Pour qui le burkini est-il « ostentatoire »?

On ne comprend rien à l’affaire du burkini, vêtement de plage couvrant, si l’on omet de le penser comme un problème de visibilité dans l’espace public. Habermas ne la mentionne pas, pourtant la plage est bien cet espace public égalitaire exemplaire, un espace dont on peut deviner le degré de contrainte sociale au retour chaque été des conseils sur la perte de poids dans les magazines spécialisés. Sur ce territoire vécu comme espace de loisirs gratuit, commun et libertaire, débarrassé des conventions de la société, règne une normativité de l’apparence et des comportements d’autant plus robuste qu’elle est autoproduite.

C’est la manifestation d’une mode vestimentaire, couplée à une perception hyper-normative de l’espace balnéaire, qui a produit cet été une nouvelle version du dilemme post-colonial français: que faire d’un groupe allogène qui vient modifier de façon visible la composition de la population existante? La France répond depuis longtemps à cette question par l’imposition d’un principe assimilationniste dont un ancien ministre a récemment rappelé l’axiome, en invitant les musulmans à la «discrétion». En d’autres termes, les nouveaux venus sont priés, pour s’intégrer, de se noyer dans la masse, et de privatiser strictement toute pratique distincte, dont la manifestation serait nécessairement lue comme une tentative d’accaparement de l’espace public, et donc hostile à la communauté nationale.

Si le 11 septembre, interprété comme la confirmation d’une « guerre des civilisations » opposant l’Occident à l’Islam, n’a pas facilité l’intégration du groupe arabo-musulman, celui-ci faisait face de longue date au racisme issu de l’histoire coloniale et de l’orientalisme, construit par le récit d’une altérité archaïque, mettant forcément en valeur la «modernité» occidentale.

Lorsque le Front national évoque dès le début des années 1980 la menace de l’immigration, celle-ci est évidemment quoiqu’implicitement située. L’«envahisseur» n’a pas les yeux bleus, mais la peau mate et les cheveux frisés. La réalité statistique d’une forte immigration d’origine maghrébine se métamorphose, dans la vision identitaire et décliniste de l’extrême-droite, en mythe du «grand remplacement», illustré par le dernier roman de Houellebecq. La droite néolibérale comprend vite l’intérêt de puiser dans le chaudron identitaire pour faire oublier sa politique antisociale. Inutile de dire que l’image du «terrorisme djihadiste», dernier épisode de la diabolisation de l’islam, n’a fait que confirmer l’illusion d’un antagonisme civilisationnel, soigneusement entretenue par le gouvernement Hollande-Valls.

Dans un pays où l’autorité et la verticalité semblent avoir définitivement remplacé les vertus démocratiques de tolérance ou de respect de la diversité des opinions, le moindre écart par rapport à une francité fantasmée devient source d’inquiétude, défi ou insulte. L’interdiction du burkini, qui prolonge le funeste héritage des lois contre le voile, ne concerne pas seulement un morceau de tissu, mais s’inscrit dans une culture des marqueurs identitaires, qui associe dans le plus grand désordre un bric-à-brac de différences visibles – interdits alimentaires, préceptes religieux, coutumes vestimentaires, etc… – mises en regard d’un catalogue tout aussi hétéroclite de comportements supposés conformes.

Dans ce contexte d’un symbolisme rhizomatique qui surcharge chaque signifiant d’une lourde charge implicite, un apéro saucisson-pinard devient une manifestation identitaire parfaitement lisible, et un foulard la partie émergée de l’iceberg où se dissimule le terrorisme islamiste. Qui vole un œuf vole un bœuf, qui porte un hidjab cache probablement une ceinture d’explosifs, comme le montre un dessin de Plantu.

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Dans cette logique marabout-bout-de-ficelle, le burkini est un parfait candidat, puisque «dans burkini, il y a burqa» (selon l’expert en pains au chocolat Jean-François Copé). Il permet de cocher la case «laïcité», puisqu’il dissimule le corps, et que chacun sait que cette dissimulation est caractéristique du radicalisme islamique, et surtout la case «droit des femmes», vieille ressource coloniale de la mise à l’index de l’archaïsme oriental, puisqu’il est notoire que la femme y est opprimée par le pouvoir patriarcal.

Pour produire ce nouveau signe islamophobe, on oubliera que le burkini est une invention récente, destinée à rendre compatibles les prescriptions vestimentaires traditionnelles avec l’espace de la baignade, «qui fait sauter les fondamentalistes au plafond» (Olivier Roy). On oubliera surtout la diversité des contextes, à commencer par le fait qu’on ne peut pas confondre l’obligation du port d’un vêtement dans un pays musulman avec la liberté de choix qui s’exerce dans un pays démocratique, dont la conséquence logique est que ce port peut relever de finalités variées.

