La photo revient à Orsay comme une fleur

Photo volée, musée d'Orsay, 2011 (photo AG).
Photo volée, musée d’Orsay, 2011 (photo AG).

Depuis hier, les visiteurs du musée d’Orsay ont à nouveau le droit de photographier les œuvres des expositions permanentes. A la demande de la ministre de la Culture, la direction du musée est revenue sur l’interdiction édictée en 2010. Une modification du règlement sera proposée pour l’adapter à la Charte “Tous photographes”, recommandée par le ministère.

Les principaux artisans de ce revirement sont Bernard Hasquenoph, journaliste et graphiste, infatigable militant de l’accès à la culture, auteur du site Louvre pour tous, et Julien Dorra, créateur du collectif OrsayCommons.

Réunion du groupe OrsayCommons au Grand Palais, juin 2011.
Réunion du groupe OrsayCommons, Grand Palais, juin 2011 (photo L. Biret).

Pour les Inrocks, «En postant la photo d’une oeuvre sur son compte Instagram, la ministre de la Culture Fleur Pellerin a, sans le vouloir, poussé le musée d’Orsay à modifier son règlement intérieur».

Le passage par les nouvelles pratiques connectées n’est pas un épisode anodin. Il fallait une ministre plus jeune et plus moderne que la moyenne du personnel politique français (pas un ordinateur sur le bureau de François Hollande!) pour croiser les usages réels des visiteurs, et se rendre compte de l’exception représentée par Orsay. Lundi soir, lors du vernissage de la rétrospective Bonnard, Fleur Pellerin prend deux photos et les diffuse sur ses comptes Instagram et Twitter. La réponse de Bernard Hasquenoph ne tarde pas, qui lui rappelle l’interdiction locale.

Entre la prise de conscience de l’anomalie et l’injonction ministérielle, il n’aura donc fallu que quelques heures. Mais c’est que tout était prêt. Aboutissement de plusieurs années de travail en collaboration avec le ministère de la Culture, l’outil essentiel est la Charte des bonnes pratiques, préparée par un séminaire collectif en 2012-2013, puis par la publication de l’ouvrage dirigé par Serge Chaumier, Anne Krebs et Mélanie Roustan, Visiteurs photographes au musée (La Documentation française, 2013, auquel j’ai eu le plaisir de contribuer).

Bernard Hasquenoph, "Ton musée en slip" (parodie, janvier 2012).
Bernard Hasquenoph, « Ton musée en slip » (parodie, janvier 2012).

Pendant le séminaire, auquel participent des représentants du musée d’Orsay et d’autres institutions nationales, la discussion pouvait être vive. Elle a permis de décortiquer point par point tous les arguments. Le volume collectif constitue la première ethnographie française d’un usage spécifique de la photographie amateur. Ce qui ressort des travaux rassemblés, c’est l’idée neuve d’une véritable utilité de la photo comme instrument de médiation et d’acquisition de connaissances, face à la proposition muséale.

Appuyée sur ces solides fondements scientifiques, la Charte devait imposer l’évidence de la pratique documentaire au musée. Une fois adoptée officiellement par le ministère, en juillet 2014, il ne restait plus qu’à attendre une occasion propice. Chacun savait que la résistance d’Orsay touchait à sa fin. Cinq ans de travail collaboratif, sans exclure aucun acteur, faisant dialoguer à la fois les activistes de la première heure, les responsables ministériels, mais aussi la recherche juridique, sociologique et ethnographique, représente un cas assez rare, sinon unique, d’un processus de réflexion mené jusqu’à son terme dans le contexte français. Sous la surface d’Instagram, il s’agissait de renouer le lien du musée avec le monde contemporain, à un moment où l’image est devenue un incontournable outil de connaissance populaire. La méthode exemplaire qui y a conduit pourrait servir de modèle bien au-delà du cas muséal.

9 réflexions au sujet de « La photo revient à Orsay comme une fleur »

  1. Je pense effectivement qu’Orsay cherchait un prétexte déterminant pour sortir de sa situation vis-à-vis de la photographie, et j’en veux pour preuve que la semaine prochaine avait été annoncée (il y a longtemps déjà) comme semaine pendant laquelle photographier à l’intérieur du musée serait, exceptionnellement, autorisé.

