Colloque “Où en sont les théories de la photographie?”

(photo Marta Braun)

Centre Pompidou, Petite Salle, 27 mai 2015, 11h-18h (entrée libre dans la limite des places disponibles, pdf).

Argument. Durant la majeure partie du XXe siècle, la pratique photographique s’est accompagnée d’un important travail d’élaboration théorique, qui a contribué à structurer le champ. L’arrivée des technologies numériques a accéléré l’essor des usages de l’enregistrement visuel. Qu’en est-il de la préoccupation théorique dans ce nouveau paysage?

Ce colloque sera l’occasion de faire le point à la fois sur l’histoire du questionnement théorique de la photographie et sur ses nouvelles interrogations. Les caractéristiques de l’enregistrement définissent-elles les contours des pratiques? Une approche générale de la photographie est-elle encore légitime? Les formes de l’authenticité sont-elles liées à une technologie? L’approche ontologique a-t-elle rencontré ses limites? La pensée du document est-elle une préoccupation historique? La photographie est-elle entrée dans une nouvelle ère? Quels sont les nouveaux contours de l’image fixe et de l’image animée? Quel rôle a joué l’interrogation théorique dans la perception des pratiques photographiques? En tentant de répondre à ces questions, ce colloque donnera l’occasion de vérifier l’état de la relation qui unit photographie et théorie.

Sur une proposition de Clément Chéroux, André Gunthert, Michel Poivert, Paul-Louis Roubert, Karolina Ziebinska-Lewandowska. Un partenariat entre le Centre Pompidou, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Hisca), l’EHESS et la revue Etudes Photographiques

  • 11:00. Clément Chéroux, Introduction
  • 11:30. Joel Snyder (université de Chicago), “Photographie, ontologie et sens commun”

Certaines des positions théoriques les plus courantes sur la photographie reviennent à conforter les croyances du sens commun quant au caractère de celle-ci. Inévitablement, les significations de quelques termes importants de cet ensemble d’hypothèses ont changé avec le temps, comme le sens commun lui-même a changé. Les hypothèses sur la photographie propres à un moment donné du passé nous frappent maintenant comme étranges, énigmatiques ou même, pire que tout, simplement démodées. Cette communication portera sur les spéculations ontologiques du XXe siècle concernant la photographie, tout particulièrement dans les travaux de Siegfried Kracauer, Rudolf Arnheim, Erwin Panofsky, André Bazin, et Stanley Cavell.

  • 12:00. Philippe Dubois (université Paris 3), “De l’image-trace à l’image-fiction”

Partant des théories ontologiques des années 1980 sur l’image-empreinte (l’index, le ça-a-été), on retracera les mouvements de pensée qui ont amené les théories de la photographie, par-delà les mutations technologiques, vers une pensée plus pragmatique, liée aux usages de l’image et surtout informée par les «théories de mondes possibles» appliquées au champ du visuel. La photo moins comme image-trace-de-ce-qui-a-été-là que comme image-fiction-d’un-monde-possible, «a-référentiel» et «plausible». On étudiera les implications de cette pensée sur la question du document et de l’archive, sur celle du stock et des flux, sur celle de l’unité spatio-temporelle de l’image et sur celle de la «(non)fixité» de l’image.

  • 12:30. Jacqueline Guittard (université de Picardie), “Roland Barthes, la photographie à revers”

À considérer l’œuvre de Roland Barthes telle qu’elle fut publiée de son vivant, on peut être surpris par les innombrables photographies qu’elle prend en écharpe, soit qu’elle les montre, soit qu’elle les décrive. La richesse de ce corpus iconographique permet, d’une part, de réévaluer le poids théorique de La Chambre claire et il révèle d’autre part que l’usage barthésien de la photographie n’est pas si éloigné qu’il semble de la consommation des images contemporaines, fussent-elles numériques. La réception de la photographie par Roland Barthes circonscrit en effet un réel dont la qualité est déjà virtuelle.