Une hypothèse rigoureusement exclue par le regard identitaire, qui réduit toute polysémie à un symbolisme univoque. «Le burkini c’est un signe politique de prosélytisme religieux qui enferme la femme» affirme Manuel Valls, dont on ignorait la compétence en anthropologie des religions. Les témoignages qui se multiplient depuis une semaine montrent une réalité forcément plus hétéroclite que cette vision essentialiste. Les porteuses de burkini – ou parfois de simples foulards – ne sont pas des militantes intégristes, mais de banales mères de famille venues profiter du soleil.

C’est la confrontation entre l’abstraction identitaire et la violence de l’application de l’interdit en situation qu’a manifesté brutalement un lot de photographies publiées par le Daily Mail: une opération de verbalisation qui conduit des policiers armés à déshabiller une vacancière sur une plage de Nice, et qui suscite rapidement des commentaires scandalisés sur les réseaux sociaux. De nombreux autres témoignages sont venus compléter l’image humiliante d’interventions conduisant des familles entières à quitter la plage, sous le regard lourd ou les insultes de badauds racistes – provoquant plutôt qu’elles n’évitent le fameux «trouble à l’ordre public».

Comment juger du caractère «provocateur» du port d’un vêtement? Plutôt que le modèle de la responsabilité individuelle habituellement appliqué dans le droit français, les partisans de l’interdiction optent pour une pétition de principe. Pourrait-on imaginer un port innocent du burkini, ou un port du voile dénué d’intention maligne? Poser la question, c’est y répondre, et l’on voit bien que la criminalisation du vêtement exclut toute possibilité d’un choix responsable de la part de celle qui le porte. Même si une femme décidait d’elle-même d’opter pour un vêtement couvrant, celui-ci est décrété ostentatoire par essence.

Cette manière de définir le trouble est en réalité parfaitement explicite. Si l’auteur de l’infraction ne peut se défendre par la manifestation d’une intention distincte de celle qui lui est imputée, c’est en réalité parce que c’est le regard extérieur qui perçoit le geste comme provocateur.

Cette construction de l’infraction par la réception est du reste documentée par la manière dont se déroulent les interventions, dont la plupart sont, d’après le témoignage d’une policière de Nice, effectuées sur la base de dénonciations. Ce qui explique qu’il y ait plus de contraventions à Nice qu’ailleurs, ce n’est donc pas le nombre de vêtements prohibés, mais une présence plus massive d’accusateurs.

Contrairement aux raisons alléguées pour interdire le burkini, les arrêtés ne peuvent être décrits comme défendant la laïcité, qui s’impose aux services de l’Etat, mais pas aux personnes privées, dont les opinions philosophiques ou religieuses et leur expression dans l’espace public sont protégées par la Constitution. Ils ne peuvent pas non plus se revendiquer du féminisme, puisqu’ils imposent une double peine aux victimes supposées du pouvoir patriarcal, au lieu de les en protéger.

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Le directeur général des services de la Ville de Cannes, Thierry Migoule, a précisé que derrière ces motifs de façade, l’intention était surtout de bannir des «tenues ostentatoires qui font référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre».

Cette lecture univoque, qui nie la diversité des situations (selon le principal fournisseur de l’article, 45% des clientes sont des non-musulmanes), repose exclusivement sur un préjugé raciste, qui ramène tout individu à une essence supposée, niant tout choix personnel.

Sans surprise, cette lecture est reprise par le candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy, qui admet lui aussi voir «un acte politique, militant, une provocation» dans le port du burkini, et propose en bonne logique populiste «une loi qui interdise tout signe religieux ostensible non seulement à l’école mais également à l’université, dans l’administration et aussi dans les entreprises».

Pourrait-on encore parler dans cette hypothèse d’une liberté d’opinion ou d’expression, telle que définies par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen? Celle-ci indique que «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi» (art. 10), ce qui suffit à prouver que cette garantie concerne bien l’espace public (et non, comme le prétendent les ultras de la laïcité, l’espace privé – car il n’est à vrai dire pas besoin de protection dans ce cas).

La réponse à cette question n’est pas difficile à trouver, qui confirme la piètre compétence juridique de l’ancien président. Ce que montrent les deux lois dites «sur le voile» adoptées en 2004 et en 2010, la première pour interdire le port de tenues et de signes religieux «ostensibles» à l’école, la seconde pour prohiber tout ce qui dissimule le visage dans l’espace public, c’est qu’il n’est pas possible, dans une société démocratique qui garantit les libertés individuelles, de proscrire le port d’un vêtement, fut-il communautaire. La première étend à l’espace scolaire la définition de la laïcité qui s’impose à l’Etat, et ne peut s’appliquer qu’en raison de l’état de minorité des élèves. La seconde n’a été acceptée par la Cour de Strasbourg qu’à la condition que la loi ne se limite pas à «la connotation religieuse» des habits visés.

