L’image des animaux, notre part d’humanité

Peter Wenzel, Adam et Ève au Paradis Terrestre (Vatican).
Peter Wenzel, Adam et Ève au Paradis Terrestre (Vatican).

Emblématisée par Banksy, la vidéo de chaton représente l’une des formes les plus moquées du web. Ce jugement paraît reposer sur la conviction implicite que l’aspect mignon qui touche dans ces images est ridicule et futile, par opposition à des informations “sérieuses”, en vertu de quoi la large diffusion de cette iconographie démontrerait le caractère superficiel et vain du canal. Ce réflexe repose sur une série d’a-priori jamais interrogés, qui placent au second rang la sensibilité, l’espace domestique ou l’animalité, selon des critères qui recoupent les discriminations de genre.

Une approche observationnelle, à l’inverse, partira du constat de la forte viralité de ces contenus, pour essayer de comprendre les significations qu’ils véhiculent, en les replaçant dans le contexte d’une montée des interrogations sur la condition animale, également manifestée sur d’autres terrains, comme le végétarisme ou le végétalisme, la protection des espèces menacées ou le rejet des expérimentations sur l’animal.

Une observation sommaire de la circulation des vidéos de scènes animales sur Facebook, effectuée au fil de la consultation ordinaire de la timeline (celle-ci opérant comme un filtre, en faisant remonter les contenus appréciés par mon groupe d’amis), permet de repérer divers sous-ensembles, souvent basés sur la mise en question de la hiérarchie ou de la séparation des espèces. A noter que de nombreux contenus rediffusés sont édités (illustration sonore, commentaire, compilation, etc.) et proviennent d’émissions spécialisées (bêtisiers, chaînes animalières…).

S’inscrivant dans la lignée des représentations du paradis terrestre, un groupe important est composé par les manifestations d’affection interespèces, qui contredisent l’idée reçue de la séparation ou de la compétition des espèces, et le cas échéant de l’opposition proie-prédateur (homme et lionceau, orang-outan et tigron, petit singe câlinant un chien, chat jouant avec une tortue, etc…). A noter que ces formes d’affection paradoxales comportent souvent la présence d’un animal jeune.

Un autre groupe est constitué par la collection des comportements anthropomorphes, souvent surprenants, d’animaux amateurs de musique, témoignant de compétences particulières, ou encore de facultés d’empathie hors du commun (éléphants mélomanes, perroquet danseur, chat intelligent, singe électrocuté, chien tentant de sauver des poissons, etc…).

Un groupe moins nombreux est caractérisé par ce qu’on pourrait appeler “la revanche des animaux” (homme arrosé par un chien, drones attaqués par des animaux, etc…).

Plutôt que du registre du kawaï, cette iconographie se rapproche de la catégorie “insolite”, forme narrative à forte prosécogénie, à laquelle les médias jeunes ont donné une extension sans précédent, qui superpose la surprise – et souvent une possibilité de généralisation proverbiale – à un contenu informatif.

Le trait le plus souvent associé aux vidéos animalières, celui qui leur confère un statut d‘imagerie narrative, semble être la dimension de l’empathie, de la solidarité ou tout simplement de l’affection – des valeurs peu en vogue dans la vision entrepreneuriale de la société que privilégient les médias mainstream. Comme s’il fallait passer par le monde animal pour s’autoriser la représentation d’une humanité muselée par les modèles dominants. Auquel cas l’imagerie animalière, au-delà de son aspect bon enfant, témoignerait de la nostalgie de valeurs indicibles.

5 réflexions au sujet de « L’image des animaux, notre part d’humanité »

  1. dans le même ordre d’idée, mais ailleurs évidemment, il y a les selfies ainsi que les photos culinaires (montrent des plats qu’on mangent au resto, qu’on a cuisinés pour l’anniv de je ne sais qui, etc etc… : sans doute aussi une catégorisation à envisager) : « humanité muselée par les modèles dominants » aussi, il me semble (mais ensuite, lorsque ces trois grandes classes de photographies seront identifiées, que nous restera-t-il pour exprimer notre vague à l’âme?)

  2. @André Gunthert : Ce doit être une vision ethnocentrée, je suppose : je veux dire que les photos culinaires envahissent aussi ma timeline (enfin, envahir, c’est excessif mais ce me semble être une catégorie de ce que je vois en images) et qu’elle provoquent, chez moi, de la moquerie – « ridicules et futiles » c’est sans doute ainsi qu’elles m’apparaissent… mais je n’ai d’expérience que la mienne (il y a quelque chose de vraiment très individuel dans la consultation de sa timeline : en voit-on jamais d’autres ?)

  3. Chaque TL est unique, mais chacune est aussi représentative, à tout le moins du groupe qui la constitue et de ses habitudes de lecture. L’algo de FB faisant remonter les contenus les plus consultés, on peut effectivement lire la TL comme une sorte de sondage du sous-ensemble concerné. Pas plus – mais pas non plus moins: depuis quand avons-nous les moyens de tester les consommations culturelles de groupes qui frôlent ou dépassent le millier d’individus? Auparavant, on pouvait parfaitement construire un discours sur la photo amateur à partir de quelques entretiens et de la consultation d’une poignée d’albums, en décrétant ce corpus représentatif…

    Ici, comme souvent, je ne fais pas autre chose qu’un relevé documentaire de ma TL. C’est posé là en attendant. Et pour confirmer cette dimension personnelle: non, je ne vois plus tellement d’images de plats ces derniers mois (en revanche, nette augmentation des vidéos et des gifs, remontés par l’algo).

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