Le regard invitant qui ne nous voit pas

Dominique Gauthey, meeting de J.L. Mélenchon, Paris, 05/02/2017.

Je n’ai pas encore vu la séquence, promise à la célébrité, de la projection dite “holographique” de Jean-Luc Mélenchon (il s’agissait plus modestement d’un dispositif mono-caméra de production d’un reflet sur support transparent). Mais cette illusion d’optique m’a rappelé une récente visite au musée Grévin, où l’étrange gêne provoquée par la proximité des statues de cire indique que l’effet de présence est moins dû au réalisme de la représentation qu’au présupposé interactionnel décrit par la psychologie sociale.

Musée Grévin, 2017 (photo AG).

En présence d’un être humain, nous nous préparons à l’éventualité d’une interaction, en accordant une part de notre attention aux éléments de communication interprétables – posture, gestes, mimiques, etc. La perception d’une statue déclenche d’abord cette forme de vigilance réflexe, qui s’éteint en l’espace d’un instant, le temps d’identifier cette source comme un objet inerte.

Les postures et les mimiques curieusement arrêtées des statues de cire présentent un aspect désagréable, dont on comprend rapidement qu’il provient du caractère artificiel d’une expression qui ne s’adresse à personne en particulier, mais qui n’est qu’une fiction d’interaction. Le regard dans le vide des statues choque et dissipe l’impression de réalisme – jusqu’au moment où un visiteur, jouant avec le personnage à l’occasion d’un selfie ou d’une pose photographique, se place volontairement dans l’axe de vision immobile du mannequin. A cet instant, présence et réalisme renaissent, donnant l’illusion de la vie par le simulacre d’une interaction, qui seule donne sens à l’ensemble des codes expressifs du langage corporel.

Musée Grévin, 2017 (photo AG).

Le réalisme du regard adressé, pour la réalisation d’un portrait photographique ou d’un direct télévisé, repose sur la même projection par le destinataire d’une interaction qui est en réalité, sinon inexistante, du moins médiée et en partie falsifiée – car le modèle ou le présentateur ne nous regardent pas vraiment: il dirigent leur regard sur l’objectif de la caméra.

On peut chercher l’origine de ce dispositif du côté de l’icône chrétienne, qui choisit dès les premiers siècles de notre ère de suggérer le dialogue avec la divinité par la frontalité d’un portrait qui cherche notre regard. Pas plus que le présentateur du JT ou la statue de cire, ce producteur d’une invitation à communiquer ne peut toutefois nous apercevoir, ni répondre à nos questions.

Christ Pantocrator, 13e s. (Sainte-Sophie, Istambul).

5 réflexions au sujet de « Le regard invitant qui ne nous voit pas »

  1. Très intéressant (je me souviens, dans ce même musée Grévin, m’être fait photographier, il y a quelques années, par mon fils assis à côté de la reproduction de Jean-Paul Sartre…).

    Il est amusant de constater ici la proximité des mots « selfies » et « réalité falsifiée »… (le Pape se laisse faire sans souci).

    Pour JLM, on retiendra de son intervention du 5 février à Lyon, non pas le discours populiste habituel mais l’utilisation de cet avatar technique qui effacé carrément ses propos derrière l’apparition de son double « technologique » à Paris et Aubervilliers.

    Une pauvre magie (il a perdu la baguette) de l’instantané à distance au lieu du lien direct avec les électeurs, non dupes par ailleurs.

  2. Le faux, la falsification, le mensonge, l’erreur, la duperie, la tromperie, l’avatar, l’artefact, la représentation, la duplicité, le double et puis en face, la vérité, la vraisemblance, la réalité, la loyauté, la foi et l’évidence de la vraie valeur… partout les pistes ne cessent d’être brouillées : les vraies réponses ne sont certainement possibles à trouver, identifier, apercevoir que dans nos âmes… Pour le reste

  3. @PdB. Avec le temps la vérité finit par s’établir. Il a fallu 7 ans pour que les bonnes raisons, qui ne permettent pas d’identifier Rimbaud sur un cliché ancien révélé en 2010 par deux libraires, soient clairement données. Il y eut de longs débats à ce sujet auxquels André Gunthert a participé dans son atelier des icônes. L’article a été publié en janvier dans un dossier Hors-Série du Monde au chapitre : «  Images et supercherie »  par le photographe Amaury da Cunha. André Gunthert est cité dans l’article au sujet d’une autre photographie censée aussi représenter Rimbaud, mais qui relevait de la farce comme le dit Monsieur Da Cunha.

    Voir à ce sujet : http://rimbaudivre.blogspot.fr/2017/01/la-photographie-daden-qualifiee-de_27.html

    Jacques Bienvenu

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