Ce constat en amène un autre. Pour aboutir à leurs fins, les gouvernements qui ont fait voter ces lois ont été dans l’obligation de manipuler le droit. Les « lois sur le voile » ne sont pas des lois sur le voile, mais utilisent des moyens détournés pour permettre la prohibition d’un signe défini comme identitaire. Peut-on mieux indiquer les limites du cas du burkini? Si celui-ci pouvait inciter à revoir ces précédents fâcheux, qui n’ont conduit qu’à confirmer la stigmatisation d’une population, sans aucun effet mesurable du point de vue de la protection des individus (voire des effets contraires, car la prohibition désigne comme geste politique une pratique qui n’était pas forcément perçue comme telle), cette affaire n’aurait pas été complètement vaine. Plutôt que de cacher ces musulmans que la République ne saurait voir, il est temps qu’elle les reconnaisse comme des citoyens à part entière, dotés des mêmes devoirs et des mêmes droits, dont celui à la visibilité dans l’espace public.

32 réflexions au sujet de « Pour qui le burkini est-il « ostentatoire »? »

  1. Dans l’ensemble on est bien d’accord: le burkini est ostentatoire parc que la France est un pays raciste. Et oui, il est bien nécessaire de défendre la minorité musulmane.
    Ceci dit, je ne peut m’empêcher de retenir certaines pensées:
    -dans le pays le plus a-religieux du monde (avec le Japon) une religion vient de faire 250 morts parmi la population civile; comment demander à un pays de tout à coup s’enthousiasmer pour celle-ci? Pas d’amalgame me direz-vous et ce sera vrai, mais il n’empêche que ces attentats n’ont pas été faits au nom de Bouddha ou du dalai Lama. Les questions sur l’islam sont donc légitimes.
    -Bien sur que les musulmans sont aujourd’hui victimes de discriminations, mais les victimes, celles qui ont vraiment payé le prix du sang, ne sont pas les musulmans: bien sur que des musulmans ont été touchés physiquement, mais symboliquement Daech a bien désigné les Koufar. C’est ainsi que les Français comprennent les choses je crois.
    -il y a aussi cet argument que l’on entend un peu partout: lors des marche de Charlie étudiées par Emmanuel Todt, il y avait très peu de musulmans. Pour beaucoup de Français, la coupure s’est faire à ce moment: la précipitation des imams aux messes après Saint-Etienne de Rouvray ne semble pas atténuer ce qui ressemble à un péché originel. Comment reprocher à des Français épris de fraternité d’avoir été déçus dans leur désir de fraternité?
    Et puis, on ne peut s’empêcher de tiquer sur une chose:
    -si 45% des utilisateurs de burkini ne sont pas musulmans (chiffre invérifiable), le chef de produit qui a imaginé ce nom formé autour du mot burka n’a pas fait dans la délicatesse: j’attends désormais qu’un entrepreneur libéral épris de liberté d’expression imagine un pyjama pour hispster avec des rayures bleues et une étoile à la couleur de son choix; façon de dire que le cynisme et la récupération nauséabonde ne sont pas le seul fait de nos politiciens.
    Cordialement

  2. Bravo pour cette mise en perspective, si precise. Je viens de voir l’une apres l’autre deux videos, celle de Najat Valaud-Belkacem et celle de Manuel Valls, et la juxtaposition est cruelle. Deux manieres de faire de la politique, l’un se met en scene comme un leader dans l’arene, ce que Rene Girard aurait peut-etre appele « romantisme », tandis que l’autre s’efforce de se hisser « a la hauteur de l’evenement », comme disait le grand Deleuze. Merci Madame Valaud-Belkacem, merci Professeur Gunthert, vos interventions si differentes rassurent sur l’etat, en tout cas intellectuel et moral, de la France.

  3. Olivier, vous defendez une perception « symbolique » selon votre expression et c’est bien votre droit personnel. Mais permettez que d’autres s’efforcent de se hisser au niveau des faits, qui sont une realite mieux partageable. Daech, groupe terroriste le plus riche du monde, jouissant du flot quasi-illimite d’argent du Qatar, d’armes Americaines et de renseignements de l’OTAN, n’a tue presque que des arabes, appartenant a toutes les religions disponibles dans la region. Les pays qui soutiennent cette organisation comprennent au moins 3 religions differentes, ainsi que ceux qui la combattent. Bref, votre lecture « religieuse » a surtout une valeur symbolique, en effet. Merci de nous rappeler Daech, meme a la plage.

