Un sourire de classe. Le portrait photographique et la culture de l’expressivité

A l’occasion de la parution du n° 7 de la revue Transbordeur, je reproduis mon article publié dans la précédente livraison: André Gunthert, «Un sourire de classe. Le portrait photographique et la culture de l’expressivité», Transbordeur. Photographie, histoire, société, n° 6, février 2022, p. 136-149  (English version).

Résumé. Souvent interrogé, le phénomène de la diffusion du sourire dans le portrait photographique au cours du XXe siècle résiste à l’explication. Rappelant la dimension conventionnelle du portrait, cet article décrit cette évolution comme la modification historique d’une norme sociale : le passage d’une culture de la réserve à une culture de l’expressivité, entre les années 1930 et les années 1950. Cette transformation s’appuie à la fois sur la réflexivité des représentations médiatiques et sur la valorisation d’un ethos de l’authenticité dans la présentation de soi, promu par la photographie amateur et le cinéma. Étendard de cette évolution, le sourire à pleines dents s’impose comme un signe photographique autonome, la traduction moderniste de la sociabilité des classes moyennes, qui accèdent au statut de nouveau sujet de l’histoire. Mots-clés : culture visuelle, photographie, portrait, expressivité, sourire.


Sommaire

Dans son célèbre article «Le message photographique», Roland Barthes (1961) caractérise la représentation mimétique par l’absence de code1. Répondant à cette analyse, Umberto Eco (1970) rappelle, avec l’historien d’art Ernst Gombrich, le caractère conventionnel des «codes imitatifs». Parmi ces conventions culturelles, le sémioticien cite «les codes de l’expressivité» élaborés au sein des arts figuratifs.

La brève remarque d’Eco n’a pas suffi à éveiller la curiosité. Au tournant des années 2000, plusieurs publications relancent le débat de l’expressivité photographique par le biais d’une interrogation plus accessible: pourquoi les photos du XIXe siècle ne montrent-elles que des visages sévères, alors que les portraits du siècle suivant arborent des mines réjouies (Schroeder; Trumble)? Depuis, l’énigme revient régulièrement hanter les périodiques spécialisés, images à l’appui. Les enquêteurs les plus pressés n’envisagent pas d’autres réponses que des obstacles circonstanciels, comme la durée de la pose ou une mauvaise hygiène dentaire. Derrière ces contingences se cache pourtant un problème passionnant: celui de l’évolution des conventions du portrait, à un moment où une nouvelle culture de l’expressivité manifeste l’essor des classes moyennes. La photographie joue un rôle essentiel dans l’appropriation de cette culture.

L’énigme du sourire photographique

Le diagnostic a toujours semblé évident. Si la question de l’expressivité en photographie n’avait tracassé personne, c’est parce que la réponse semblait aller de soi: l’air sérieux des portraits au XIXe siècle était imposé par un temps de pose trop long pour capturer la mimique fugitive du sourire2. Bien sûr, on connaissait quelques exceptions, comme les célèbres photographies commentées par Charles Darwin dans L’Expression des émotions en 1872, mais ce tour de force était dû à l’art d’Oscar Rejlander, impossible à reproduire dans un atelier ordinaire3 (fig. 1).

Restaurer l’énigme derrière l’évidence de la contrainte technique est l’effet d’une reformulation de la question. L’historien de la culture américain Fred E. H. Schroeder puis l’historien d’art australien Angus Trumble concentrent leur attention sur une mimique particulière: celle du sourire à pleines dents, typique de l’essor de la presse magazine dans les années 1930-1940, et isolent une causalité inattendue: l’amélioration de l’hygiène dentaire, grâce aux progrès de la dentisterie. Si les conseils de maintien du XIXe siècle imposent de fermer la bouche, c’est pour éviter de montrer les mauvaises dents d’une population affligée de caries.

Cette approche matérielle expose à bien des objections. L’opposition d’une époque de portraits sérieux et d’une autre d’images souriantes s’appuie sur un connoisseurship global plutôt que sur des études détaillées. Aucune vérification n’est proposée à partir de corpus locaux, qui permettraient de préciser la temporalité du phénomène ou de regarder de plus près les exceptions. Un ouvrage plus récent (Jones, 2015), qui adopte lui aussi l’idée d’un rôle des progrès dentaires dans l’émergence du sourire, déplace la question d’un bon siècle en amont, situant la révolution expressive dans la peinture de la fin du XVIIIe siècle, avec pour point de repère l’autoportrait à l’enfant d’Élisabeth Vigée Le Brun, tableau de grand format exposé en 1787 au Salon de peinture – où l’artiste entrouvre les lèvres et laisse apparaître ses dents (fig. 2).

