La perche à selfie: l’autophotographie au carré

Maintenant que le selfie ne fait plus scandale, le selfie stick (ou perche à selfie) a pris le relais. Destiné à élargir le champ, le support télescopique sur lequel on fixe le smartphone est devenu un sujet d’imagerie, dont une publicité parodique pour la chaîne Pizza Hut illustre bien les caractères.

Le chercheur Jens Ruchatz remarquait, lors du colloque de Marburg consacré au selfie, que ce genre semble mêler indistinctement les autoportraits proprement dits et les images de prise de vue réflexive (comme la photo d’Obama aux obsèques de Mandela). Cette confusion est la conséquence d’un trait qui participe de la définition du selfie, soit la visibilité du caractère autoproduit de l’image. Encourageant la manifestation du dispositif, la pratique du selfie favorise une vision du geste centrée sur l’appareillage, qui est aussi sa signature dans l’espace public.

C’est cette dimension que reprend et accentue l’imagerie du selfie stick, comme si l’extension matérielle représentait une forme exagérée de la réflexivité – un selfie au carré, encore plus visible, encore plus dérangeant que l’autophotographie à bout de bras. Ne montrant que rarement les produits de la prise de vue, l’imagerie du selfie stick se concentre presque exclusivement sur la manipulation de la perche dans l’espace public. La publicité pour Pizza Hut, parodie de la critique anti-selfie, donne une longueur démesurée aux cannes, qui occasionnent diverses catastrophes burlesques (ma préférée étant l’effet paratonnerre…).

Ce soulignement visuel des effets perturbateurs du selfie prolonge la dynamique de la controverse, clé de l’institutionnalisation du genre (voir “La consécration du selfie”). Même si le selfie est entré dans les mœurs, son inscription culturelle reste située, fut-ce de manière satirique, du côté du désordre, du sabotage ou du renversement des codes sociaux.