Le diaporama entre dans le rituel funéraire

soleilvert
Extrait de « Soleil vert » (Richard Fleischer, 1973), photogramme.

Il m’a été donné récemment d’assister à la crémation d’un proche. L’impression laissée par le cérémonial encore embryonnaire, comparé au rituel religieux, reste marquée par la frustration et l’inconfort. La célébration comportait cependant une nouveauté, par rapport à mes précédentes expériences: un grand écran occupait le fond de la salle, et a été utilisé pour projeter un diaporama, présenté par l’officiant comme un « poème » en hommage au défunt. Il s’agissait d’un montage générique d’images champêtres anonymes et de paysages enneigés sur fond de musique classique, qui a eu le désagréable effet d’éveiller chez moi le souvenir de la fin de vie administrée dans Soleil vert (Richard Fleischer, 1973).

Une rapide recherche sur internet suggère à l’inverse que, si le dispositif audiovisuel s’installe dans les crématoriums, celui-ci est plutôt utilisé pour personnaliser la cérémonie en montrant une sélection d’images choisies par les proches. Les offres de productions professionnelles se multiplient (voir exemple diffusé par une entreprise spécialisée). Le diaporama ou la vidéo mortuaire entrent ainsi depuis quelques années dans la longue tradition d’accompagnement photographique du deuil.

Le diaporama est un format dédaigné par l’analyse, alors qu’il constitue un puissant mode d’expression vernaculaire, dont le partage par voie d’e-mail assure une diffusion à l’abri du jugement collectif des réseaux sociaux (mais pas du regard du dessinateur Boulet). La composition de ce successeur électronique de l’album confirme la normalisation de la production individuelle d’images fixes, au détriment de la vidéo, qui paraît encore peu présente dans l’archive privée.

Si le recours à la photographie autoproduite paraît un réflexe logique pour évoquer la mémoire d’une personne disparue, il est intéressant de noter que son intégration au sein de la cérémonie funéraire passe par l’intermédiaire de la crémation (rituel venu d’Asie, qui représente aujourd’hui un tiers des obsèques et ne cesse de progresser), dont les codes paraissent encore plastiques et adaptables.

Comme les poèmes, les morceaux de musique ou les interventions des proches, le diaporama participe d’un souhait d’individualisation de la célébration, tendance qui concerne aussi le mariage ou d’autres occasions cérémonielles. La mobilisation de l’image photographique paraît donc exprimer ici l’opposé du rôle de subordination à la norme qu’identifiait Pierre Bourdieu au début des années 1960 dans Un art moyen.

On peut toutefois noter que la présence de l’image du défunt ne va pas forcément de soi dans le cadre du deuil. Certaines entreprises proposent une formule générique précisément pour atténuer l’émotion que pourrait produire l’évocation visuelle du disparu.

5 réflexions au sujet de « Le diaporama entre dans le rituel funéraire »

  1. Mon expérience et mes observations:
    L’affichage du diaporama mortuaire, personnalisé, est une pratique récente, d’usage plutôt dans la cérémonie commémorative célébrée en anglais que les funérailles organisées par les Chrétiens de l’Asie du Sud. Je ne suis pas spécialiste des traditions funéraires des différentes religions et cultes de cette région, mais la variétés des rites et le rôle du portrait du défunt, sa présence, son absence m’ont toujours fasciné.
    Dans la tradition hindoue, souvent un portrait, en noir et blanc, orné d’une guirlande (mala) de fleurs fraîches, accompagne le corps au site de la crémation. Pour des raisons pratiques il est impossible de défiler un diaporama aux funérailles (la dépouille est mise au feu en plein air pour libérer l’âme). Par contre, pour les rites commémoratives à la maison, le portrait du défunt, orné cette fois d’un mala de fleurs séchées pour toujours, marque son absence et sert d’objet tangible pendant les rites commemoratives.
    Quelques remarques sur cette cérémonie hindoue: la photographie autoproduite est absente puisqu’il s’agit d’une cérémonie religieuse et publique, ce qui oblige par respect une représentation sérieuse.

    Si, dans la tradition hindoue, le portrait doit marquer l’absence du défunt, il est quasi absent (à ma connaissance) des rites commémoratives musulmanes de l’Asie du Sud.

    Par contre, dans les cérémonies commémoratives chrétiennes, célébrées en anglais et qui sont plus inspirées de la culture occidentale, le diaporama mortuaire issue de la photo personnelle, est devenu un moment incontournable de la célébration. Je pense que dans le contexte des cérémonies croyantes, il s’agit de rendre l’hommage en célébrant en image la vie du défunt. Mais comme tu le notes à juste titre, ce partage n’est pas toujours facile. De mon propre expérience, lors de la cérémonie commemorative de mon père, je voulais le commémorer plutôt par sa poésie que par ces photos d’enfance. Mais dans ces contextes surchargés d’émotions, l’image en public (qu’elle soit la photo personnelle ou bien un montage générique) porte plus de poids que la parole et la raison.

  2. L’introduction de la crémation dans les pays européens, de tradition chrétienne, s’est visiblement développée d’abord comme une alternative profane (un texte de 1986 de l’Eglise catholique admet du bout des lèvres la pratique – mais dans ce cas, les funérailles proprement dites ont lieu à l’église, le crématorium représentant une étape non cérémonielle). La crémation au crématorium, lieu non consacré, reste donc la seule possibilité pour accueillir un diaporama…

  3. Bien vu, l’idée que la formule générique sert à atténuer la peine.
    J’ai assisté à un tel diaporama il y six ou sept ans, déjà, et j’avais été frappé par une chose toute bête et totalement explicable : le lieu de cérémonie (le crématorium du Père-Lachaise) n’était pas bien adapté à la projection, il n’y avait ni le recul ni murs bien placés. La projection visait donc un angle de la pièce, déformant le visage du défunt, ce qui l’aurait sûrement amusé.

  4. Au Mali, les funérailles sont souvent et depuis longtemps suivies en photo et vidéo, et diffusées sous forme de DVD.
    Les studios les plus avancés (comme le nôtre, un petit coup de pub ne fait pas de mal !) proposent de les mettre en ligne pour les smartphones.
    C’est un marché non négligeable pour les professionnels.

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