Un petit air de famille (ou les limites de la reconnaissance faciale)

Depuis l’été dernier, les dépêches se multiplient décrivant les nouvelles formes de surveillance dans l’espace public en Chine, basées sur la reconnaissance faciale. De tels articles alimentent la peur d’une nouvelle inquisition panoptique. Il y a pourtant fort à parier que ces évocations alarmistes reflètent des stratégies de communication plutôt qu’une véritable information.

Les articles qui évoquent ces applications le font de manière extrêmement floue, en mélangeant des technologies sans rapport, comme l’identification à partir d’enregistrements vidéo et le face mapping de l’iPhoneX, qui est une reconstitution 3D réalisée à partir d’un projecteur et d’un capteur infrarouges dédiés, impossible à réaliser en 2D. Ou en superposant des contextes divers, comme l’identification à l’échelle d’une entreprise avec la vidéosurveillance de l’espace public.

Or, la reconnaissance faciale à partir d’une image 2D est une technique peu discriminante, en raison d’une limite de principe. Eclairage, expression, changement de coiffure, port de lunettes, etc.: l’aspect du visage peut présenter un grand nombre de variations. Le logiciel doit donc tenir compte de ces écarts, faute de quoi il échouerait à reconnaître l’identité d’une même personne. Le réglage de cette marge d’appréciation entre en conflit avec la ressemblance qui peut exister entre des individus différents.

La reconnaissance faciale est donc un système efficace pour des groupes restreints. Il est en revanche impossible d’obtenir de bons résultats à grande échelle, en raison de la multiplication des erreurs. C’est pourquoi, malgré un déploiement de moyens considérables, l’identification préventive de terroristes fichés est restée jusqu’à présent un vœu pieux de la vidéosurveillance.

Pour documenter ces applications, j’ai testé sur mon Mac la fonction de reconnaissance faciale du logiciel d’archivage de photographies (Photos 1.5, 2016, sous IOS 10.11.6), et plus particulièrement sa fonction d’apprentissage, qui propose à l’usager d’améliorer la reconnaissance en lui soumettant des visages identifiés dans la base.

En testant la reconnaissance de mon propre portrait, le logiciel l’a confondu avec un grand nombre de personnes présentes dans ma photothèque, dont la ressemblance ne saute pas aux yeux, notamment: Hubertus von Amelunxen, Louis Bachelot, Gil Bartholeyns, Geoffrey Batchen, Raphaële Bertho, Rémy Besson, Joe Biden, Samuel Bollendorff, Nathalie Boulouch, Olivier Beuvelet, Matthias Bruhn, Myriam Chermette, Giovanni Careri, Erwan François, James Elkins, Olivier Ertzscheid, Valentina Grossi, Vincent Goulet, Charles Gunthert, Dörte Gunthert, Edith Gunthert, François Hollande, Jean Kempf, Vincent Lavoie, Fanny Lautissier, Audrey Leblanc, Sylvain Maresca, Tom Mitchell, Lucas Morlot, Gérard Noiriel, Mathieu Polak, Nicolas Sarkozy… (je remercie mes amis et mes proches pour leur participation involontaire à cette expérience).

Même s’il ne s’agit que d’une application grand public, celle-ci travaille à partir d’images d’une définition bien supérieure à celles de la vidéosurveillance. Il convient donc de relativiser les revendications optimistes des partisans de ces systèmes, surtout lorsque les informations fournies mêlent des usages différents, sans indication des taux d’erreurs.

4 réflexions au sujet de « Un petit air de famille (ou les limites de la reconnaissance faciale) »

  1. intéressant, mais ne confondez pas les résultats d’algorithmes déjà datés, d’une part déjà datés, distribués sur des plateformes grand-public, et d’autre part des algo récents bénéficiant d’autres moyens de développement.

  2. Pour avoir creusé le sujet, je te donne tout à fait raison sur le fait que la communication qui entoure les outils de reconnaissance faciale est précisément de la communication, elle sert à vendre un produit. Beaucoup d’annonces liées à l’Intelligence artificielle (même si ça entre dans l’Informatique appliquée, la reconnaissance est née de l’IA et profite de ses développements) sont de la même manière destinées à vendre des produits, peu importe que tel ou tel logiciel soit vraiment utilisable, ce qui compte c’est d’obtenir le marché.
    Ceci étant dit, la reconnaissance faciale a fait des progrès très importants, et les changements d’éclairage, par exemple, n’affectent pas forcément les logiciels les plus au point, ou pas plus qu’ils n’affectent chacun de nous. Note aussi que dans une captation vidéo on trouve une quantité de photogrammes différents.
    Mais le vrai problème n’est pas de savoir si ça fonctionne, il est de savoir comment on va l’utiliser, car pour la sécurité et l’armée, on n’hésite pas à utiliser les technologies avant qu’elles soient fiables, et en acceptant des marges d’erreur : les drones « capables » de déterminer si leur cible est amie ou ennemie que l’on met au point actuellement ne le peuvent qu’à un certain pourcentage de fiabilité, et ce sont les ingénieurs, les militaires ou les politiques qui décident du seuil, de la marge d’erreur à partir de laquelle on peut faire feu : ce n’est pas parce que la technologie n’est pas fiable à 100% qu’elle n’est pas dangereuse.
    Enfin, il est probable aussi que dans des cas d’utilisation de la reconnaissance faciale on nous demande de nous adapter à la machine. La RATP a par exemple déposé (puis désavoué, face au tollé) un brevet de portillon automatique pour lequel le titre de transport est la tête de l’usager. Eh bien pour passer, il faut regarder la caméra, dans un environnement lumineux contrôlé. Donc pas forcément à l’insu du surveillé, mais au contraire avec sa participation active et forcée. Mécanique déjà à l’œuvre pour établir une pièce d’identité : si l’on doit ne pas sourire lorsque l’on fait une photo d’identité, si on doit n’avoir aucune expression, c’est bien parce que ça permet de récupérer les cotes de notre visage.

  3. @Jean-No: Merci pour ton commentaire! Oui, les technologies ont progressé, mais restent tributaires du fait que notre visage n’est pas un bon identifiant (à la différence de l’ADN, des empreintes digitales, de l’iris de l’œil, etc…). Encore une fois, l’efficacité d’une identification faciale est essentiellement liée à la taille du groupe. L’identification à grande échelle ne marche pas, tout simplement parce que son taux d’erreur est trop élevé. Nous aurons une autre vision de ces technologies lorsque les entreprises communiqueront leurs taux d’erreurs et la taille des échantillons.

    Même la technologie de face mapping, actuellement la plus discriminante, n’est pas exempte d’erreurs (http://www.newsweek.com/iphone-x-racist-apple-refunds-device-cant-tell-chinese-people-apart-woman-751263). Aucune reconnaissance faciale n’est infaillible, et il paraît absurde dans ces conditions d’associer cette technologie à des systèmes d’identification impératifs.

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