Toujours pas de Rimbaud

Match_3475

Paris-Match n’a pas de chance avec ses scoops iconographiques. Après la découverte burlesque d’une tête à planter sur le plus célèbre sexe du monde, sur la foi des délires de Jean-Jacques Fernier, voilà que le magazine colle une moustache à Rimbaud, sous la plume de Franck Ferrand, historien bien connu de l’institut Europe 1.

Un album de portraits ayant appartenu à la courtisane Liane de Pougy (1869-1950), acheté par le collectionneur Jacques Guérin, échoit en héritage au compositeur Carlos Leresche, qui croit apercevoir une image de Rimbaud adulte dans un banal portrait-carte, non daté et d’origine inconnue. Seul indice: les initiales «A. R.», peut-être griffonnées par l’ancien propriétaire de l’album. Et c’est tout? Oui da. En estimant l’âge du personnage, au jugé, aux alentours de 25 ans, Leresche imagine une datation du portrait-carte vers 1880, proche de la photographie d’Aden, avec laquelle il trouve une ressemblance. Pas de chance, Jacques Bienvenu a montré de manière convaincante que Rimbaud ne peut pas être présent sur cette image.

Une proposition postérieure d’identification par la méthode anthropométrique a fourni une estimation de la ressemblance « comprise entre 85 et 92% » entre la photo d’Aden et les Carjat – une indication chiffrée qui a emporté la conviction de journalistes pressés. Mais celle-ci ne fait qu’attester ce qu’on savait déjà, puisque c’est bien cette apparente similitude qui est à l’origine du débat.

Aden, Hotel de l'Univers, v. 1880.
Aden, Hotel de l’Univers, v. 1880.

La ressemblance statistique, qu’on pourrait aussi appeler air de famille, ne peut pas constituer une preuve affirmative, particulièrement dans le cas Rimbaud. Le Monde reprend dans son édition datée d’aujourd’hui mon analyse, qui contredit également la ressemblance alléguée par Leresche: «La méthode des comparaisons anthropométriques est inapplicable dans le cas Rimbaud. Le problème de l’iconographie rimbaldienne, c’est l’accumulation de copies d’originaux en mauvais état, pâles, et donc volontiers corrigés par une accentuation du contraste ou de légères retouches. Les originaux étant perdus, les copies de deuxième ou de troisième génération n’ont fait qu’empirer les choses. Ce n’est pas étonnant que la superposition de toutes les photographies concordent: il n’y a à proprement parler plus rien à comparer» (“Rimbaud perd la tête”, par Amaury da Cunha).

Comme l’écrit Circeto en commentaire sur le site de Match, l’éloquence laborieuse de Franck Ferrand dissimule mal une «version du pauvre» de la controverse d’Aden. A part le collectionneur convaincu de posséder un trésor et l’aura du mythe Rimbaud, il n’y a vraiment rien à se mettre sous la dent avec la photo du capitaine Moustache. Au moins, pour l’hallucination précédente, l’hebdo people avait mis les petits plats dans les grands, avec signature cachée dans l’oreille, trace hypothétique sur une couverture du Hanneton, concordance des pigments ou des trames examinées aux rayons X – avant de se faire étriller par Philippe Dagen. Souhaitons que pour sa prochaine fantasmagorie, le magazine sache retrouver le sens de l’intrigue qui, à défaut de produire la moindre information utile pour l’histoire visuelle, fait au moins passer un bon moment à ses lecteurs.

Paris-Match, pseudo reconstitution de L'Origine du monde.
Paris-Match, pseudo reconstitution de L’Origine du monde.

7 réflexions au sujet de « Toujours pas de Rimbaud »

  1. J’aime bien la conclusion de Jacques Bienvenu

    « On aura pu tout de même mesurer la force du désir tourné vers Rimbaud, l’espoir irrationnel de voir réapparaître ce grand absent »

  2. Il n’est pas tout à fait exact qu’il n’y ait plus rien à comparer. Il existe des tirages d’époque (plus ou moins exploitables) de la plupart des photographies dans lesquelles apparaît Rimbaud (dont près d’une dizaine conservés au Musée Rimbaud et à la BnF). Pour les autres, on dispose désormais d’éléments de comparaison plus fiables (en particulier une copie de première génération, reproduite dans l’article d’AG, de la photo célèbre). Sans compter les oeuvres picturales et les sources écrites.

    La plupart des commentateurs préfèrent s’appuyer sur des documents erronés (comme Paris-Match, mais aussi Le Monde, qui reproduisent, en guise de photo de Carjat, un contretype trafiqué datant des années 1950).