  4. Bonjour, je suis toujours surpris du renvoi systématique à l’orientalisme ou aux préjugés coloniaux quand on fait état de choses vues et observées, ici et ailleurs. C’est une forme de relativisme qui à mon avis empêche de questionner la réalité puisque vous nous sommez de n’y voir que nos propres préjugés et pas une évolution potentiellement inquiétante. Algérie, Jordanie, Tunisie, Maroc: lors de séjours dans ces pays, j’ai noté une omniprésence des voiles intégraux et écouté des gens me disant que cela n’existait pas ou peu il y a trente ans. Ai-je le droit de trouver cela archaïque et rétrograde et de me dire que cela ne va pas trop dans le sens du droit des femmes? Scène vue dans un hotel d’Amman: une femme intégralement voilée, mains gantées, essayant à côté de son tranquille époux, assez difficilement d’ailleurs, de faire passer sa tasse de café sous son voile, pour pouvoir boire. Vision navrante. Vous me direz: nous parlons ici de la France mais je serais pour le moins déçu (voire plus) de voir ce type de pratiques s’étendre en France, d’autant qu’il y a aujourd’hui, des formes particulièrement actives de promotion d’un Islam intégriste (imams intégristes, prédicateurs, DVD, chaînes TV du Golfe etc.) que vous ne pouvez nier. Personnellement, je n’associe pas du tout ces tenues au terrorisme et ces femmes sont théoriquement libres ici de les porter tout en pensant ce qu’elles veulent, innocemment ou pas. Mais ces tenues intégrales me choquent, comme beaucoup, pour leur côté agressivement rétrograde. La burqa, cela heurte et il n’est donc pas inconcevable que des hommes politiques, qui parlent à leurs électeurs, prennent en compte ce rejet par des lois plus ou moins bien fichues. Pour ce qui est des voiles sur les cheveux et autres fichus, je m’en fiche car ils ont toujours existé, y compris dans notre pays. Mais ne nous faites pas croire que ces tenues intégrales sont juste des tenues musulmanes de plus alors qu’elles revendiquent publiquement une forme de fondamentalisme.

  5. J’irais assez facilement dans le sens de François : il y a bien un islam qui monte partout au Maghreb. Lisez boualem Sansal, cette préoccupation n’est pas seulement une préoccupation de petit blanc. De la même façon il y a bien une montée identitaire et raciste en France. Les extrêmes s’alimentent l’un l’autre. On doit pouvoir dire ces choses. On doit aussi pouvoir dire qu’une certaine gauche a voulu faire de l’immigré (arabe mais pas seulement ) la figure de l’exploite pour remplacer la figure de l’ouvrier à la sociologie électorale déclinante. Ce logiciel de pensée empêche aujourd’hui une bonne partie de ceux qui participe de la culture de gauche de voir le réel: il y a deux extrême droite en France, celle que nous connaissons traditionnellement (et qui connaît de nombreuses ramifications) et celle de l’islam. Car quoi qu’on dise, quand on se réfère à la burka, on n’est pas pour la liberté, on participe de la campagne idéologique orchestre par les djihadistes et qui consiste à faire croire que les frustrations vécues ont toute pour origine l’islamophobie. Lisez les djihadistes vous seriez surpris de voir comment ils utilisent le discours sociologique. Lisez kepel aussi, cela descille les yeux.

  6. Le Conseil d’Etat vient de rendre sa décision à propos de l’arrêté interdisant le burkini à Villeneuve-Loubet, dont l’exécution est suspendue. En accord avec l’analyse proposée ci-dessus, l’ordonnance indique que «l’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, le liberté de conscience et la liberté personnelle». Il faut se réjouir d’une décision qui représente une évolution sensible de l’analyse par rapport aux « lois sur le voile ».

    @François: Les travaux des historiens ont montré les racines profondes de l’antisémitisme. Il n’y a pas lieu de s’étonner que la construction de l’islamophobie s’inscrive elle aussi dans une histoire longue. Toutefois, il n’est pas question de remonter aux Sarrasins: les liens que je fournis ci-dessus auprès des mentions de l’orientalisme ou de la tradition coloniale montrent une continuité sur des motifs précis, comme l’imputation d’archaïsme ou le sort particulier réservé aux femmes, dont on retrouve la trace exacte dans votre manière univoque d’aborder la question de l’islam.

    Votre commentaire reprend également un argument éprouvé, qui a notamment accompagné la discussion des lois sur le voile: celui qui établit un parallèle avec la situation des femmes dans des pays de tradition musulmane. J’ai expliqué pourquoi cet autre relativisme me paraît inapproprié dans le débat sur la légitimité des arrêtés anti-burkini. J’ajoute que cette globalisation forcée, qui nie les particularités et les significations, elles-mêmes diverses, du port de vêtements couvrants en France, contribue évidemment à renforcer la vision caricaturale d’une « guerre des civilisations » qui dresse face à face l’Islam et l’Occident.

    Votre dernière phrase reconduit l’imputation essentialiste que mon billet dénonce. Ces affirmations grandiloquentes sont contredites par les témoignages des intéressées, lorsqu’on se donne la peine de leur demander leur avis. Puisque vous m’invitez à considérer la réalité, je vous suggère à mon tour de lire et de prendre en compte ces témoignages (voir par ex. http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20160822.OBS6680/siam-verbalisee-sur-une-plage-de-cannes-pour-port-d-un-simple-voile.html).

