Séminaire «Photographie, édition, presse»

Séminaire « Photographie, édition, presse. Pour une histoire culturelle des producteurs d’images (XIXe-XXIe siècles)»

Marie-Ève Bouillon, chercheuse associée au CEHTA (EHESS), André Gunthert, maître de conférences de l’EHESS (CRAL-CEHTA, en grève), Laureline Meizel, chercheuse associée à l’EA 4100-HiCSA (Paris 1)

Pour la deuxième année consécutive, le séminaire s’attache à explorer le champ de recherche dynamique qui consiste à appréhender l’histoire de la photographie par le biais des producteurs d’images, qu’ils participent à leur conception, à leur fabrication, à leur financement et/ou à leur diffusion. En articulant l’analyse de la dimension économique, sociale et culturelle de ces acteurs avec l’étude des objets produits, cette approche vise à saisir leur inscription dans l’industrie culturelle.

En effet, l’étude des rapports entre les stratégies économiques des producteurs, les images effectivement réalisées, leur réception enfin, nous semble à même de retracer la chaîne d’intentionnalités dont elles résultent, ainsi que les usages dont elles ont fait l’objet. Leur circulation sur différents supports édités et leur diffusion en masse recomposent les relations sociales et culturelles. Dès lors, elles participent à une formulation de nos imaginaires contemporains. Relevant de l’histoire culturelle et matérielle, la méthodologie proposée intègre l’analyse et la documentation précise des images comme préalable à leur utilisation comme source. Elle se place en outre à la croisée de plusieurs approches historiques de la photographie : économique, sociale et politique. À travers des études de cas, le séminaire interrogera le rôle des photographes, opérateurs, agences de photographies et de presse, éditeurs, éditeurs de cartes postales, éditeurs-photographes, imprimeurs ou encore photograveurs.

Cette année sera plus particulièrement consacrée aux éditeurs et intermédiaires de l’édition, et à leur rapport à la photographie.

Séminaire de recherche ouvert aux doctorants et M2, 2e et 4e jeudis de 18 h à 20 h (INHA, salle Walter-Benjamin, 2 rue Vivienne, 75002 Paris), du 27 février au 28 mai 2020 (6 séances). Validation par compte rendu de lecture.

Compte tenu de la mobilisation contre la réforme des retraites, la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, et généralement la casse des services publics et la destruction des conquis sociaux, le programme est susceptible d’être modifié. En cas de manifestation interprofessionnelle, les séances seront annulées. Pour être tenu.e.s informé, merci de nous faire part de votre souhait d’assister au séminaire à : seminairePEP@gmail.com.

 

PROGRAMME

  • Séance 1. Introduction générale / 27 février 2020

Introduction au séminaire par Marie-Ève Bouillon (docteure en Histoire et civilisations, chercheuse associée au CEHTA (EHESS) et chargée de mission photographie aux Archives nationales) et Laureline Meizel (docteure en Histoire de l’art, chercheuse associée à l’EA 4100-HiCSA (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et lauréate du programme de soutien à la recherche et à la création de l’Institut pour la photographie)

Les inventeurs brevetés de la photographie au XIXe siècle : des producteurs d’images singuliers ? Portraits d’inventeurs, parcours d’inventions, communication d’Amandine Gabriac (doctorante en Histoire à l’Université de Paris (ICT) et chef de projet archivage à l’Institut national de la propriété industrielle)

Les inventeurs de la photographie au XIXe siècle sont-ils des producteurs d’images comme les autres ? Quelles images produisent-ils concrètement dans leurs dépôts de brevets, dépôts de marques, et plus généralement pour la promotion, la diffusion et la valorisation de leur(s) invention(s) ? Encouragent-ils seulement la production d’images photographiques ou bien proposent-ils également des formes visuelles qui caractérisent leur activité inventive, leur parcours professionnel ? En quoi ces images participent-elles de la poétique de l’inventeur, de son image sociale et de son souci commercial ? Sur quelles sources se baser pour comprendre leurs trajectoires et leur inscription dans la production photographique ? Entre histoire sociale, naissance de l’industrie photographique, histoire économique et culturelle, c’est à ces questionnements que cette communication tentera d’apporter des éclairages.