  • 14:30. Johanne Lamoureux (université de Montréal/INHA), “Engouement théorique et déclassement médial : la photographie à du Tout-cinéma”

Si à la fin des années 1970, le photographique de Rosalind Krauss avait contribué à la fois à aménager une sortie du pictocentrisme de l’histoire de l’art, à dépendre la photographie du préjugé référentiel au profit d’une sémiotique de l’index et à devenir le modèle théorique de la pratique artistique post-moderne, il semble désormais que cet investissement théorique, qui fit du photographique un opérateur théorique de la pratique artistique du XXe siècle, se soit résorbé ou déplacé. Certes la photographie n’est pas le seul lieu du désinvestissement théorique actuel dans les discours sur l’image. Mais plutôt que de commenter une éventuelle défaveur générale du théorique dans l’art, on verra comment la photographie a peut-être rejoint son ancienne rivale, la peinture, victimes toutes deux d’un déclassement médial régi par le nouveau paradigme cinématographique, dans sa version élargie, désignée ici comme le tout-cinéma. Par cette expression, nous renvoyons à la fois à l’impératif d’animation dont paraît désormais dépendre l’attractivité de l’image mais aussi bien à une-ré-écriture téléologique de l’histoire de l’art dont le cinéma désormais paraît avoir toujours déjà été l’horizon.

  • 15:00. Michel Poivert (université Paris 1), “La photographie est-elle une image?”

Depuis les années 1990, “l’image” s’est installée dans les esprits comme une notion générique reliant art contemporain, critique sociale et esthétique. Il est temps de s’interroger sur cette fausse évidence de l’image lorsqu’il s’agit de photographie: la photographie est-elle une image? Et si c’est le cas, ne doit-on pas se demander quel rôle la photographie a joué dans la définition même de ce qu’est une image? Figure majeure de la naturalisation de la photographie au passage du XXe au XXI siècle, la notion d’image a connu une véritable mutation en un siècle, définie d’abord comme un fait de conscience puis comme un fait social. Au cœur de cette mutation, l’expérience de la photographie a été déterminante. Dès lors, une théorie de la photographie aujourd’hui peut-elle faire l’économie d’une définition de ce que nous appelons « image »?

  • 15:30. Herta Wolf (université de Cologne), “Montrer et/démontrer. Index et/ou indice”

Bien que le caractère indiciel de la photographie analogique, basée sur le principe positif-négatif, et que le procédé d’enregistrement propre à la Photographie relèvent nécessairement d’une science des indices formulée au XIXe siècle, les pratiques et techniques photographiques contemporaines ne rendent en rien obsolète ce concept historique. Les indices, tels que les promeut l’image photographiques, s’opposent toujours à leur récupération théorique. Comment, dès lors, aborder ces nouveaux points de vue sur la photographie? Par exemple par la relecture des travaux de Carlo Ginzburg (“Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice” [1980]), notamment sa reprise de l’argumentation relative aux questions de méthode en histoire de l’art (Roberto Longhi), qui rend évidente la dimension historiographique de tout examen à nouveaux frais des théories de la photographie.

  • 16:15. André Gunthert (EHESS), “L’autre image. Une histoire théorique de la photographie”

Depuis son inauguration par László Moholy-Nagy, la préoccupation théorique a toujours décrit la photographie comme une autre image. Permettant une approche globale, la théorie installe la photographie comme une forme spécifique, dotée d’un rapport privilégié à la vérité, profondément différente des œuvres d’art, mais aussi du cinéma. La transition numérique met ce récit face à ses contradictions, et oblige à abandonner la justification par l’ontogenèse. La vision de la photographie renoue un temps avec sa tradition technique. L’approche théorique renaît avec les formes appropriatives et l’autonomisation des pratiques culturelles, sous l’espèce d’une critique de la subjectivité.

  • 16:45. Jean-Marie Schaeffer (EHESS/CNRS), “Quelle théorie pour quelle photographie?”

Les pratiques, supports, modes de circulation et modes de réception  de « la » photographie sont devenus tellement multiples qu’on est en droit de se demander si une théorie unifiée de « la » photographie (qu’elle soit « matérielle », sémiotique ou ontologique) est encore possible ou souhaitable. Peut-on encore parler d’une place spécifique qui serait occupée par « la » photographie dans l’écosystème des images? On s’interrogera notamment sur la place que peut encore ou que ne peut plus occuper le critère de l’indicialité dans la délimitation du statut épistémique des pratiques photographiques.

  • 17:15. Discussion

MàJ du 25/06/2015: Enregistrements vidéo

13 réflexions au sujet de « Colloque “Où en sont les théories de la photographie?” »

  1. Non, il n’y a pas de système de réservation. Venez un peu avant, ça devrait suffire.

  2. bonjour
    quelles sont les références de l’image accompagnant l’article ?
    ps merci de signaler sur votre blog quand ce colloque sera publié.
    mf

  3. Les interventions ont été enregistrées et seront diffusées sur internet par le Centre Pompidou d’ici quelques semaines (j’actualiserai le billet en mettant les liens).

  4. Merci beaucoup pour la réactualisation du billet ! N’ayant pu venir au colloque, je suis heureuse de pouvoir quand même profiter des communications !