  7. Me référant principalement à la burqa et aux voiles type djeldeb, je fais état d’une évolution vers plus d’intégrisme, non pas de TOUS les musulmans pratiquants mais d’une partie d’entre eux. On peut le voir par ex comme une réaction contre un mouvement historique de sécularisation et de modernité, dont parle Todt par ex. Cette évolution est observable et visible dans de nombreux pays mais je ne nie absolument pas que les situations de ces pays soient différentes, complexes, paradoxales, sujettes aussi à de l’espoir. Maintenant, s’agissant de l’habillement à connotation religieuse, on ne peut pas le dissocier de la religion dont il se réclame. Abdelwahab Meddeb parle dans son livre la maladie de l’Islam, d’une évolution générale vers une lecture plus fondamentaliste de cette religion, pour diverses raisons mais il dit bien que cette évolution n’est pas irréversible. Et je sais très bien que l’Islam a libéré les femmes du joug de la répudiation (au VIIème siècle) et qu’à travers l’histoire, cette religion n’a jamais constitué un bloc monolithique. Ce sont les décennies récentes qui m’intéressent et je ne vois pas pourquoi, dans un monde plus globalisé, les interprétations « globalisantes » seraient complètement disqualifiées. Si la lecture kepelienne vous défrise, libre à vous

    Ma dernière phrase reconduit cette imputation car je la crois fondée au moins en partie actuellement. Je crois que l’apparition récente de tenues intégrales s’inscrit dans une tendance intégriste d’une partie de l’Islam, qui ne concerne pas tous les musulmans mais une frange ouverte aux interprétations rigoristes, en provenance d’Arabie Saoudite. Maintenant concernant le réel et les témoignages, une femme peut me dire que c’est un simple habit, nécessaire pour être une bonne musulmane, je suis en droit de contextualiser un choix qu’elle n’aurait peut-être pas fait il y a vingt ans. Chez certaines, la notion de bonne musulmane a peut-être changé avec le temps, sans qu’elles l’objectivent clairement.

    Il est paradoxal que dans le cas d’une personne voilée témoignant, vous ne puissiez déceler aucun impensé « fondamentaliste » tandis que dans d’autres cas, quand on émet des critiques sur ce genre d’habit, on est dans la grandiloquence et évidemment pas très loin de l’impensé colonial.

  8. Avec ces arrêtés anti burkini je pensais que l’on avait touché le fond, en bêtise abyssale, d’ailleurs, et étrangement le petit Florian Philippot s’est aventuré malgré lui, dans du rigolo.
    Histoire d’habiller un peu le truc pour qu’il ait l’air un peu moins discriminatoire, il a préconisé que l’on bannisse de l’espace public tous signes religieux ostentatoires (il a même cité dans sa belle envolée: la kippa et la croix.)
    Notre si grand penseur risque là de franchir le mur du con, car une ville étant un espace public, il risque donc, du côté de Lourdes, de s’écraser comme une m…..de, devant une armée de policiers municipaux quelques peu débordés pour verbaliser…….

  9. Au risque de paraphraser Andre Gunthert, l’essence de la laicite c’est que l’etat ne se mele pas de religion. Le jour ou l’etat decide de ce qui est religieux et de ce qui ne l’est pas on ouvre la porte au fascisme. Souvenons-nous que c’etait l’etat nazi qui decidait, selon ses propres criteres, elabores lors de reunions compliquees, qui etait juif et qui ne l’etait pas. L’acte meme d’assigner une religion a autrui est raciste. « croire » ne peut, en realite, se prononcer qu’a la premiere personne. Enfin il ne faut pas confondre signe identitaire et signe religieux. Quand j’etais gamin les T-shirt avec slogans etaient interdits a l’ecole. On ne se faisait pas virer, on n’etait pas punis, mais on avait une remarque, et on nous demandait pourquoi on voulait « porter des pancartes »… L’identite est une chose trop subtile pour etre cataloguee par le gouvernement, il a bien d’autre choses a faire (du moins on l’espere) et pour etre identifiee par la police, qui elle aussi, on l’espere, a d’autres chats a fouetter.

  10. Mon impression est que l’affaire du burkini témoigne d’un tournant majeur par rapport à l’état du débat au moment des lois sur le voile, où l’argumentation pseudo-laïciste et pseudo-féministe avait emporté la conviction générale, y compris à gauche. Les arrêtés et les manifestations publiques de racisme qui ont accompagné leur application montrent que l’opinion d’une partie des Français s’est radicalisée. Mais cette radicalisation même a fait réapparaître l’ancrage politique très droitier de l’opinion prohibitionniste, dont les failles argumentatives ont été dévoilées au grand jour. Ceux qui sont apparus comme les plus en difficulté sont ceux qui semblaient détenir autrefois les clés du débat, les républicains de gauche autoritaires, dont la position n’est plus lisible. Mauvais plan pour Valls, Hollande, Mélenchon…, empêtrés dans une laïcité désormais retardataire, et marquée au fer rouge par le populisme de droite. En résumé, la France est plus raciste, mais la partie progressiste de l’opinion aperçoit mieux le piège islamophobe, ce qui paraît bien un progrès par rapport à 2010. Ajoutons que cette opinion éclairée n’est pour ainsi dire pas représentée par la classe politique, qui apparaît plus archaïque que jamais.