 

  • Séance 2. Exposer une histoire transnationale de la carte postale au prisme de ses producteurs, son appropriation, ses formes : Greetings from America. La carte postale américaine 1900-1940 / 12 mars 2020

Communication de Marie-Ève Bouillon (docteure en Histoire et civilisations, chercheuse associée au CEHTA (EHESS) et chargée de mission photographie aux Archives nationales) et de Carine Peltier-Caroff (responsable de l’iconothèque du musée du quai Branly-Jacques Chirac)

Envoyer une carte postale au début du XXe siècle devient une pratique courante pour célébrer une visite, embellir l’expérience d’un voyage, ou plus généralement transmettre à autrui une pensée dans une situation hors du commun. C’est aussi un moyen de renforcer les liens interpersonnels à travers une correspondance simple, rapide et imagée. Accompagnant la circulation des personnes, la carte postale illustrée se répand ainsi rapidement, et presque simultanément, des deux côtés de l’Atlantique. Avec elle, les imaginaires s’étoffent, appuyés des récits personnels qui accompagnent généralement l’image.

Les histoires d’édition peuvent aussi s’établir parallèlement. Par exemple, des éditeurs basés en Amérique comme Adolph Selige, Rieder ou Curt Teich, impriment en Allemagne, pour des raisons économiques. Des éditeurs anglais comme Tuck et fils, s’appuyant sur leur longue expérience, construisent des réseaux de commercialisation de leurs cartes en Amérique. Enfin, l’importante Detroit photographic Company, à l’ambition expansionniste, exploite le brevet d’une société suisse, la Photoglob de Zurich, pour produire ses cartes postales en couleurs.

Une exposition, présentée à l’Institut pour la photographie de Lille du 11 octobre au 15 décembre 2019, a interrogé la circulation des images sur cartes postales de l’Amérique du Nord vers la France entre 1900 et 1940, et a mis au jour une histoire transnationale de leur production et de leur diffusion. Première présentation du genre, cette exposition souhaite révéler l’intérêt de la carte postale illustrée comme objet d’histoire et invite à la penser comme phénomène culturel, au-delà de l’image qu’elle présente.

 

  • Séance 3. Les photothèques d’éditeurs : le cas Hachette / 26 mars 2020

À travers l’expérience de Sylvie Gabriel (responsable de la photothèque du groupe Hachette Livre) et celle de Sabine Arqué (éditrice et iconographe free-lance), cette séance visera à présenter l’histoire, le fonctionnement et les usages actuels de la photothèque du groupe Hachette Livre, aujourd’hui troisième éditeur mondial généraliste et dont la maison-mère fut, au XIXe siècle, l’un des fers de lance de l’utilisation de la photographie comme moyen de reproduction et d’illustration des livres et des périodiques. En sous-main, la discussion aura pour ambition de questionner la singularité de cette documentation photographique d’entreprise, toujours en activité, au sein du champ éditorial.

 

  • Séance 4. Des institutions aux individus et retour : produire les imaginaires coloniaux / 23 avril 2020

Du terrain à la publication : le rôle des photothèques dans la média(tisa)tion des images de l’ailleurs, communication d’Anaïs Mauuarin (docteure en Histoire de l’art et chercheuse associée à l’EA 4100-HiCSA (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne))

Cette intervention a pour objectif de montrer le rôle qu’ont joué les photothèques dans la diffusion des images de l’ailleurs et des colonies en France, en tant qu’intermédiaires entre les photographes et les éditeurs : elles avaient pour mission d’accumuler des documents photographiques, et en retour d’en assurer la diffusion. Nous analyserons en particulier le fonctionnement de la photothèque du Musée de l’Homme, créée à la fin des années 1930 et première du genre en France, et proposerons une comparaison avec l’Agence économique de la France d’Outre-mer. Il en ressortira la mise place de stratégies matérielles et économiques différentes, qui participent néanmoins au développement d’un même « business documentaire » (F. Brunet).

Des hommes et des territoires : les photographies d’Edgar Aubert de la Rüe, matérialités et trajectoires d’un corpus colonial, communication de Marie Durand (anthropologue, post-doctorante associée au Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie, ATER (Université Aix-Marseille))

De la Côte française des Somalis (Djibouti) à la Guyane française et des îles Kerguelen aux Nouvelles-Hébrides (Vanuatu), le géologue Edgar Aubert de la Rüe sillonne l’empire colonial français entre 1925 et 1960. Pour le compte du musée d’Ethnographie du Trocadéro puis du Musée de l’Homme, il rapporte de ses missions de nombreux corpus de photographies documentant ces régions qui sont, pour partie, intégrées à la photothèque du musée. Cependant, loin de se cantonner à un usage scientifique de ses images, Edgar Aubert de la Rüe en exploite également les multiples possibilités visuelles sur les plans commercial, colonial, ou touristique.