Elisabeth Vigée Le Brun, Mme Vigée Le Brun et sa fille, 1786, musée du Louvre.

De fait, en peinture comme en photographie, il existe de nombreux exemples de portraits souriants avant le XXe siècle. En peinture, il suffit de quitter le terrain du portrait d’atelier pour retrouver du côté de la miniature une gamme d’expressions plus conforme à la sensibilité moderne. Certes, le sourire à pleines dents reste l’exception – mais il faut ajouter que sa figuration est interprétée jusque dans les années 1930 comme un rire, et non comme un sourire. Se focaliser sur la bouche ouverte fait disparaître les étapes d’une progression plus complexe et expose aux dangers de l’anachronisme. En outre, les avocats de l’hygiène dentaire oublient que le portrait n’est jamais un miroir. Que ce soit pour un peintre ou pour un photographe professionnel, habitué à corriger ses productions par la retouche, la dissimulation de défauts dentaires, pour autant qu’ils existent, ne représentait aucune difficulté.

En photographie, les contraintes du temps de pose n’empêchent pas l’apparition du sourire dans le portrait érotique, dès l’époque du daguerréotype. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il se rencontre fréquemment dans le portrait d’acteurs – et plus particulièrement d’actrices. À l’inverse, alors que le passage aux procédés secs permet d’obtenir dès les années 1880 des poses inférieures à la seconde, il faut pourtant attendre les années 1920-1930 pour observer l’essor du portrait souriant – un décalage incompatible avec l’hypothèse qui voudrait que seule la durée de la pose y ait fait obstacle. Enfin, un examen moins hâtif des photographies du XIXe siècle montre que les portraitistes de renom, comme Nadar ou Carjat, ne se contentent pas de la froide copie d’un visage inanimé. Si le rire ou le sourire n’interviennent que rarement dans leur répertoire, ils déploient une large gamme d’expressions aussi diverses qu’intenses, souvent inspirées de modèles picturaux (fig. 3-4).

Comme ne manquent pas de le noter Angus Trumble ou Colin Jones, le choix de l’expressivité n’est pas déterminé seulement par les conditions matérielles de la représentation. Explorant aussi bien la psychologie de l’expression des émotions que l’histoire culturelle qui règle leur manifestation, les deux historiens relient la présence du sourire dans le portrait à de nombreux facteurs, où se mêlent normes sociales et conventions figuratives. La prise en compte des influences culturelles vient corser l’énigme: l’extension du sourire pourrait s’expliquer par l’imitation des portraits de stars ou des publicités des magazines.

Dans cette même veine, Christina Kotchemidova propose en 2005 de voir dans les publicités Kodak la principale cause du déploiement du sourire à pleines dents. Selon une approche inspirée par la théorie de l’hégémonie culturelle d’Antonio Gramsci, les amateurs auraient reproduit les modèles des illustrations publicitaires ou des modes d’emploi de la marque. Les photographes professionnels auraient ensuite adopté cette nouvelle convention pour préserver leurs parts de marché.

S’appuyant sur ces conclusions, une étude de data mining réalisée par l’université de Berkeley s’emploie à mesurer l’évolution du sourire des lycéens américains au cours du XXe siècle, à partir d’un corpus de 38.000 portraits issus de près d’un millier d’albums de fin de scolarité (Ginosar et al., 2017). Le tableau qui résume cette recherche montre une progression régulière jusque dans les années 1950, avant une stabilisation de l’expression, avec une différence de genre marquée: tout au long de la période, l’amplitude du sourire des femmes est d’environ 20 % supérieure à celle des hommes (fig. 5). L’étude ne donne pas d’explication à ces variations4.

Quoiqu’elle prête une influence considérable au constructeur américain, Christina Kotchemidova admet ne pouvoir s’appuyer sur aucune source précise. À l’inverse de la fameuse injonction «Say cheese», traditionnellement adressée par les photographes professionnels à leurs sujets, il n’existe aucune instruction explicite dans les manuels ou les publicités Kodak recommandant une pose souriante. À défaut, la chercheuse prête un rôle prescriptif aux illustrations.

Comme l’hypothèse de l’imitation d’autres modèles dominants, celle de l’influence des manuels Kodak s’apparente à un postulat indémontrable. Là encore, un examen plus attentif de l’iconographie contredit le raisonnement. L’examen de corpus d’albums de photographie amateur français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle montre par exemple une abondance de visages souriants, à une époque et dans un espace où la firme de Rochester n’occupe pas une position hégémonique5. La chronologie suggère que, plutôt que de régenter la culture photographique, Kodak s’inscrit dans le sillage des nouvelles pratiques et imite dans ses guides illustrés les images qui parsèment les albums de famille (Gunthert, 2015) (fig. 6).