  5. Bonjour
    Au colloque du 27 mai 2015, lors du débat final, un orateur a dit que la « photo numérique » n’apportait finalement pas de grandes nouveautés vis-à-vis de la « photo argentique », ce qui m’a fait réagir fortement en séance. En effet, l’impact du « numérique » sur le monde de la photo me parait considérable, et ceci à tous les niveaux :
    . dans les processus, de la captation à la diffusion ;
    . dans les métiers liés à la photo ;
    . dans les usages et les perceptions ;
    . dans les nouvelles formes d’images qu’il permet.

    Je vous invite à télécharger un document qui rassemble quelques unes de mes expérimentations liées à la photo numérique :
    http://www.lwo-station.com/temp/PhotoNumerique_rechercheParLWO_mai2015.pdf
    Dans ce document, vous trouverez quelques exemples qui illustrent ces transformations.
    Je ne suis pas un théoricien, ni un expert technique, mais ma pratique photographique m’apporte un retour d’expérience que je vous fais ici partager.

    En complément de ce document, ci-après quelques constats et réflexions.

    Tout d’abord, le numérique a facilité et banalisé le geste photographique. Tout le monde dispose quasiment en permanence d’un appareil qui permet de prendre des photos (en particulier avec les téléphones portables). La prise de photos se fait avec une souplesse accrue, on peut déclencher et effacer à loisir, de nombreux paramètres automatiques optimisent la prise de vue. Les photos sont accessibles immédiatement.

    Ensuite, l’intégration au format numérique autorise les manipulations logicielles des photographies, que ce soit en terme de transformations (depuis les simples retouches jusqu’à des transformations plus complexes), d’identification et de classement (mots clés, répertoires, bases de données), d’archivage, de transport et de circulation, de duplication, ainsi que de monstration (avec de nombreux nouveaux dispositifs). Du support matériel, la photo est passée au support virtuel, c’est un « fichier image » qui bénéficie à la fois des fonctionnalités des fichiers informatiques et des paramètres des images numériques.

    Avec Internet, les photos sont visibles dans le monde entier et elles sont disponibles en permanence. Les albums photos deviennent partagés. Les photos peuvent être rendues accessibles à des inconnus, voire commentées et relayées par ces derniers.

    La simplicité et la disponibilité des outils de diffusion ont significativement renforcé l’usage photographique au quotidien. Ce phénomène a été largement amplifié ces dernières années par les « réseaux sociaux », où chacun est amené à faire partager ses instants de vie (notion de « live logging »). C’est aussi la conséquence d’une époque où, d’une part l’image, et d’autre part le storytelling, ont pris un rôle de plus en plus important. L’individu se fait le héros de son histoire qu’il aime à illustrer par des photos de son quotidien ou de ses centres d’intérêts.

    Avec la vitesse de propagation et la communication de masse, la photo se fait aussi source de « buzz ». Une manière de mobiliser pour certains, de se faire remarquer pour d’autres.

    Dans certaines nouvelles pratiques, la conservation n’est plus un objectif en soi. Avec des applications sur portable tel que « Snap Shot » par exemple, les photos disparaissent au bout de quelques secondes. Souvent dans ce cas, la photo n’est pas importante en tant que tel, c’est l’effet qu’elle va provoquer qui compte.

    La photo numérique a aussi un fort impact économique. Avec la suppression des coûts de développement, la photo devient « gratuite ». De nombreux métiers sont transformés, certains disparaissent et d’autres naissent. Les photographes professionnels sont amenés à évoluer dans leurs pratiques et les services qu’ils proposent. Les photojournalistes font face à la concurrence des internautes. De nouveaux opérateurs voient le jour (banques de photos, portails de services, imprimeurs multi-supports, etc.). On assiste à une recomposition de la « valeur ajoutée » des intermédiaires. C’est une véritable mutation pour le monde de la photo.

    La masse de photos accessibles à tous via Internet est énorme. Les gens alimentent un océan de photos dans lequel ils se plongent au gré de leurs envies et de leurs besoins. La photographie devient composante d’un univers d’images en expansion dont elle se fait matière.

    Voilà, il s’agit d’une liste non exhaustive bien sûr, mais qui à mon avis montre que le numérique est potentiellement source de nouvelles théories sur la photographie.

    N’hésitez pas à me faire part de vos réactions
    A bientôt
    LWO
    Site : http://www.LWO-station.com
    Doc : http://www.lwo-station.com/temp/PhotoNumerique_rechercheParLWO_mai2015.pdf

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