Le document vidéo, image comme preuve ou jeu d’investigation?

Le premier scandale lézardant l’image lisse du jeune président français s’appuie sur une vidéo amateur – désormais massivement produites et diffusées lors des confrontations avec les forces de l’ordre, dans un contexte d’augmentation sensible des violences depuis 2016. Avec l’article publié par Le Monde le 18 juillet dernier, dont le principal argument est la vidéo exportable d’une altercation faisant suite à la manifestation du 1er mai à la Contrescarpe (voir ci-dessous), tous les ingrédients semblent réunis pour alimenter la thèse de l’image comme preuve.

https://twitter.com/t_bouhafs/status/991381135631486976

L’effet de souffle de l’affaire Benalla illustre la puissance d’un nouveau journalisme d’investigation, appuyé sur des preuves ouvertes, qui combinent la crédibilité de la vidéo amateur avec l’appropriabilité de la ressource en ligne. Il s’agit pourtant d’un cas paradoxal, car la source, publiée via Twitter depuis le 1er mai, n’avait jusqu’alors provoqué aucune réaction particulière. Cette indifférence démontre la banalisation en France des «violences policières», hashtag sous lequel est diffusé le témoignage.

L’enquête d’Ariane Chemin modifie en effet la perception du document, à partir de l’identification d’Alexandre Benalla, décrit comme garde du corps et intime du couple Macron. La vision des brutalités ne devient objet de scandale qu’à partir du moment où l’information diverge des apparences, quand le lecteur découvre que celui qu’on voyait comme un policier parmi d’autres n’avait aucun titre lui donnant droit à participer à une opération de maintien de l’ordre.

Comme le montrent les diverses versions éditées par Le Monde, Le Huffington Post ou Brut, qui surajoutent divers indicateurs et éléments d’explication au document initial, celui-ci est difficilement lisible. Le protagoniste identifié comme Benalla reste notamment dissimulé sous son casque pendant la totalité de l’action.

Le document exposé comme preuve présente donc des caractères paradoxaux. Le témoignage ne prend le sens que lui donne l’article du Monde qu’à la condition de se défier des apparences. Le conflit entre le vu et le su confère à la vidéo un statut d’énigme, proche de celle de l’hôpital Necker, qui permettait de contredire la version officielle des événements par les autorités, ou, dans un autre registre, la photo de Rimbaud. Plutôt qu’un cas d’image comme attestation, le succès du document suggère une logique de révélation d’un sens caché, proche d’un jeu participatif, où chacun peut procéder à un ersatz d’enquête, cherchant à vérifier la compatibilité des éléments proposés – un effet Blow up.

3 réflexions au sujet de « Le document vidéo, image comme preuve ou jeu d’investigation? »

  1. L’explication est peut-être plus simple : la violence policière est devenue si ordinaire, si banale (et pas seulement lors des manifestations) que leur attestation vidéo n’a plus la moindre importance. Cette violence est très largement documentée et ceci depuis des années, sans jamais provoquer le moindre commentaire ni la moindre critique, hormis dans les cercles militants, ni bien entendu la moindre mobilisation : mai 68 et les années qui suivirent sont décidément très loin…

    L’affaire Benala n’a donc rien à voir ni avec cette violence, ni avec les images qui la montrent : ce n’est ni une question d’images ni une question de la violence de l’État. Mais alors, qu’est-ce qui fait que c’est une affaire ? On ne sait pas… Et le jeu d’investigation que vous relatez, à juste titre je crois, me semble surtout se concentrer à grands coups de vidéos et de révélations successives sur cette intrigante question : sur quoi doit porter l’investigation ?

  2. Des affaires comme celles de la chemise arrachée du DRH d’Air France, ou encore celle de la bagarre Booba/Kaaris, montrent qu’il existe des perceptions et des traitements très différents de la violence, selon qui l’exerce ou à qui elle est appliquée. Imaginons un instant un PDG victime de mauvais traitements policiers, et le scandale que cela susciterait, et l’on se rendra compte que la banalisation des violences (et leur occultation par les pouvoirs publics, dont l’affaire Benalla fournit un nouvel exemple) dépend d’une conception du monde où l’humanité est profondément divisée, certaines populations (racisés, femmes, pauvres, jeunes, migrants, etc…) étant perçues comme les destinataires « naturels » d’une violence légitime, alors que d’autres catégories sociales en seront toujours protégées.

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