Coïncidence imprévue: le lancement récent de la V2 de Grok, le chatbot d’intelligence artificielle créé par Elon Musk et associé depuis mai 2024 au réseau social X/Twitter, a précédé de quelques jours la nomination de François Bayrou au poste de premier ministre. La mise à disposition d’un moteur de génération visuelle doté à la fois d’un certain humour et d’une remarquable capacité à produire des images ressemblantes des célébrités françaises a été immédiatement mis à profit par les usagers pour proposer un commentaire satirique de l’actualité politique dans la journée du 13 décembre.
Quelques dizaines d’images à la diffusion confidentielle: le phénomène n’a pas dépassé le stade de l’expérimentation. A en juger par les légendes, la motivation d’une bonne partie des participants était de tester l’outil. Le niveau d’élaboration de ces propositions reste sommaire. De façon générale, il est intéressant de constater qu’il n’est pas si facile d’utiliser le commentaire visuel à des fins satiriques. Les caricatures les plus expressives sont celles qui fusionnent l’image du nouveau premier ministre avec un personnage de clown ou de bouffon du roi, utilisant la capacité de l’IA à créer des chimères. Une autre ressource a été l’exploitation de la circonstance du coup de fil nocturne du président, figurée par un François Bayrou en pyjama. Traduction des limites de la génération visuelle, le recours au ridicule de l’apparence physique illustre un comique très premier degré, guère comparable au dessin de presse.
Grâce au répertoire de personnages et à la bonne qualité des images proposées par Grok, cette première expérimentation collective des capacités illustratives de l’IA démontre une capacité puissante de commentaire de l’actualité. Reste aux auteurs à imaginer des compositions dont la pertinence leur permettra d’atteindre les seuils de visibilité des productions virales.
7 réflexions au sujet de « Les premiers pas de la satire par IA »
d’ailleurs à cette viralité, tu contribues peut-être (merci pour ces (fausses) (mais vraies) images) (sinon, on est quand même de mieux en mieux…)
Je vous fais humblement remarquer que ces images sont de « l’imagerie » sans création ni invention, comme si l’IA venait à la rescousse du manque d’intelligence et de compréhension du Monde des « commentateurs ». Il me semble que dans la création iconographique seul des œuvres qui laissent la liberté au spectateur d’imaginer sont des vecteurs de message qui durent… Ernest Meissonier a « créé » des peintures d’IA par plagiat anticipateur… C’est toiles ne « tiennent » pas, elles coûtaient un bon prix à son époque et aujourd’hui elle ne « tiennent » pas quand on les compare à (par exemple) le panneau des chevaux de la Grotte Chauvet. Meissonier n’a jamais été un peintre, mais seulement un illustrateur de l’idéologie dominante de son époque (donc un artisan servile, au succès financier). Illustrer un commentaire politique comme l’exemple que vous donner de LCI est une façon de taire l’imagination du spectateur. Ce serait drôle de voir une vraie représentation (par Soazig de la Moissonnière) de Macron ou Bayrou au sortir du lit…
L’IA, outil d’espionnage sophistiqué, et ses images ne m’intéressent absolument pas, d’une manière générale. Mais André Gunthert a tellement de talent qu’il réussit à poser des questions réellement intéressantes… et mystérieuses ! Du genre: lorsque la société se regarde en train de se regarder… que voyons-nous, exactement ? Lorsque tout le monde peut devenir Duchamp, on n’a plus Duchamp, mais une question différente !
@Levy: D’un côté, vous décrivez Meissonier comme un «un illustrateur de l’idéologie dominante de son époque», précurseur de l’IA. D’un autre, vous réclamez de «vraies représentations» de la photographe officielle de la présidence de la République Soazig de la Moissonnière, qui est probablement la plus proche héritière du peintre académique (récemment passée au noir et blanc pour donner un peu plus de gravité à sa propagande). Bref, j’ai un peu de mal à vous suivre…
Si la génération d’images vous intéresse, je ne saurai que vous conseiller les multiples outils open source qui donnent aussi de très bons résultats, sans limitations et monètisation/capitalisation des interactions utilisateurs.Et ca ne tourne pas dans un datacenter avide de MWatts.
Stable-diffusion-webui en est un tres bon représentant.Bon ca demande un peu plus d’effort coté user mais rien de nécessairement compliqué.
@John Doe: Merci pour ces indications! Pour mon enquête, je suis aussi la production de graphistes qui explorent les possibles des IA visuelles. Mais les usages sociaux pèsent de tout leur poids sur les orientations des pratiques. La mise à disposition gratuite de Grok sur X et sa facilité d’utilisation pour les Twittos est un coup de maître de Musk, et on voit bien à quel point le potentiel conversationnel des IA, à l’instar des mèmes, va profiter du support des réseaux sociaux. Le cas que je décris ci-dessus en fournit un exemple précoce.
L’IA -que Agamben appelle la stupidité artificielle- et dont la cible typique, le soit-disant « utilisateur » évoque la figure de l’enfant fasciné touillant son caca, nous montre un miroir étrange, sorte de cliché au carré, de distillation complète des lieux communs de notre culture, essence si chimiquement pure que toute intention, tout caractère particulier, en est effacé. Bien sûr elle se construit de toutes ces formes, images et messages que nous lui donnons à manger, et c’est pourquoi ses soi-disant utilisateurs sont ses cibles, et ses vrais utilisateurs sont ses gentils promoteurs bénévoles, qui tout en nous renvoyant des images de clichés parfaits, le pirate idéal, le cauchemar idéal, etc. capturent chez ses cibles exactement le contraire, capturent et analysent toutes les intentions et émotions de ses cibles, soit-disant « utilisateurs », et la question qui se pose dans cette situation nouvelle est la suivante: Comment distinguer, qu’est-ce qui caractérise, chez nos contemporains en chair et en os, tout comme au fond de nous-mêmes, dans les pensées et images qui nous passent à l’esprit, une pensée originale, spécifique et intentionnelle, d’un lieu commun sans but ni signification ?
Par réaction, l’IA nous force à chercher ce qu’il reste de réel et de vivant, de frais, dans notre pensée et dans celle de nos contemporains.