  2. Je suis content de savoir qu’une ministre qui n’a pas lu le Nobel de littérature (mais quelle importance ?) (naaaan mais on ne peut pas tout faire) a le temps d’aller voir l’exposition Bonnard et de se tirer le portrait (avait-elle une canne à selfie au moins ?). Ca me fait chaud au coeur.
    :°))
    (la photo du nouvel obs et du Président -zeugme- est parfaitement réussie)

  3. Il reste encore des musées où le rôle des gardiens (quand ils ne dorment pas sur leur chaise) est de faire la chasse aux photographes amateurs. Il semble que la « charte » en question ne leur ait été jamais diffusée, comme aux gestionnaires préposés de certaines de ces institutions.

    Ce jeu du chat et de la souris pouvait être parfois un piment par rapport à certaines expositions…

    Mais les bâtons à selfies, à l’inverse, ne paraissent plus avoir droit de cité en ces lieux : c’est aussi bien, car là on risque de se faire éborgner (le père Le Pen ne va plus depuis longtemps visiter les temples de l’art).

  4. Lu seulement votre article mis en lien, très fine analyse (par rapport aux gros sabots sociologiques de Bourdieu) du « pourquoi » de ce geste photographique dans les musées.

    Votre conclusion a sans doute dû inspirer (inconsciemment, car elle lit peu…) Fleur Pellerin :

    « La photo n’est pas l’ennemie du musée. Comme la majeure partie des pratiques photographiques privées, ce qu’elle manifeste est d’abord de l’amour. Refuser aux visiteurs d’aimer les œuvres à leur manière est un acte d’une grande brutalité, et un insupportable paradoxe au regard de la destination du projet muséal ou des missions du service public. »

  5. C’est en effet une belle victoire, le résultat d’un long processus et sans doute un chapitre d’une histoire qui continue. En revanche, en réponse au commentaire de Julien sur Twitter (domaine public, appropriation), il font continuer de rester dans le dialogue et l’échange constructif.

    Nous sommes de nombreux agents à faire avancer les pratiques en termes de numérique, de participatif, d’appropriation. Nous y travaillons de l’interne, au quotidien, face à des collègues/des hiérarchies qui peuvent avoir des cultures professionnelles et des pratiques personnelles différentes, parfois en décalage avec celles des visiteurs, et plus largement celles du web.

    Ces institutions ne changeront pas du jour au lendemain, et les grands coups d’éclat, s’ils offrent de la visibilité à une mobilisation, ne sont pas toujours les plus efficaces pour faire évoluer les mentalités et les pratiques sur le long terme.

  6. Un long commentaire, accrochez-vous, pour expliquer comment se gagne une ré-autorisation de la photo, et quels sont les deux prochaines étapes :

    Donc, pour donner un peu de contexte à ceux qui ne sont pas plongé dans l’histoire depuis 2010 :-) et pour faire comprendre pourquoi je suis de mon côté ravi de cette tweet-politique soudaine.

    J’ai lancé avec Bernard Hasquenoph OrsayCommons en décembre 2010 (en 4 jours !), pour protester activement, joyeusement et collectivement contre l’interdiction de la photo de juin 2010.

    OrsayCommons était clairement annoncée comme pro-photo, pro-remix et pro domaine public.

    Avec OrsayCommons, nous avons nous même découvert que prendre des photos au musée pouvait être motivé par de nombreux usages, allant de l’aide à la création (artistes, designers) au document d’étude ou pédagogique (profs, étudiants), au plaisir de l’acte lui même (enfants, touristes), et jusqu’à des besoin lié au handicap (le père d’une fille autiste racontant sur le livre d’or comment sa fille a besoin de la photo pour mieux rencontrer les œuvres).

    Nous avons exploré de notre côté ce que pouvait signifier une action photographique live, une sorte de spectacle de photo où nous créions collectivement.
    Nous avons fait 5 ou 6 OrsayCommons, avant d’arrêter car les gardiens d’Orsay devenait de plus en plus agressifs, sur ordre du musée de nous harceler verbalement.

    Nous étions très clairement dans un approche tout à la fois légère et joyeuse mais aussi de confrontation, un rapport de force ne pouvant pas tourner à notre avantage, malgré la presse et les blogs qui s’intéressaient au sujet.

    Ce rapport de confrontation a permis de lancer quelque chose, mais il devenait probablement intenable au bout de quelques mois.