Qu’elles relèvent de contraintes pratiques ou d’influences culturelles, aucune des solutions proposées à l’énigme du sourire ne paraît satisfaisante. La question est-elle correctement posée? Son succès récent tient à la visibilité d’un marqueur à la simplicité trompeuse, souvent associé à la formule rituelle du «Say cheese», dans un contexte d’accès facilité à des corpus importants d’images anciennes et modernes. Mais l’opposition de deux périodes marquées par l’absence ou la présence du sourire dans le portrait, si elle reste globalement pertinente, ne peut s’analyser qu’en évitant de prendre le résultat pour la cause, autrement dit en présupposant que le sourire serait l’horizon inéluctable de la représentation humaine. Car cette perspective est bien la conséquence de l’évolution qui impose cette mimique comme une nouvelle norme expressive.

Un examen même superficiel de la production photographique montre que les sourires sont divers, et qu’il existe une variété de situations ou d’intentions qui ne peuvent être réduites à cette simple antithèse. Au XIXe siècle, une gaieté visible va fréquemment de pair avec certains groupes sociaux, comme les femmes, les enfants, mais aussi les artistes dramatiques, ou bien certains genres, comme le portrait érotique ou la photographie familiale. D’autre part, le portrait d’atelier n’ignore nullement l’expressivité, mais applique des choix diversifiés à la représentation humaine, qui s’inscrivent dans la tradition du portrait peint. La question ne devrait donc pas se limiter à l’alternative du sourire ou de son absence, mais plutôt porter sur la substitution d’une norme expressive à une autre, ses conditions et ses raisons.

Une nouvelle culture de l’expressivité

Dans l’examen de l’expressivité du portrait, l’image passe parfois pour un vecteur neutre, et le sourire pour une manifestation du langage «naturel» des émotions. L’analyse impose de déconstruire ces deux fausses évidences. Image sociale par excellence, le portrait n’a jamais été une simple restitution de l’apparence du visage. Recouvrant des usages et des contextes divers, le genre implique de se demander à qui est destinée l’image, quelle fonction elle remplit, et quelles sont ses conditions de visibilité. Le monument funéraire représente l’individu dans l’espace public par une image et une seule (fig. 7). Visant à faire le tri de l’accidentel, il propose le résumé d’une vie, privilégiant l’ethos, le caractère permanent, au détriment du pathos, l’émotion passagère, pour ce qui est des traits du visage, et composant une narration par les attributs, costume ou décor, pour exprimer le succès d’une carrière. Ces caractères fondent la tradition du portrait dit «de condition», qui est celui auquel on pense habituellement lorsqu’on évoque le portrait peint (Allard et al., 2007).

Il existe pourtant d’autres représentations et d’autres usages. Ceux de la miniature appartiennent à l’espace privé (fig. 8). Plus petites, ces images peuvent être transportées avec soi et sont volontiers échangées entre intimes, pour conserver le souvenir de l’être cher. Le sourire qui anime fréquemment les visages est l’indication d’un usage sentimental, amoureux ou familial, à destination exclusive d’un proche. La vigilance des contemporains sur ces distinctions conduit par exemple à juger sévèrement un autoportrait comme celui d’Elisabeth Vigée Le Brun (fig. 2), dont le sujet et le traitement évoquent l’espace privé: «Une mignardise que réprouvent également et les artistes et les amateurs et les gens de goût, dont il n’y a point d’exemple chez les anciens, c’est qu’en riant elle montre les dents, cette affectation est surtout déplacée dans une mère: elle ne compasse [règle] point de la sorte ses mouvements et se livre sans mesure à tout l’excès de son tendre enthousiasme» (Mouffle d’Angerville, 1787).

De même, l’histoire des émotions montre que leur expression est étroitement soumise aux conventions sociales. Depuis le romantisme, la manifestation des mouvements de l’âme n’est plus taboue. Mais la règle sociale au XIXe siècle impose de réserver cette liberté à l’espace privé, tandis que la maîtrise de soi est requise dans l’espace public (Courtine, Haroche, 1988). Selon le témoignage d’un préfet marseillais en 1820: «Le chef [de famille] est obligé de s’occuper tout le jour d’affaires souvent difficiles, ne respire qu’en rentrant dans sa maison. Tous s’empressent au-devant de lui. Il sourit aux jeux de ses enfants» (De Villeneuve, 1820).