  11. André Gunthert , vous parlez des « prescriptions vestimentaires traditionnelles »… Mais de quelle « tradition » parle-t-on ? Le voile intégral est une importation de la mouvance wahhabite-salafiste, autrement dit un islam sectaire, qui reste (encore) minoritaire au sein du monde musulman, et tout à fait récent dans l’histoire de cette religion.
    En réalité, c’est à coup de pétrodollars, utilisant tous les ressorts de notre univers consumériste, que ces vêtements soi-disant religieux et leur dernier avatar le burkini, ainsi que des milliers de cassettes et d’ouvrages (j’en passe)… sont diffusés. Livrant une vision univoque et fermée de l’Islam, ils établissent une vraie stratégie de propagande, avant tout politique, qui a démarré dès les années 80. Bref, des méthodes tout à fait adaptées au monde moderne. Malgré son efficacité et son activisme qui sait la rendre très visible, ce n’est pourtant qu’une toute petite partie de la pensée musulmane. Celle-ci est une réalité complexe et c’est donc vous-même qui tombez dans le piège de l’essentialisation en voulant croire que s’attaquer à ce vêtement, c’est s’attaquer à l’ensemble des musulmans. Le « piège islamophobe » dont vous parlez est précisément le masque dont s’habillent ces extrémistes pour gagner les esprits, à savoir accentuer le repli identitaire chez les musulmans et affaiblir les fondamentaux de notre société occidentale en nous donnant mauvaise conscience.
    Il faut beaucoup de courage aujourd’hui chez les femmes musulmanes pour refuser le voile, face à ce lavage de cerveau très organisé et face à la force de la pression sociale, psychologique dans les quartiers, dans leurs familles. Il doit alors être plus simple pour certaines de penser que ce symbole d’oppression patriarcale est « normal » et volontaire. Ce n’est pas ce que j’appelle un choix. On pourrait aussi parler du combat des femmes dans certains pays comme l’Algérie pour pouvoir ôter leur voile et où ce « choix » de certaines françaises doit sonner comme une véritable gifle.
    La réaction autoritaire de l’Etat français n’arrange rien, puisque le voile devient alors un étendard révolutionnaire. Les gagnants : le FN et les fondamentalistes (entre autres).

  12. La relation entre image et identite est interessante: Peux-t-on se representer l’identite (la sienne propre, celle d’autrui) sans en faire, essentiellement, une image? Descartes ecrivait « je pense donc je suis » il a raison mais en pratique, quelle forme prend cette notion d’identite si ce n’est celle d’une image? Mais le vetement ne represente pas seulement l’identite de la personne mais aussi celle d’un groupe, comme si la maniere de porter un vetement etait un signe qui ne devient intelligible que sur le fond d’une certaine norme partagee par un groupe. Peut-etre du au fait que l’individu n’existe pas tout a fait, il est toujours membre d’une communaute. Et c’est surement cela qui choque certains sur la plage (et ils sont bien choques puisqu’il y a des denonciations): « Si ces musulmans pouvaient etre plus discrets, faire semblant de ne pas etre musulmans »… Comme leur demande publiquement Chevenement. (Ma foi il est gentil mais ils n’ont pas attendu son conseil, et on peut s’interroger sur le veritable but de ce « conseil » qui se pretend amical, qui ressemble plus a une menace s’il est donne en public, et Chevenement est trop fin politique pour ne pas l’avoir calcule). Les solutions de force tournent forcement a la farce, ca ressemble vraiment aux querelles vestimentaires d’adolescents, plus on leur interdit et plus ils trouvent des manieres fines de contourner, ayant bien compris depus le debut que le probleme n’est ni de se couvrir le visage ni de se cacher les cheveux ni (quelle blague!) de « liberer la femme », mais d’enjoindre aux musulmans d’etre discrets, et j’attend avec anxiete le jour ou les masques vont tomber et notre premier ministre, excede, va exploser et declarer: « chaque fois qu’une personne ne cache pas son appartenance a la religion musulmane elle fait reculer la republique »! Le jour ou nous accepterons qu’il y a des gens differents nous accepterons peut-etre aussi qu’il y ait des chretiens en Syrie et en Iraq, des juifs en Iran, toutes sortes de musulmans differents, et nous arreterons de nous allier militairement qu’aux monarchies les plus retrogrades, et objectivement, les moins interessantes.

  13. Note au passage: dans l’espèce de délire du dévoilement construit comme pendant moderniste à l’image archaïque du voilement, les propagandistes laïcistes présentent une histoire de la baignade qui va des tenues couvrantes au bikini, selon un paradigme où le dévoilement, synonyme d’émancipation, serait brutalement interrompu par l’arrivée forcément régressive du burkini.