À partir du cas de deux missions effectuées aux Nouvelles-Hébrides entre 1934 et 1936, pour lesquelles un ensemble conséquent de carnets de terrain ont été conservés, cette intervention questionnera la production d’un corpus d’images coloniales en mettant en regard le temps de la prise de vue et celui de la circulation et de la diffusion des images.

 

  • Séance 5. (D)écrire l’histoire de la carte postale contemporaine / 14 mai 2020

Active dès 1907 comme entreprise d’édition de cartes postales photographiques, la maison Combier (CIM), créée par Jean-Marie Combier et implantée à Mâcon, emploie dans ses années les plus fastes, vers 1950, jusqu’à 350 personnes. Marc Combier travaille dans l’entreprise familiale comme directeur artistique dès 1970, et jusqu’à la donation des collections au musée Nicéphore Niepce. Les opérateurs, employés de l’entreprise, sillonnent le territoire à la recherche de points de vue pour la production de cartes postales et développent un savoir-faire qui détermine une politique visuelle de l’entreprise. Ces cartes postales, par leurs sujets, leurs formes aux couleurs saturées et leur importante diffusion, ont largement contribué à façonner une manière de représenter le territoire dans la culture visuelle contemporaine. En 2020, un documentaire réalisé par Caroline Reussner propose de retracer le dynamisme de cette entreprise et de ses pratiques, grâce à de nombreux témoignages d’acteurs de l’époque, en particulier ceux de Marc Combier et des opérateurs de CIM. Lors de cette séance, c’est donc à la fois les points de vue du directeur artistique de l’entreprise, de l’opérateur-photographe (à confirmer) et une forme d’écriture de l’histoire, qui seront discutés.

Séance 6. « Personnel d’élite et installation modèle pour chose délicate » : une archéologie des moyens et des métiers de la photogravure au prisme de leur publicité (1867-1939) / 28 mai 2020

Une double communication de Mathilde Kiener (doctorante en Histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IDHE.S)) et de Laureline Meizel (docteure en Histoire de l’art, chercheuse associée à l’EA 4100-HiCSA (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et lauréate du programme de soutien à la recherche et à la création de l’Institut pour la photographie)

Pendant l’entre-deux-guerres, en France, plusieurs établissements de photogravure investissent les pages des revues professionnelles de l’édition et de la publicité, pour y promouvoir leur savoir-faire à l’égard de la reproduction photomécanique. Les annonces qu’ils font paraître combinent alors des spécimens et des symboles de leurs procédés et de leur entreprise avec des textes au contenu louangeur, pédagogique, voire prescripteur. Parmi ces établissements, on relève le nom de certains des plus anciens, tels Gillot, établi en 1848 et spécialisé dans la photogravure à partir de la fin des années 1870.

Ce type de publicités n’est pas neuf. Il s’inscrit dans une stratégie commerciale amorcée avec l’émergence des premiers ateliers de photogravure – à partir des années 1850-1860 –, qui vise à conquérir le marché de la réplication dans le secteur de l’édition, tenu par les graveurs. À une période – la seconde moitié du XIXe siècle – où la production et la consommation d’images et d’illustrations s’accroissent, tout comme se multiplient les expérimentations et les concurrences technologiques, et se maintiennent les incertitudes quant aux valeurs épistémologiques, esthétiques et culturelles des images photomécaniques, cette stratégie semble payante. En contribuant à une meilleure connaissance de l’expertise des photograveurs par leurs principaux clients, ces annonces commerciales participent à définir leur moyen, mais aussi leur métier, en les situant à l’interface des mondes de la photographie, des arts graphiques, de l’édition et de l’imprimé. Elles leur confèrent ainsi un rôle central dans la fabrique des livres et des périodiques, à partir de la fin du XIXe siècle. Cependant, elles renforcent aussi leur position d’intermédiaires, et participent à leur invisibilité. Paradoxalement, cette stratégie paraît donc avoir contribué à la disparition de la mention de ces acteurs dans les discours historiques portés sur la photographie et l’édition, à rebours du bouleversement culturel auxquels ils ont participé, en contribuant en première ligne à la diffusion de plus en plus massive des images et des illustrations dans l’espace public, à partir des années 1880.