On rencontre pourtant de nombreux exemples d’une expressivité plus démonstrative dans l’illustration populaire, la caricature, le spectacle burlesque ou la littérature pour enfants. Un précieux reportage effectué sur le vif par le photographe Charles Lansiaux en 1914 dans les rues de Paris confirme la réalité d’une liberté expressive des classes populaires dans l’espace public, à un moment où les conventions du maintien bourgeois pèsent encore de tout leur poids (Gunthert, 2014) (fig. 9).

Plus encore que la césure public/privé, l’expression des émotions est réglée par les divisions de classe: «La manifestation bruyante des émotions (principalement sous la forme de pleurs, mais ce peut être aussi des rires) est jugée avec mépris par les élites comme étant l’apanage de ceux qui, se laissant gouverner par leur instinct, ne savent pas se maîtriser» (Walch, 2016). Si l’expressivité n’est pas absente de l’espace public, son affichage est en revanche toujours situé du «mauvais» côté: du côté de la nature plutôt que de la culture, de l’animalité plutôt que de l’humanité, du monde de l’enfance plutôt que de la maturité, de la féminité plutôt que de la masculinité, des classes populaires plutôt que de l’élite, des primitifs plutôt que des civilisés, de la folie plutôt que de la raison. Il faut donc savoir lire au-delà du sourire, et interroger le système de valeurs qui autorise ou interdit sa représentation. La manifestation d’un rire franc sur les publicités Banania (Giacomo de Andreis, 1915) ou La Vache qui rit (d’après Benjamin Rabier, 1926) se justifie par le choix d’un style burlesque, le recours à des personnages subalternes, à destination d’un public enfantin (fig. 10-11).

Gisèle Freund décrit la photographie comme un instrument de démocratisation du portrait: «Le portrait photographique correspond à un stade particulier de l’évolution sociale: l’ascension de larges couches de la société vers une plus grande signification politique et sociale» (Freund, 1974). Pourtant, l’arrivée de la nouvelle technologie n’apporte pas de modifications sensibles à la tradition. La clientèle qui bénéficie des opportunités de l’industrie photographique respecte les conventions des classes supérieures véhiculées par la peinture, en particulier la maîtrise des émotions en public.

Il faut attendre les années 1890 et l’essor de la photographie amateur, favorisée par les procédés secs et la standardisation du matériel de prise de vue, pour apercevoir une évolution des codes de la représentation. La rapidité de mise en œuvre et la sensibilité du gélatino-bromure d’argent ouvrent à la photographie sur le vif, tandis que l’appropriation de l’opération par les acteurs eux-mêmes modifie le répertoire des occasions et des sujets. Dans l’intimité de l’entre-soi, le photographe amateur profite de l’ambiance détendue des réunions familiales ou amicales. Bénéficiant de «l’avantage considérable d’être l’ami de ses modèles et d’avoir cultivé avec eux une familiarité précieuse» (Chambertrand, 1937), il peut enregistrer de véritables situations d’interaction, où l’expressivité se manifeste librement (fig. 12-13). C’est à cause de ces conditions spécifiques que les traces d’une nouvelle convivialité apparaissent au sein des albums de famille.

Ce tournant suffit-il à expliquer la généralisation de l’expression souriante dans le portrait photographique (Smargiassi, 2020)? La diffusion lente de la photo amateur dans le corps social ne permet pas de répondre de façon nette à cette question. À tout le moins, il ne semble pas que la pratique amateur bouleverse rapidement l’expressivité du portrait6. Après tout, miniature et portrait de condition avaient permis la cohabitation de choix expressifs différents dans l’univers du portrait peint, grâce à la distinction des formats et des usages. De même, la production amateur ne concurrence pas directement le portrait de studio: au début du XXe siècle, les sujets, la composition, la qualité ou la taille des images permettent le plus souvent de différencier les genres.

Dans la littérature spécialisée, les mentions du rôle de la photo amateur sont sensiblement plus tardives. Il faut attendre le début des années 1930 pour voir apparaître des jugements comme celui du photographe Marcel Natkin, dans L’Art de voir et la Photographie: «Que de fois, en ouvrant un journal ou en admirant quelques photographies, avez-vous été frappé par le naturel, la vivacité d’expression des personnages? Que de fois, par contre, avez-vous considéré avec tristesse des portraits de professionnels où, en dépit des éclairages savants, les figures étaient si figées, les poses si convenues, que ces œuvres ne pouvaient donner satisfaction qu’à leur seul auteur? La photographie professionnelle a reçu heureusement ces dernières années une certaine impulsion venant justement de la photographie d’amateurs. Le goût du public s’étant peu à peu formé, celui-ci n’a plus admis qu’une technique supérieure s’exerçât aux dépens du naturel» (Natkin, 1935).