    Or, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Il y a bien eu une progression du dénudement des corps jusque dans les années 1970-1980 (avec des différences sensibles selon les pays). Mais cette progression, qui aurait dû logiquement culminer avec le nudisme intégral, s’est heurtée à un retour de la pudeur, marqué notamment par la régression du monokini, désormais rare, au profit de maillots plus couvrants, une ou deux pièces. Dans cette histoire, le burkini n’apparaît pas comme une rupture, mais comme une accentuation d’un mouvement spontané qui a cessé de valoriser la nudité du corps des femmes.

  14. Excellent article. La Burkini est un faux problème, ce n’est que le symptôme d’une erreur de calcul abyssale dont nous subissons, après coup et petit à petit, les conséquences au quotidien. Ce vêtement est une provocation, il ne faut pas nier sous couvert de tolérance ou de relativisme culturel qu’elle en est partiellement une, mais c’est un juste retour de bâton. Comment s’attendre à ce qu’une communauté pointée du doigt depuis son apparition massive sur le sol français depuis l’après-guerre, n’en vienne pas à revendiquer, de force, le droit de se montrer ? De se rentre visible ? Autrement dit de revendiquer une place sur le plancher social le plus mainstream : la plage.

    Ne pas voir la dimension provocatrice de ce vêtement, c’est se voiler la face sur deux choses : l’expression radicale d’un sentiment d’injustice sociale, d’abord, et le fait que nous, français racistes, avons conduits les musulmans de France à en venir à de tels moyens. Dire, comme dans certaines réactions de ce forum, que les musulmans s’extrémisent, que la burkini n’existait pas il y a 10 ans de cela en Tunisie, en Algérie, et bien évidemment en France, et s’en étonner, c’est contribuer passivement au grand déni du peuple français : le principe même d’intégration, d’assimilation, donc d’incitation à adhérer sans contreparties à un système de valeurs, est une violence doublée d’une hypocrisie – puisque la France, les enclavant dans des banlieues sans la moindre chance de s’en sortir, n’a en vérité jamais voulu de ses arabes.

    Que les musulmans de France se radicalisent massivement est une réalité. Ils revendiquent vestimentairement et cultuellement (djellabah, ramadan, burkinis, voiles, hijab) le droit de cité que la France, sous couvert de laïcité, ne leur a jamais accordé. Évidemment, ces changements sont largement inconscients, mais ils n’en demeurent pas moins, même à titre sous-jacent, parfaitement politiques. Donc potentiellement clivants. Et dans les faits, la France, comme toujours, préfère à la discussion – ce grand mythe complètement creux du « débat social » – la réaction.

    La seule conclusion à tirer de l’épisode du burkini, c’est que la France est un pays raciste. Raciste, donc hypocrite. Drôle de voir s’indigner Valls, Copé, Sarko et tous les petits chefaillons de la côte d’Azur en arguant le droit des femmes à disposer de leur corps. Drôle parce que la France est un pays patriarcal et notoirement non paritaire. La vraie conclusion à tirer de cet épisode, c’est que les musulmans de France ont réussi leur beau pari : montrer quel visage hideux se cache sous le masque de la Laïcité ; celui des humiliations policières, des insultes, de l’eugénisme culturel et, surtout, de la trouille.

    La France a peur de son propre passé colonial, et ce passé, les musulmans de France ont bien compris qu’ils nous le rappelaient par leur simple présence. Alors cette présence, ils la soulignent, ils la mettent en couleur, en noir très profond sur le fond blanc-gastro de nos visages malades. La France a la chiasse, et le virus, ce n’est pas l’immigration, ce sont nos propres contradictions. Le premier pas d’un vrai multiculturalisme se trouve dans le miroir.

    Heureusement que des articles intelligents remettent les choses en perspective, je commençais à m’inquiéter.

  15. Bonjour Denouette,
    on m’a reproché précédemment de faire dans l’analyse globalisante, vous y allez franchement. Vous dites « les musulmans de france » comme si tous derrière cet étendard, revendiquaient fièrement le voile et le soutenaient. Rien ne corrobore cette franche adhésion et je pense qu’il n’y a pas d’avis tranché sur cette question au sein de l’hypothétique « communauté » musulmane. Je ne suis même pas sur que les générations soient d’accord entre elles. Quant à ceux qui ne font pas ramadan, ne portent rien et s’en foutent, vous les oubliez un peu vite. Vous niez le fait qu’une frange minoritaire mais active de musulmans puissent être ouverte à une pratique d’inspiration saoudienne (à travers des DVD, chaînes satellitaires, prèches), je ne vois aucun argument dans votre exposé qui contredit cette réalité, vous laissez juste parler vos nobles convictions. Je pense qu’on peut s’approprier cette identité « intégriste » d’importation par adhésion aux idées et aussi parce que frustré de sa situation en France, l’un n’empêche pas l’autre. Maintenant, je suis d’accord avec vous sur le racisme anti-arabe en France, il est virulent un peu partout et s’exprime contre une population qui n’est pas du bon côté du manche. Je le vois notamment sur FB, la peur et l’agressivité dominent. Aucune offre politique ne porte une vision multiculturelle, comme au Canada, parce que notre histoire, fondée sur un Etat centralisé, ayant dissous les identités régionales, ne nous rend pas prêt à le faire. Il faudrait faire des pas en négociant certains accommodements mais je ne m’avancerai pas sur ceux qui feraient le plus sens pour la majorité des musulmans. Si vous partez du principe que le peuple français est structurellement raciste, alors ce ne sont pas quelques concessions sur le voile, les fêtes musulmanes ou le ramadan qui changeront grand chose. On peut la jouer à l’anglosaxonne, dire que toutes ces histoires de burkini et de hallal, c’est bon pour une communauté et la laisser vivre dans ses ghettos.