Le côté peu disert des photograveurs sur leur pratique concourt à ce qui apparaît comme la construction d’une transparence structurelle – des acteurs intermédiaires exploitant le paradigme d’un medium : la reproduction photomécanique –, qui aurait mené à sa reconduction par l’historiographie. En effet, ils n’ont transmis ni mémoires, ni hagiographie familiale à la postérité, quand leurs traces dans les correspondances sont clairsemées. Les sources directes sont ainsi rares, dispersées, voire inexistantes, à l’image de leurs archives entrepreneuriales, aujourd’hui disparues. Aussi, les publicités qu’ils élaborent entre deux siècles constituent-elles un point de départ idéal, et jusqu’à ce jour inexploité, pour analyser la façon dont ils conçoivent leur métier, lorsqu’ils les plébiscitent auprès de leurs clients potentiels : éditeurs, entrepreneurs, industriels et, à partir de l’entre-deux-guerres, publicitaires.

Quelle(s) définition(s) de la photogravure, de ses moyens, de ses résultats, des compétences qu’elle requiert, de ses usages et de ses usagers, se dégagent de ces publicités ? Si l’étude de ces réclames enjoint à minimiser la coupure de la Première Guerre mondiale pour penser l’histoire de la photographie et de l’édition, en soulignant par l’histoire entrepreneuriale la continuité entre les XIXe et XXe siècles, permet-elle tout de même de distinguer des mutations dans les conceptions, l’exploitation et les emplois de la photogravure dans l’édition des illustrés et des images ? Pour le dire autrement, quelle(s) périodisation(s) spécifique(s) à la photographie et à l’édition permet-elle d’ébaucher ? En particulier, cette étude peut-elle éclairer l’élaboration de l’invisibilité évoquée plus haut ?

En croisant l’histoire de la publicité, de la photographie, de l’édition avec l’analyse des images, des discours et du contexte éditorial d’une série d’annonces parues dans des revues du monde de l’édition et de la publicité entre 1867 et 1939, cette double communication, élaborée à quatre mains, visera à établir les jalons de l’archéologie d’un medium, qui repose sur la densification de ses acteurs historiques, par la prise en compte de leurs représentations commerciales.

 

  • Conclusion du séminaire

 

BIBLIOGRAPHIE

  • ADDLEMAN-FRANKEL Kate, After photography? The photogravures of Édouard Baldus reconsidered, Amsterdam, Rijksmuseum, 2018.
  • BECKER Howard, Les mondes de l’art [1982] ; présentation de Pierre-Michel Menger ; traduit de l’anglais par Jeanne Bouniort, Paris, Flammarion, 2010.
  • BRUNET François, La naissance de l’idée de photographie [2000], nouv. éd., Paris, Presses universitaires de France, 2012.
  • CHAPELLE Pierrette, La fabrique d’une revue de voyages illustrée. Le Tour du Monde (1860-1914), Paris, Garnier, 2019.
  • FABER Monika et SCHNECK Hanna (dir.), Foto. Buch. Kunst. Umbruch und Neuorientierung in der Buchgestaltung. Österreich 1840–1940, Vienne, Albertina/Photoinstitut Bonartes/Schlebbrügger.Editor, 2019.
  • JUNGE Sophie, “Familiar Distance: Picture Postcards from Java from a European Perspective, ca. 1880-1930”, BMGN — Low Countries Historical Review, vol. 134, n° 3, 2019, p. 96-121.
  • KAENEL Philippe, Le métier d’illustrateur, 1830-1880 : Rodolphe Töpffer, J.-J. Grandville, Gustave Doré [1996], 2e éd., Genève, Droz, 2005.
  • KURKDJIAN Sophie, Lucien Vogel et Michel de Brunhoff, parcours croisés de deux éditeurs de presse illustrée au XXe siècle ; préf. de Patrick Eveno, Bayonne, Institut universitaire Varenne, 2014.
  • LUGON Olivier, Nicolas Bouvier, iconographe, Genève, infolios éditions et Bibliothèque de Genève, 2020.
  • MOLLIER Jean-Yves, Hachette, le géant aux ailes brisées, Ivry-sur-Seine, les Éditions de l’Atelier, 2015.

 

MODALITÉS DE VALIDATION
Une note de lecture critique d’un des ouvrages listés en bibliographie, de 6.000 à 10.000 signes espaces et notes comprises, en mettant le texte en forme selon les normes éditoriales envoyées, à transmettre pour évaluation à  laureline.meizel[at]gmail.com, au format pdf, au maximum le 28 mai 2020.