Deux ans plus tard, en plaidant pour un portrait «moderne», le photographe Gilbert de Chambertrand reprend et élargit cette analyse: «Jusqu’à ces derniers temps, le photographe portraitiste s’efforçait de donner à son client une attitude qui ressemblât, non point à celle d’un être vivant, mais plutôt à celle d’une statue. Tout y était figé, raide, définitif. […] Aujourd’hui, cela est heureusement changé. La vie en plein air, le sport, le cinéma, nous ont conduit vers des témoignages plus sincères de la figure humaine, et les rides dans un visage ne nous paraissent plus un opprobre irrémissible, parce que nous avons appris qu’elles se défont comme elles se font, au gré des émotions, et qu’elles ont précisément pour objet d’exprimer celles-ci» (Chambertrand, 1937) (fig. 14).

Alors que l’énoncé des causes diffère, la répétition des formules et le caractère stéréotypé du diagnostic éveillent le doute. Si le cinéma ou la photo amateur influent sur le portrait photographique, les chronologies respectives de ces pratiques ne permettent pas d’établir des corrélations flagrantes. L’évocation d’une crise de la tradition photographique est en revanche typique de la critique moderniste des années 1925-1935, marquées par la revendication d’une «Nouvelle Vision» après la sortie du pictorialisme (Lugon, 2001)7. Cette période est également celle qui voit le renouvellement du photojournalisme et de l’image documentaire sous l’influence des méthodes de la communication politique, et qui fait de l’expression faciale un instrument essentiel de la narration iconique (Amao et al., 2018).

Appuyé sur la publicité et la culture magazine, qui donnent la première place à l’image, ce renouveau des outils narratifs de la photographie fait écho à la révolution expressive du cinéma muet du début du siècle. Renouant avec la ressource des langages non verbaux mobilisés par les arts graphiques, ce théâtre sans paroles des classes populaires s’appuie sur la pantomime et l’exagération visuelle pour garantir sa lisibilité. L’invention du gros plan, qui fait du visage et de ses jeux expressifs un éclaireur du récit, traduit le bouleversement des codes qui affecte le paysage iconographique. Portée par une économie de la communication en plein essor, la rencontre d’une expressivité démultipliée à des fins narratives avec les médias d’enregistrement inaugure une nouvelle culture de l’image, perçue par les contemporains comme plus authentique, plus réflexive et plus moderne que la représentation graphique.

Cette nouvelle culture de l’expressivité porte aussi la marque de puissantes évolutions sociales. Le déplacement qui s’effectue de la règle du maintien bourgeois vers une plus grande liberté du comportement public accompagne l’installation progressive des classes moyennes comme nouveau sujet de l’histoire. Alors qu’au tournant du XIXe et du XXe siècle, la publicité met encore largement en avant les modèles des classes supérieures pour susciter le désir, les années 1930-1940 favorisent les aspirations et les valeurs de la nouvelle classe montante. Le sourire qui apparaît alors sur les visages contraste avec la réserve qui connotait l’appartenance à l’élite. L’expressivité de la photo amateur, du cinéma ou du photojournalisme est une signature de classe qui incarne la visibilité de ces nouveaux acteurs8.

Un signe photographique

Dans son essai Believeing is Seeing, le réalisateur Errol Morris enquête sur l’une des images de la prison d’Abou Ghraib en 2003: celle où la soldate Sabrina Harman pose en souriant, pouce levé, aux côtés du cadavre d’un prisonnier (Morris, 2011). Ce rapprochement incongru a encore accru le sentiment de scandale provoqué par ces photos, et Morris cherche à comprendre les raisons de la posture de la jeune femme. Celle-ci l’explique par une attitude réflexe à l’occasion de la prise de vue. Interrogé par le réalisateur, le psychologue Paul Ekman affirme que l’analyse physiologique de l’expression de Sabrina Harman permet d’identifier un «sourire social». Il manque en effet la contraction des muscles du pourtour de l’œil, qui se combine à celle du muscle zygomatique lors de l’expression spontanée du sourire.

Pour Morris, la preuve est faite que l’expression affichée par la soldate ne traduit aucun sentiment joyeux, mais n’est qu’un signe vide de sens induit par la pose photographique, qu’il rapproche de la mimique suscitée par l’injonction «Say cheese». Cette démonstration suggère également que le caractère conventionnel du sourire photographique n’est pas un fait communément reçu, au point qu’un professionnel de l’image a besoin de l’avis d’un spécialiste de la communication non verbale pour l’établir.

