La protestation des icônes

Un an après le début de l’invasion de l’Ukraine, l’émission d’Arte Le Dessous des images consacre un épisode à la photo énigmatique d’un visage d’enfant grave, saisie par András D. Hajdú le jour de la libération de la ville de Kherson (vidéo, 11:47 min., réalisation Jeremy Frey). Plutôt que le sens d’icône nationaliste acquise par cette image dans une interprétation de résistance à l’occupation, le commentaire suit ma proposition d’entendre la protestation du jeune Glib, qui contredit la vision du photographe.

Je rapproche cette expression du sujet de l’image de précédents bien documentés, comme la démystification du portrait de Sharbat Gula, l’«Afghane aux yeux verts» de Steve McCurry (lire également son récent entretien traduit par Courrier international), ou la critique de son iconisation par Kim Phuc, la «jeune fille au napalm» de la guerre du Vietnam. On pourrait également citer les cas de Florence Owens Thompson, la «mère migrante» photographiée par Dorothea Lange, ou encore la prétendue «Madone de Bentalha», qui a porté plainte contre l’AFP pour atteinte à l’image et pour diffamation.

Ces exemples illustrent les effets de la médiatisation des icônes du photojournalisme, qui soumet des anonymes à l’obligation circulaire d’avoir à commenter leur transformation non désirée en média. L’appétit de symboles de la machine médiatique est confronté ici à la contradiction de témoins qui reprennent la parole.

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6 réflexions au sujet de « La protestation des icônes »

  1. Est-ce qu’il ne faudrait pas enseigner ce phénomène dans les écoles de journalisme ?

    Cela montre une volonté de Libération des sujets de l’image dans laquelle ils sont enfermées.

    Merci à Vous pour votre analyse. Elle apporte de la fraîcheur, très sérieusement.

  2. Ah, zut!
    « Vidéo non disponible
    Cette vidéo a été bloquée dans votre pays par l’utilisateur qui l’a mise en ligne »…
    Qu’est-ce que vous avez contre l’Inde???
    Le sujet me paraissait tres interessant, et les reactions me donnent encore plus envie de regarder!

  3. Finalement j’ai reussi a regarder la video. Elle est tres bien faite et pose des questions difficiles sur le photojournalisme. On suppose qu’on a toujours le droit, sans demander la permission, de prendre et de publier des photos des gens, et meme de leur cadavre, lorsque c’est la guerre ou une catastrophe. Mais ce droit n’existe pas. Le billet suivant donne une idee du travail necessaire pour essayer une reponse lorsque la personne sur la photo n’est plus ici pour se defendre!

    Ici les videos d’un ancien reporter de guerre en Irak:

    et d’une jeune architecte:

    Dans les deux cas, le temoignage est delibere et volontaire!

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