils sont souvent issus de familles d’un islam modéré ou de familles athée, chrétienne et même juive, d’après un spécialiste interrogé par France 2. I1s se retirent de toute vie sociale et se mettent en retrait de leur famille ou de leurs amis pour se recréer une nouvelle famille hallucinée dans une espèce de délire collectif. L’individu perd tout sens empathique envers la souffrance des autres, ce qui est montré en suffisance par l’actualité. Le discours théorique tenu sur les textes par ces radicaux n’a de logique que pour eux et n’a aucune construction pour tous les spécialistes de la religion musulmane. Ils prennent deux ou trois éléments du Coran et construisent tout un discours hermétique qu’ils sont les seuls à comprendre, presque comme un métalangage. Ils s’autoradicalisent via les sites de propagande en considérant qu’il y a un appel quasi personnel à partir pour la Syrie ou d’autres pays de radicalisation. […]
    Le début de la radicalisation qui se fait seul dans sa chambre en se connectant à des sites Web peut, à mon sens, s’expliquer en partie par la signification que l’individu donne à ce qu’il estime être un « colloque singulier » et qui sera la base de sa construction délirante. La maladie mentale ne couvre évidemment pas tous les cas de radicalisme mais sûrement une partie significative car toute la littérature traitant du fanatisme montre l’importance du milieu.
    Les dictatures endoctrinent les individus par l’école, les structures de jeunes, les médias et toute la société mais dans le cas du radicalisme, nous assistons à un changement de comportement en deux mois, dans un milieu modéré, dans un pays ouvert à toutes les influences avec une presse libre…•

    Michel Luyckx, par courriel

  7. Plus que d’un tableau d’articles interdits à bord d’un avion, c’est aux fiches de mise en garde contre certaines maladies, la grippe par exemple, que l’on pense. La couleur bleue renforce le monde médicale. Aujourd’hui le médical est plus bleu que vert.
    Etrange d’évoquer le djihadisme comme un virus qui pourrait s’attraper, se transmettre. Une maladie contagieuse. Patrick Cohen parlait de sa responsabilité de ne pas inviter à France Inter, de ne pas donner la parole à des « cerveaux malades ». Apprendre à repérer la maladie. La parole comme un virus.
    Encore une chose, je ne sais pas quoi penser… pourquoi utiliser le ils ? et pas le il. On ne personnalise pas, il s’agit d’un groupe à comportement identique ?
    Et puis la phrase « Plus ils sont nombreux…  » Très ambiguë, on parle des signes, on pourrait lire les djihadistes.
    C’est très malsain tout ça, beaucoup de confusion entretenue.

  8. Ce week-end dans Le Monde, un article qui revient sur cette campagne. Qui évoque bien sûr la réception de cette campagne de communication, sur les critiques, sur la dérision. Et qui donne des chiffres, qui parle du double d’appels d’avant la campagne.
    « Les personnes qui sont confrontées à ces situations savent très bien de quoi on parle. »
    L’analyse intellectuelle et culturelle du panneau d’information n’est-elle pas trop éloignée d’une réalité que l’on connait peu. Je suis graphiste, et bien évidemment que mon regard est particulier, ce que vois, je le restitue dans mes habitudes professionnels, avec mes codes, mes filtres, mes références.
    Je vois sans doute tout un tas de choses que ne vois pas le père ou la mère d’un enfant en passe de basculer.
    Inversement, qu’est-ce que je connais de la vie d’une mère, d’un père concerné ?
    Peut-être ne voit-ils qu’un numéro à appeler… et ils appellent.
    Ils ne savaient pas quoi faire, aujourd’hui ils appellent.
    Je suis le premier à sourire des détournements (que je trouve bien fait), à trouver juste votre analyse et les conclusions que vous en tirez… on est juste pas dans la même réalité.

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