Ce caractère conventionnel est encore clairement perçu au début du XXe siècle. Dès 1900, les plus anciennes mentions du sourire photographique dénoncent le «sourire forcé» imposé au modèle9. La situation décrite est celle de la photographie d’atelier. Dans l’interaction qui lie l’opérateur au client au moment de la pose, l’usage consistant à s’adresser au sujet pour lui indiquer le début de la prise de vue est aussi ancienne que la pratique photographique. L’expression «Ne bougeons plus!» est citée comme une formule rituelle dès 1853 (Varin, 1853). Pendant les premières décennies du XXe siècle, de nombreuses mentions dans la presse et la littérature francophone décrivent une nouvelle injonction: «Ne bougeons plus!… Souriez!…» comme un poncif de la profession, au point de devenir un sujet de plaisanterie: «Le dentiste a été photographe. Il apporte dans sa nouvelle profession les habitudes de son ancien métier. C’est ainsi qu’avant chaque opération, il dit à son patient : ‹Ne bougeons plus!… Souriez!…›.» (Le Masque de Fer, 1908).

Il en va de même dans le champ anglophone pour l’expression «Say cheese». D’après Trumble, ce stratagème qui impose de relever les lèvres dans une mimique imitant le sourire à pleines dents remonterait aux années 1910 dans les public schools anglaises, mais l’historien ne fournit aucune source à l’appui (Trumble, 2004). On peut noter que la formule est encore décrite en 1943 dans un journal américain comme une nouveauté (Coons, 1943). L’usage d’une autre expression stéréotypée, «Smile please», apparaît elle aussi comme un lieu commun photographique dans les années 1920 (anon., 1928). Le caractère artificiel unanimement prêté à ces procédés est la raison qui explique l’absence de la recommandation du sourire dans les manuels Kodak et autres brochures destinées aux amateurs10.

Ces données semblent contredire le programme de la culture de l’expressivité identifiable dans le photojournalisme ou la publicité à partir des années 1930. De fait, les partisans de l’expressivité tiennent à distinguer le goût moderne de l’expédient d’atelier. «Il ne faut pas croire que l’injonction ‹Souriez!› dont on a tant abusé suffise à éclairer à coup sûr un visage», indique Gilbert de Chambertrand (1937) En dépit de la confusion entre sourire forcé et culture de l’expressivité11, il apparaît nécessaire de séparer la recherche du naturel de sa simulation. Il s’agit bien de deux modèles distincts: la convention de la pose souriante est plus ancienne que la valorisation de la sincérité expressive. Mais cette nouvelle prescription modifie le sens et la portée sociale du sourire. La convention photographique va alors connaître une évolution décisive.

À l’opposé de la captation sur le vif d’un mouvement imprévu que prescrit l’idéal documentaire, la pratique de la pose a encouragé le développement d’une interaction spécifique, où le sujet photographié, conscient de l’opération, participe activement par sa performance à son bon déroulement. À l’évidence, dans le cadre de cet exercice contraint, et pour autant que la tolérance du modèle aux conventions de l’apparence l’autorise, l’animation du portrait par le sourire constitue une solution à la fois simple à mettre en œuvre, du point de vue du photographe, et le plus souvent satisfaisante, du point de vue du client. Plutôt que l’embarras des accessoires de studio, le sourire forcé constitue une formule facile à standardiser, dans le contexte de la production expéditive d’un photographe de quartier.

Un autre avantage de cette expressivité de commande est de résoudre le problème iconographique de la polysémie du sourire. Si cette mimique constitue en effet un signe universel, facilement identifiable, sa signification est toujours largement dépendante du contexte. Signe de satisfaction entre une mère et son enfant, signe d’affection réciproque entre intimes, signe de confirmation d’un accord entre deux associés, signe de connivence de deux complices, ou encore signe de politesse conventionnel entre deux étrangers, le sourire requiert une mise en situation circonstanciée pour être interprétable. Ce trait est celui qui fonde le fameux «mystère» de la Joconde, portrait souriant qui présente le défaut de ne fournir aucune explication à l’expression du modèle. Comme celui de Mona Lisa, le sourire forcé du portrait photographique est une mimique qui n’est légitimée par aucun autre contexte que celui de la pose12 (fig. 16). C’est ainsi que l’expression souriante gagne une nouvelle signification et devient à proprement parler un signe photographique: le symbole du consentement et de la participation active du sujet à la prise de vue.

L’importance de cette négociation avec la pose apparaît quand on constate que, loin de se limiter à l’univers de la photographie professionnelle, celle-ci se répand largement dans la pratique amateur. Devenue un fait d’expérience banal dans la vie quotidienne, l’exposition à la contrainte de la prise de vue a suscité chez ses sujets des réponses du type de celle adoptée spontanément par la soldate Sabrina Harman. L’immobilisation réflexe dans une posture contrôlée semble le meilleur compromis pour éviter le risque d’une image défavorable.

