Demain nous sourit

demain_2015La récompense était attendue. Après l’accueil chaleureux de quelque 700.000 spectateurs, le César du documentaire est venu couronner le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Demain. Un ovni au pays des documentaires écolos, centré sur l’idée de proposer des «solutions», mais aussi de forger un nouveau récit face aux défis d’une planète malade, dont l’accumulation paraît souvent désespérante.

Composé sur le principe d’un road-movie emmenant l’équipe du tournage à la rencontre d’acteurs et de militants tout autour du globe, Demain profite d’indéniables qualités, à commencer par une vision synthétique, qui englobe l’économie, le politique ou l’éducation, une construction robuste et une narration intelligible, ainsi qu’une densité d’informations spécialisées encore peu connues du grand public. Plus qu’un documentaire revendiquant les apparences de la neutralité, Demain se présente comme un film de propagande joyeusement engagé. C’est aussi de ce parti-pris que découle une esthétique quasi-publicitaire de positivité à outrance, ponctuée de larges sourires et soulignée par une BO super sympatoche, idéale pour un voyage en car.

Un docu écologique sans drame ni culpabilisation? C’est le pari narratif de Demain, qui explique largement son succès public. Cette positivité affichée fait évidemment grincer les dents des militants les plus radicaux. Il faut toutefois mesurer que le paradoxe qu’elle impose est le même que les bonnes résolutions de la COP 21, programme voué à proposer un avenir viable, dans la mesure où s’accomplit la mobilisation à laquelle il appelle – autrement dit, la quadrature du cercle de toute propagande qui, pour promouvoir un changement de comportement, le présente nécessairement de manière attractive.

Il faut également souligner que l’absence de culpabilisation du film découle d’une analyse politique orientée. Pas question de reprocher à tout un chacun de laisser couler son robinet trop longtemps, dès lors que les responsables désignés des catastrophes écologiques sont les industries mondialisées et le personnel politique qui sert leurs intérêts. De ce côté-ci, on notera la mise en exergue du modèle islandais, engagé dans la réécriture de la constitution, l’éloge du tirage au sort pour choisir ses représentants, ou celui de la création de monnaies alternatives, solutions radicales qui vont bien plus loin que le statu quo de la COP.

Faut-il donner un visage souriant à ces propositions de réforme pour convaincre au-delà du cercle militant? Telle est à l’évidence l’option d’un film qui profite des temps morts pour remettre à l’écran l’image de la blonde Mélanie Laurent, et qui adresse une question fondamentale sur les récits que nous sommes prêts à entendre. On pourra en revanche regretter que Demain, tout à son hymne des gentils, gomme systématiquement les méchants, sans jamais leur donner un visage. Dans son ouvrage Tout peut changer (Actes Sud, 2015), Naomi Klein n’omettait pas de souligner la résistance acharnée des intérêts économiques, pas prêts à renoncer à leurs dividendes pour préserver la biodiversité ou le bonheur sur Terre.

4 réflexions au sujet de « Demain nous sourit »

  1. Pour Cyril Dion,
    « C’est parfaitement normal que les détenteurs du pouvoir ne changent rien. Vous ne pensez quand même pas que ce sont les gens qui sont au pouvoir, qui ont tous les bénéfices du système actuel qui vont le changer. Les responsables politiques actuels ne sont pas encore capables de mettre en oeuvre les changements de façon institutionnelle.”
    http://www.lalibre.be/culture/cinema/demain-le-jour-d-avant-568b90a33570b38a57fa49df

  2. « Demain », vers quelle société future ?

    Comment expliquer l’engouement généré par le documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent ? A quelles attentes répond-il ? … C’est notamment ce à quoi Pascal Claude essaye de répondre ce soir dans Face à l’info avec ses invités : Isabelle CASSIERS, chercheuse qualifié du FNRS à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) et au Centre Interdisciplinaire de Recherche Travail, Etat et Société (CIRTES) de l’UCL Sébastien BRUNET, administrateur général de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) et politologue Emmanuel DRUON, président de POCHECO et auteur du livre : « Ecolonomie, entreprendre sans détruire » paru chez Actes Sud Olivier DE SCHUTTER, professeur de droit international à l’université catholique de Louvain et ancien rapporteur pour le droit à l’alimentation aux Nations unies

    (PODCAST)
    http://www.rtbf.be/radio/podcast/player?id=2088392&channel=lapremiere

  3. Le spectacle de Demain…

    Le tribunal de l’inquisition médiatico-politique nous absoudra t-il pour avoir osé y toucher? D’avoir fissuré le consensus? D’avoir montré que la pensée bourgeoise, sous de faux airs, se déguise plus souvent qu’on ne le croit des habits de la contestation?

    Et vous, qui verrez peut-être en nous “ceux qui critiquent tout, tout le temps”, reconnaîtrez-vous la présence d’arguments valides dans le texte qui suit? Verrez-vous que nous ne cherchons pas à tout détruire, mais qu’au contraire nous voulons démonter ce qui participe de la continuité mortifère de ce monde, pour en construire un autre. Enfin.

    Le succès de Demain et les espoirs placés dans ce film en disent long sur notre difficulté profonde à inventer collectivement un nouveau paradigme, révélant aussi notre infantilisation politique et rappelant le manque criant de lieux dans lesquels le débat public véritable – avec conflits et désaccords – puisse se faire. Si Demain crée facilement ce sentiment de « cohésion », unité de tous dans le combat écologique dans une béatitude absence d’une dimension conflictuelle – « cohésion » s’arrêtant très certainement aux portes du cinéma –, c’est parce qu’il omet de nommer une chose essentielle : les inégalités profondes, qui sont la création intrinsèque du système capitaliste. Désolé donc pour ceux qui y croyaient : Demain ne participera pas du changement.

    « La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire ». Paul Nizan, Les chiens de garde, 1932.

    « L’intimidation fait partie de la violence symbolique. Pour que cette dernière soit efficace, c’est-à-dire pour que les hiérarchies sociales soient respectées en pratique, même si elles sont idéologiquement contestées, il faut en effet que les dominés soient intimidés par l’univers des dominants (…) Entrer chez Dior, lorsqu’on n’ a rien à faire, c’est comme passer de l’autre côté de l’iconostase dans les églises orthodoxes, c’est franchir la limite entre le profane et le sacré, outrepasser ses droits et ses possibilités, défier des forces qui ne sont pas à notre mesure ». Michel Pinçon et Monique Pinçot-Charlot, « La violence des riches ».

    Bonne lecture.
    Alexandre Penasse, rédacteur en chef KAIROS
    http://us5.campaign-archive2.com/?u=4002f970f42fa3c587b2884bd&id=c29cbc1340&e=4042fcf631

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