    Pour continuer d’une autre manière, nous avons organisé un OrsayCommons hors les murs à l’invitation de Marc Sanchez pendant le Momunenta Anish Kapoor. Ce fut aussi un moment fort au niveau théorique, avec une mini-table ronde au sol :-) où Serge Chaumier et André Gunthert sont venus nourrir notre discours par leur recherche.

    Afin de faire porter ce discours, nourri de plusieurs mois d’action et d’échanges, nous avons avec Serge Chaumier, Remi Mathis, Jean-Michel Raingeard, et bien sur Bernard Hasquenoph envoyé une lettre ouverte au ministère.
    En réponse, le ministère a organisé une série de réunion de travail décomposées par sujets. Car bien sur au sein du ministère, de nombreuses personnes étaient sensibles aux questions que nous soulevions.

    Nous avons aussi écrit une première proposition d’un texte qui est devenu, remanié par le ministère et c’est assez logique affaibli (in my humble opinion), la charte actuelle, publié plusieurs mois après la fin des réunions.

    Des auteurs de la lettre ouverte, je suis celui qui était le plus méfiant sur les effets de ces réunions, mais je suis heureusement surpris par la base que cela permet de poser aujourd’hui.

    En effet, la charte, toute imparfaite qu’elle soit, a permis à la ministre de réagir en mettant en avant non pas une autorisation spéciale ce soir là (comme l’a fait Orsay en premier lieu !), ou le côté exceptionnel de sa visite, mais une charte qui s’applique à tous, donc à elle aussi.

    La ministre, pour la décision qui a rapidement suivi d’obliger Orsay à s’aligner, s’est basée sur un texte standard, public, nourri de plusieurs mois de conflits, de discussions et d’échanges — et non pas sur l’opinion d’un de ses conseiller ou sur la mode du moment, comme c’est parfois le cas.

    C’est une première étape, les deux suivantes sur cette question sont :

    – Une version 2 de la charte prenant en compte les changements dans les musées depuis 4 ans (Museomix, SMV…) et axée sur les usages transformatifs.
    Le musée peut devenir un vrai moteur de la culture vivante, mais pour jouer ce rôle il doit *encourager* les pratiques de ré-usages culturels, dont la pratique photographie est un noyau essentiel. Le mot clef est donc « encourager », pour aller plus loin qu’encadrer. Nous avions évoqué des pistes lors des réunions mais elle ne se retrouvent pas vraiment dans la charte.

    – La mise en avant des œuvres du domaine public, donc totalement libre de réutilisations, dans les musées où se mêlent œuvres sous droits et œuvres ayant rejoint le domaine public (Orsay, Pompidou…).
    Il s’agit que les musées ajoutent des logos « Domaine Public » (la Public Domain Mark de Creative Commons) sur les œuvres du domaine public, pour indiquer qu’elles sont libres de ré-usages, de diffusion, etc.
    Et bien sur il s’agit de donner un contre-poids plus positif aux logos « No Photo » qui sont apparus sur cartels des œuvres que les prêteurs demandent à être exclues des autorisations de photographier – comme quand Orsay a prêté des photos reliefs du 19ème siècle pour l’expo Duchamps à Pompidou, en demandant à Pompidou de les mettre en No Photo! Croustillant, nous aurions donc ici un logo No Photo et un logo Public Domain Mark sur le même cartel.
    (je trouve d’ailleurs très intéressant que les musée mettent des logos No Photo sur les cartels des œuvres, car cela rend transparent la relation du musée avec les prêteurs sur ce sujet, et permet de réaliser que cela n’a rien à voir avec les artistes dans la majorité des cas.).

    J’encourage tout ceux qui sont intéressés par ces deux étapes suivantes à rejoindre le groupe OrsayCommons http://facebook.com/groups/orsaycommons pour y travailler en commun.

  7. Merci André et merci Julien Dorra (pour le message plus tôt dans la journée) d’avoir rappelé que c’est un travail collectif qui a permis de lever aujourd’hui l’interdiction En effet, je constate souvent un « ministère bashing » alors qu’il existe beaucoup de personnes très impliquées dans leur travail et avec des revendications aussi fortes que celles de personnes extérieures. Je travaille régulièrement avec certains pour le constater régulièrement. Je crois vraiment que l’alliance de toutes ces forces a joué ici.

    @Dominique : oui la diffusion peut être un peu longue et beaucoup de musées interdisent la photographie par habitude. Écrire à ces musées en évoquant la charte pourra sans doute faire bouger les choses plus vite.

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