    En fait, il est parfaitement possible de soumettre l’iconographie de personnages célèbres, dont celle de Rimbaud, à l’enquête historique et la critique des sources, pour arriver au plus près possible de la réalité.

    Mais cette réalité sera jamais que celle de l’image, ou plutôt celle des images. Or les rimbaldiens semblent postuler que « le portrait de Rimbaud c’est Rimbaud » ( ;-) )…

  3. @ JD: On n’en attendait pas moins d’un spécialiste de la comparaison d’oreilles. Néanmoins, cette méthode ayant en l’occurrence conduit plutôt sur des fausses pistes, il serait temps de dresser le bilan, assez désastreux, de l’usage du pied à coulisse et de la superposition d’images sauce Bertillon.

    Je maintiens, ce qui est l’évidence, que parmi la (maigre) photo-iconographie rimbaldienne, composée en tout et pour tout d’une dizaine d’items, seulement deux, la paire Carjat (deux portraits-cartes exécutés alors que Rimbaud a 17 ans), peut fournir matière à un examen de type anthropométrique. Malheureusement, nous n’avons de l’une que deux tirages originaux de très mauvaise qualité, pâlis ou détériorés, et de l’autre aucun original, mais uniquement des copies, dont les versions les plus anciennes sont à peine moins estompées.

    Les portraits-cartes des années 1870 sont des images de petite taille (9 cm de haut, où les visages font environ 2 cm de haut), réalisés de manière standardisée avec des optiques de qualité moyenne, ce qui explique qu’ils présentent le plus souvent un modelé médiocre. Il suffit de prendre en compte la physionomie lisse de l’adolescence ou le vieillissement des images pour saisir qu’on est ici en face d’un matériau très différent de la richesse de détails que produisent les nombreuses photographies de bonne qualité d’un Baudelaire – adulte fait dont les traits du visage sont bien marqués. Si l’on ajoute à ces différents points que la plus célèbre image de Rimbaud, dont il n’existe que des copies, est aussi celle qui a fait l’objet des manipulations photographiques les plus appuyées, on comprend qu’on se trouve ici devant un document particulièrement problématique. Voilà ce qui devrait constituer le point de départ de toute interrogation visuelle concernant Rimbaud.

    C’est bien ce que toute la discussion sur la photo d’Aden a démontré. La comparaison avec les portraits de Rimbaud n’a jamais permis d’établir quoique ce soit (alors que d’autres comparaisons effectuées à partir de sources correctes, pour d’autres personnages de la photo, ont rapidement emporté la conviction, sans nécessité de recourir à aucune mensuration de lobe d’oreille).

    Un dernier détail, dont je ne comprends pas qu’il n’ait pas été soulevé lors de la présentation de l’expertise de Brice Poreau: il est évidemment assez cocasse d’appliquer la méthode anthropométrique («avec une précision de l’ordre du centième de millimètre») à la photo d’Aden, affectée d’un flou de bougé en raison de l’ébranlement de l’obturateur, ce qui fait qu’aucun contour n’est net… ;)

  4. Bonjour M. GUNTHERT,

    Je m’en voudrais de ne pas laisser mon commentaire « traîne partout » de cette ébouriffante découverte, sur votre site, d’autant que vous avez eu – vous – l’obligeance de me citer.

    Au sujet de nos découvreurs de la photo d’Aden et du « sérieux » de leur travail de recherche, je vous invite à lire ma recension de l’article de Jacques Desse sur le dénommé Joseph Négoussié (sur mon blog).

    C’est édifiant.

    Bien à vous

    Circeto

    RIMBAUD : CE PORTRAIT QUI NOUS EMEUHHHH ! (selon Franck Ferrand in Paris Match)

    « Quand l’ombre bave au bois comme un mufle de vache » : A.Rimbaud.

    Sans doute est-ce pour achever en beauté 2015 (putain d’année !), que Franck Ferrand nous livre, sur le site de Paris-Match, une « version du pauvre » de l’éternelle historiette du portrait retrouvé du maudit poète.

    Malheureusement, n’est pas Jean-Jacques Lefrère qui veut !

    Devant le portrait ici présenté, l’on ne sait d’abord s’il faut rire ou pleurer, ou plus utilement conseiller au découvreur – et à son thuriféraire – d’aller consulter de toute urgence un ophtalmo (début de DMLA ?).

    Même si Lefrère s’est en définitive tout autant trompé, du moins son « Rimbaud » d’Aden offrait-il une certaine ressemblance avec le poète, un visage à peu près acceptable pour défendre sa thèse.

    Or point de tout cela, ici !