Aussi minime soit-elle, cette participation à l’opération restitue un rôle d’acteur au sujet photographié. Au-delà des effets d’influence intermédiaux, c’est probablement à cet endroit que l’on peut renouer le lien entre les pratiques professionnelles dotées d’une large visibilité – cinéma, publicité, photojournalisme – qui ont assuré le renouvellement du langage visuel, et les pratiques plus modestes – photographie autoproduite ou portrait de studio –, garantes de la représentation de soi. La convention du sourire permet à tout un chacun d’accéder à la culture de l’expressivité.

Le succès international de l’expression «Say cheese», qu’il faut probablement situer dans les années 1940, documente une évolution de la règle. Alors qu’au début du XXe siècle, l’invitation à sourire pour la photographie correspond plutôt à une mimique lèvres fermées (fig. 17)13, le recours à la formule anglaise impose de découvrir les dents, et d’afficher ainsi une gaieté plus prononcée (fig. 18). L’étude statistique de data mining de l’université de Berkeley qui porte sur un corpus cohérent de portraits posés, montre le succès de la nouvelle convention (Ginosar et al., 2007). Au cours de la première moitié du XXe siècle, le sourire photographique s’élargit. Décrivant la mimique, Edgar Morin évoque une «synthèse du rire et du sourire», suggérant que c’est la définition même du sourire qui se transforme (Morin, 1957). Sa perception évolue elle aussi. Dans les années 1960, on ne rencontre plus les moqueries ni la mention du caractère artificiel de la pose souriante. Alors que l’acceptation de la convention se généralise, le sourire contraint devient une composante rituelle de l’opération photographique.

Spécialiste d’anthropologie de la communication, Erving Goffman décrit les interactions non verbales comme des actes ritualisés, dont la valeur informative repose sur une relative uniformisation et le partage de formes communes. Dans la version photographique de ces comportements, lorsqu’ils sont intentionnellement mis en scène par la publicité, il observe un renforcement des pratiques de standardisation, d’exagération ou de simplification de ce lexique, qu’il qualifie d’«hyper-ritualisation» (Goffman, 1977). Ce mécanisme de renforcement de la lisibilité des signaux semble bien adapté à la description de l’accentuation du sourire, qui permet d’identifier une dimension conventionnelle propre à sa traduction iconographique.

Le sourire en photographie peut reproduire les messages sociaux de la mimique, lorsque celle-ci est employée en contexte – satisfaction, séduction, hospitalité, etc. Il peut aussi servir de signe à tout faire pour exprimer la réussite d’une interaction quelconque. Mais sourire à l’appareil est une adaptation photographique du rite social, qui produit une signification autonome dans le contexte de la prise de vue. Le sourire étant d’abord un signe d’échange, le fait de l’adresser au spectateur dans un simulacre d’interaction ajoute à la présentation de soi un indice de sociabilité et de transparence – l’expression moderniste d’une disponibilité égalitaire. La perception de cette valeur communicationnelle est confirmée par les exemples de refus délibéré de se plier à la norme souriante, comme la pose dite cool typique de la masculinité africaine-américaine, ou l’attitude volontairement hautaine des mannequins de haute couture (Boulton, 2007).

Un exemple tardif atteste l’ampleur de la mutation, qui touche jusqu’aux formes historiques les plus protégées de la tradition, et montre comment le portrait expressif a recomposé le vocabulaire de la présentation de soi. En 1974, fraîchement élu à la présidence de la République française, Valéry Giscard d’Estaing, désireux de traduire symboliquement une modernité revendiquée, introduit une rupture dans la série des portraits officiels des présidents, en demandant au photographe Jacques-Henri Lartigue de réaliser la nouvelle image du pouvoir (fig. 20).

Quatre modifications distinguent les anciens portraits présidentiels de celui du nouveau titulaire de la fonction: le passage du plan moyen au gros plan, celui d’un décor situé et d’un costume rituel à un environnement décontextualisé, celui d’une scénographie qui isole l’objet du regard à une frontalité qui recherche l’interaction avec le spectateur, enfin le passage de la neutralité expressive au sourire. Du portrait-monument au portrait expressif, on évolue d’une narration inspirée par le modèle théâtral à une présentation de soi où le caractère conventionnel de la pose s’efface derrière la sociabilité de la mimique. Comme dans le gros plan cinématographique, le visage est devenu l’espace essentiel du récit visuel.

