La société des apparences ne condamne que les apparences

Vogue, 2015, photo non retouchée.
Vogue, 2015, photo non retouchée.

Dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé, adoptée le 17 décembre, un groupe d’articles tente de prévenir l’incitation à l’extrême maigreur. L’exercice de l’activité de mannequin est conditionné à la délivrance d’un certificat médical précisant l’indice de masse corporelle (IMC). Le législateur a renoncé à l’interdiction des sites pro-ana, un temps envisagée. Enfin, un amendement tardif a réintroduit le serpent de mer de la sanction de la retouche, proposé en 2009 par la député UMP Valérie Boyer. Les photographies «à usage commercial de mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image afin d’affiner la silhouette» devront être accompagnées de la mention : “Photographie retouchée”, sous peine d’amende.

Plutôt que de remédier à quoique ce soit, cet ensemble de mesurettes hétéroclites qui resurgissent au gré des législatures témoigne des obsessions de nos représentants et de leur information déficiente. A défaut de comprendre, un gouvernement qui refuse les explications ne s’attaque qu’aux symptômes. Aucune loi ne viendra à bout de l’anorexie mentale, un syndrôme dépressif dont la restriction alimentaire n’est que l’aspect le plus visible. Il est par ailleurs très peu probable que les dispositions retenues fassent obstacle aux incitations normatives produites par les industries de l’apparence.

L’exemple de l’action anti-tabac montre qu’il est possible de modifier une norme culturelle. Mais l’ampleur des moyens mis en œuvre, sur la base d’une analyse scientifique rigoureuse, n’a rien à voir avec les coups d’épingle au hasard de la loi santé. Indiquer qu’une photographie de mannequin est retouchée – outre qu’elle suggèrera que toutes celles qui ne portent pas cette mention sont sincères – n’aura aucun effet sur son caractère normatif. Nous savons bien que les films de cinéma sont des fictions. L’efficience des images des industries culturelles ne vient pas de ce qu’elles nous tendent un miroir véridique, mais du fait que leur répétition indique un consensus social.

Les industries culturelles répondent à la question qui nous importe le plus: comment se faire aimer? Par rapport aux modèles qu’elles proposent, l’entreprise la plus urgente serait de déconstruire leur division sexiste, qui associe la femme au registre des apparences. La loi santé, au contraire, n’aura fait que renforcer ce préjugé.