    Cet homme ressemble en effet plus à mon trisaïeul (Antoine Rambaud – dit Circetaud ), photographe professionnel à ses heures, qu’à Arthur Rimbaud, poète aux siennes.

    « Quel regard ! » : s’exclame Franck Ferrand, d’évidence encore tout émerveillé des agapes de son réveillon. Pour cette (seule) raison, nous lui pardonnerons, volontiers, cette faute de goût et ce faux-pas. Petit détail, notons que la personne exhibant à l’image la photocarte a préféré enfiler des gants afin de ne laisser aucune empreinte compromettante ! Comme nous la comprenons !

    Les personnes ayant quelque peu suivi l’histoire du soi-disant portrait de Rimbaud à Aden, retrouveront ici, traits pour traits, les inévitables travers, biais de présentation et autres amalgames qui, à l’époque, parsemaient les articles (foutrement plus copieux) de Jean-Jacques Lefrère et de Jacques Desse. On peut même parler de véritable copié-collé, tant pour le fond que sur la forme.
    Pastiche ?

    Comme un petit quelque chose de « déjà-vu »…

    Qu’écrivaient donc, en 2010, les libraires Desse et Caussé, à propos de leur photo d’Aden ? Quel élément de pure subjectivité présentaient-ils comme facteur déclenchant de leur réflexion : le fameux regard déjà-vu ! « L’intensité de son expression, ce regard sans aménité nous rappelle quelqu’un ».

    Même formulation dans l’article de Ferrand : « Ce regard, Carlos est à peu près certain de l’avoir déjà vu. Mais où ? ».

    Ce regard unique … (et, petit plus ici, le nœud de cravate idem).

    Ferrand poursuit alors sur la veine « pierrebellemaresque » qui fait son succès radiophonique : « Regard étrange. A la fois profond et absent. Vague et pénétrant. Le regard lointain d’un visionnaire, ou bien d’un voyageur…Soudain, le cœur de Carlos se met à battre à tout rompre (mince, il va aussi falloir consulter le cardiologue). Et si ce regard singulier, envoûtant, ce regard qui le hante depuis des jours maintenant était celui de l’homme aux semelles de vent  ?». C’est beau comme du Verlaine !

    Dans un style (aisément) moins grandiloquent, Lefrère évoquait : « celui qui est assis sur la droite (…) attire l’attention, tant par la singularité de son attitude que par l’intensité de son expression » et qualifiait déjà ce regard d’absent. Etc…

    Quelle dose de naïveté faut-il donc garder pour croire qu’à toute heure, en toute circonstance, un poète se doit de présenter, au monde, un infrangible et inoubliable regard de poète ?

    Nous passerons – sans nous y arrêter plus que cela ne mérite (lire tous les articles précédents sur mon blog http://rimbaudetaitunautre.blogs.dhnet.be/

    , car là également le copié-collé suffit) – sur les inévitables pseudo recherches, expertises à la « mords-moi le nœud » et autres billevesées à deux balles étayant l’argumentation (?) développée (?) par Carlos Leresche et reprise en bloc (de foie gras ?) par Franck Ferrand : les inévitables portraits superposés, les experts en tout et en rien : spécialistes de Greuze, Dame Cartier-Bresson de la maison de la photographie, Sieur Bertillon et son gendarme assermenté, sans oublier le dorénavant incontournable expert en analyse biométrique et anthropomorphique (Brice Poreau – et son e-pied à coulisse – enfin sauvé des eaux ?).

    Dépassons à présent le bla-bla, les écrans de faux savoirs et de vraie fumée de ces articles d’un jour, aussitôt lus, aussitôt repris – sans vérification – par les confrères (par exemple Le Figaro qui n’en est pas à son galop d’essai) et tout aussi vite jetés.

    Venons-en à l’essentiel ! Arthur Rimbaud peut-il ou non être dans l’album de photos de Liane de Pougy ?

    Voilà, en effet, la vraie question, la seule question, celle qui, une fois résolue, nous fera prendre en considération – ou non – l’hypothèse défendue par Franck Ferrand (journaliste spécialiste d’histoire), celle qui tant fait bondir le cœur de Carlos Leresche. L’auteur de l’article reconnaît, en effet, que 2 initiales (AR) constituent tout de même un indice un peu faible – quoique « bienvenu » (excellente private joke !) – pour identifier le poète « à la culotte au large trou et aux élastiques contre son cœur ».

    Et là, il n’est nul besoin d’être spécialiste du maudit poète ou de la grande horizontale pour comprendre l’impossibilité d’une quelconque rencontre de Rimbaud et de l’hétaïre. Quelques dates de leurs biographies respectives suffisent en effet pour balayer, d’un revers ganté de blanc et de main, cette hypothèse.