Pas plus que la photographie n’est une image sans code, le sourire n’est l’expression stable d’une émotion universellement reconnaissable, dont la trace iconographique assurerait la survivance. Bien au contraire, ce à quoi nous fait assister l’évolution de sa perception et de sa représentation, au terme d’un passionnant chassé-croisé entre normes sociales, codes expressifs et conventions iconographiques, c’est à l’installation d’une nouvelle culture de la présentation de soi, qui modifie la définition même du sourire, et fait passer en quelques décennies sa signification de l’expression discrète de l’intériorité à la norme de la sociabilité publique. Nouveau signe iconographique, le sourire à pleines dents est aussi l’affirmation performative d’une nouvelle société.

Le facteur essentiel de cette mutation est l’ascension des classes moyennes, entraînée par l’expansion de la société de consommation, mais aussi par la radicale nouveauté d’une imagerie d’enregistrement qui assure leur réflexivité, dans un paysage médiatique en plein essor. La convergence des arts visuels autour d’une présentation plus authentique de la personne humaine impose l’abandon du maintien bourgeois pour inscrire dans l’image, non pas une absence de code, mais bien les nouveaux rituels par lesquels les classes moyennes s’identifient. Au lieu d’une sociabilité de la réserve et de la distance, les aspirations portées par le portrait expressif apparaissent comme un progrès de l’autonomie des individus et comme la valorisation égalitaire d’une nouvelle lisibilité sociale. Aux côtés du cinéma et de la photo amateur, faisant écho à la publicité et au photojournalisme, le portrait photographique a assuré au sein du corps social la promotion de cette visibilité.

Références

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  1. «Ainsi apparaît le statut particulier de l’image photographique: c’est un message sans code» (Barthes, 1961). []
  2.  «Au temps du collodion, quand le patient devait rester sans bouger de quinze à vingt secondes au moins, il eût été illusoire de rien tenter pour améliorer le résultat sous le rapport de l’expression, tandis qu’aujourd’hui, grâce au gélatino-bromure, la pose n’étant plus que de une à deux secondes, il est possible de provoquer et de surprendre une expression animée», André Courrèges (1898). []
  3.  Le photographe suédois Oscar Gustav Rejlander (1813-1875) était réputé pour sa capacité à capturer les émotions et les sentiments. Darwin utilise plusieurs de ses portraits, ainsi que les reconstitutions des expressions du visage réalisées par Guillaume Duchenne de Boulogne. []
  4.  La recherche en psychologie sociale confirme cet écart et décrit le sourire comme un acte largement déterminé par le genre (Marianne LaFrance et al., 2000). []
  5. Les corpus d’albums amateurs examinés sont ceux du musée français de la Photographie de Bièvres et de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine de Caen. []
  6.  De telles généralisations ne peuvent être proposées qu’avec prudence, compte tenu de l’état parcellaire des sources. Une étude statistique sur les selfies diffusés sur Instagram à New York, Moscou, Berlin, Bangkok et Sao Paulo a montré l’existence de fortes variations locales, probablement représentatives de l’ensemble de la production amateur (Lev Manovich et al., 2015). []
  7. La chronologie indiquée ici est européenne, mais elle correspond à un cadre plus général qui inclut notamment les États-Unis. []
  8. L’étude dirigée par Pierre Bourdieu (1965), qui identifie les usagers de la photo amateur à la classe moyenne, peut être lue comme une confirmation de cette hypothèse. []
  9. «Mais il y a ici, pour le photographe, l’écueil du sourire forcé dans un masque où la fixité indifférente de l’œil contredit la joie des lèvres» (de Séran, 1900). []
  10.  «Don’t, please don’t ask for a smile!» (“Ne demandez pas, s’il vous plaît, ne demandez pas de sourire”) (Wadenoyen, 1945). []
  11. Plusieurs auteurs ne distinguent pas entre sourire naturel et sourire forcé. Dans son article, «Why We Say ‘Cheese’. Producing the Smile in Snapshot Photography», C. Kotchemidova décrit par exemple la pratique amateur, mais identifie le sourire photographique par l’injonction professionnelle: «Say cheese». []
  12. Premier critique à décrire le tableau, Giorgio Vasari propose une explication purement pragmatique au sourire de la Joconde, liée à la situation de pose: «Comme Madonna Lisa était très belle, pendant qu’il la peignait, il eut toujours près d’elle des chanteurs, des musiciens et des bouffons, afin de la tenir dans une douce gaieté, et d’éviter cet aspect d’affaissement et de mélancolie presque inévitable dans les portraits», Giorgio Vasari, 1568. []
  13. Certaines mentions précisent: «Ne bougeons plus, Madame! Souriez légèrement» (Emery, 1908). []