    Comment, sinon sous l’influence mal dissipée de tenaces petites bulles champenoises, avez vous pu, Monsieur Ferrand, laisser échapper ces quelques lignes : « On ignore comment il aurait rencontré Liane qui, à 22 ans, a déjà tous les hommes à ses pieds. Lors de quel départ, de quel retour, de quel transit parisien, il conviendrait de le situer ». N’était-ce donc pas précisément de ce côté qu’il aurait fallu commencer la recherche ? Que de mots perdus !

    Je serai, quant à moi, concis.

    Arthur Rimbaud quitte la France, en 1879, pour Chypre puis Aden et l’Abyssinie. En 1879, Liane de Pougy (de son nom de paix, Anne-Marie Chassaigne) a 10 ans ! Oui : 2 fois 5 ! Vous conviendrez qu’il y a donc peu de chances que la pitchoune – même plus éveillée que la moyenne – possède alors une photo d’Arthur (parfait inconnu), au chaud, dans son livre de messe.

    Or Rimbaud ne remettra les pieds (surtout le gauche), en métropole, qu’en mai 1891. Il n’y a en effet, Monsieur Ferrand, ni allers, ni retours, ni transits d’Arthur R., en France, entre 1879 et 1891. Tout biographe du poète (de ce monde ou de l’autre) vous le confirmera aisément.

    Certes, en 1891, Anne-Marie (qui a 22 ans) devient Liane de Pougy, la coqueluche de la plaine Monceau et du Bois réunis, mais cette année-la, bêtement, Rimbaud (inconnu du grand comme du demi-monde) sera trop occupé à mourir pour se soucier d’autre chose.

    A sa décharge, il n’avait jamais eu, sa vie durant, un excellent sens des priorités, ni su rouler dans la bonne ornière. Sans doute est-ce pour cela qu’il n’a jamais pu devenir journaliste (canular ou non)

    Circeto

  5. C’est une heureuse idée de redonner mon article du Monde un peu oublié… André Guyaux que j’interrogeais à ce propos disait dans un entretien publié sur mon blog qu’il avait été « impressionné par l’exceptionnelle médiatisation de cette prétendue découverte et par le fait que la presse et les médias, prompts à annoncer cette nouvelle extraordinaire, étaient très discrets lorsque les doutes, pour ne pas dire plus, sont apparus. » André Guyaux est éditeur de Rimbaud dans la Pléiade et a dirigé l’édition du catalogue de l’exposition du musée d’Orsay consacré notamment à l’iconographie rimbaldienne. En ce qui concerne l’authentification donnée par Brice Poreau par la méthode dite biométrique, publiée par un laboratoire de l’Université de Lyon 1, j’ai immédiatement écrit à cette université que j’avais des doutes sur le sérieux de cette publication. Suite à mon intervention le laboratoire ( qui n’était pas validé !) a été supprimé. J’ai donné par la suite une réfutation scientifique de cette méthode. En ce qui concerne l’apparition de la nouvelle photo présumée de Rimbaud issue de l’album de Liane de Pougy, elle est tellement peu crédible que tout semble fait pour valoriser la photographie d’Aden en insistant sur son authentification : «  avec une forte probabilité » précise l’article initial de Paris-Match, tandis que dans les articles récents de Télérama et du Monde on montre (encore!) l’image de la photographie d’Aden et on cite le laboratoire fantôme en insistant sur l’authentification à 98% de cette photographie.

  6. Il est assez évident que l’information « Ce n’est pas Rimbaud » n’a pas le même potentiel médiatique que l’information « Une nouvelle image de Rimbaud », ce qui déséquilibre le débat. Il y a aussi une dynamique des arguments: l’analyse de Poreau est arrivée après un long débat contradictoire consacré à l’identification des personnages et à la comparaison des agendas, avec plusieurs rebondissements et des interprétations contradictoires… Outre la force de la preuve chiffrée (à plus forte raison si on ne la vérifie pas, ou si on se trompe de pourcentage, en citant celui de 98%, qui est le taux de ressemblance allégué des deux photos Carjat… ;) la démonstration anthropométrique a présenté l’avantage de modifier le registre argumentaire, et est ainsi passée pour une conclusion – chiffrée, donc scientifique, donc indubitable – d’une discussion de spécialistes aussi interminable qu’indécidable… Alors même que cet argument ne faisait que déplacer sur le terrain statistique la ressemblance qui était à l’origine de la controverse – et qui en soi ne prouve rien…

Les commentaires sont fermés.