  16. @Dénouette: Merci pour votre commentaire. Juste une mise au point sur la « provocation »… Plusieurs témoignages contredisant ce caractère ostentatoire ont été publiés (voir p. ex. http://www.varmatin.com/faits-divers/burkini-je-nose-plus-sortir-depuis-cet-arrete-les-gens-sont-dechaines-73578). Par ailleurs, le caractère éventuellement démonstratif du port de tenues couvrantes, que je n’exclus pas, fait partie de la manifestation des opinions protégées en démocratie. Mais ce qui me frappe surtout, c’est que ce caractère « provocateur » a été postulé et présupposé sans avoir jamais été démontré (par exemple par une enquête sur les intentions des femmes portant ces tenues). C’est pourquoi je le décris comme construit à partir de la réception: il est essentialiste, et omet toute possibilité de justification individuelle. La contradiction fondamentale est que ce sont les intentions ou les conditions du port qui sont visées par les arrêtés (intention provocante ou oppression patriarcale), sans que la possibilité soit prévue de vérifier ou de justifier d’autres modalités (non-appartenance à la religion musulmane, choix personnel, etc…).

    Comme pour le voile, le caractère non-individuel de l’interdiction montre que celle-ci vise à corriger un effet de norme, c’est à dire une perception collective dans l’espace public – ou du moins celle d’un groupe particulier: celui qui se sent menacé ou agressé par la progression des pratiques de voilement, décrites par de nombreux acteurs, soit un effet de type « grand remplacement ». Cette perception et la tentative de bloquer ou de ralentir le processus constituent des preuves du caractère raciste du projet.

    Je précise que, sans être spécialiste de ces questions, je pense que le progrès des tenues couvrantes est un phénomène multi-factoriel, qui ne peut être limité ni à ses aspects les plus caricaturaux, comme la burqa, ni à ses dimensions religieuses ou patriarcales, en particulier dans les pays musulmans imposant des tenues traditionnelles. En France, il est clair que des facteurs plus complexes interviennent, avec comme vous le suggérez un aspect de signature idéologique, mais aussi une identification culturelle, voire une pratique quasi-sécularisée relevant de la pudeur. En réalité, le changement culturel visé par les interdictions a bien lieu, mais il est à la fois plus profond et moins conflictuel, moins réactionnaire et plus moderne – comme on s’en aperçoit lorsqu’on écoute la voix des acteurs, au lieu de présupposer leurs mobiles.

  17. Salut François,
    Alors soyons franglo-saxons, inventons un multiculturalisme sans ghettos. Avec des blancs, des rebeux, des renois, des noichis et des tos qui coexistent en bonne intelligence. Et c’est pas gagné, parce que les ghettos, de fait, ils existent chez nous aussi. Vous avez raison de souligner que je n’ai pas d’arguments, les arguments c’est pour André Gunthert, moi je réagis – je fais honneur à la tradition des forums. Et heureusement qu’on peut abonder dans le sens d’un article sans s’acquitter d’un plan en 27 parties ; c’est quoi cette vision scolaire du commentaire ? Je suis pas là pour analyser, j’abonde, c’est tout.

    Y’a quoi de compliqué dans « musulmans de France » ? Je trouve la formulation déjà bien précautionneuse. Ça les inclut tous, point. Exactement comme Manu et Nico le font en employant ce type de formule. Parce que, dans la tête du français moyen dans mon genre, et dans les formules choisies pour s’adresser précisément à ce français moyen-là – l’électeur quoi -, le « musulman de France » c’est « l’arabe ». Facile de faire le pro en disant qu’il en existe plein de sous-genres, comme on parlerait d’une espèce, mais je suis pas là pour pontifier, et malgré sa langue de pro, je crois qu’André Gunthert non plus. Me qualifier de « petit blanc » serait aussi juste, et en même temps aussi faux, que de parler de « français de souche ». Le reste est une question d’éthique. Et en l’occurrence je préfère parler de musulmans de France en disant quelque-chose d’abondant, que de m’empêcher de penser sous prétexte que c’est plus compliqué. L’heure est aux amalgames, faisons avec.

    De fait, les arabes de France posent problème. Ils posent précisément problème parce qu’on les a pétrifiés dans une communauté, on les a essentialisé – pour reprendre un gros mot à la mode. Alors parlons de ce qu’ils sont, ou de ce qu’on les a obligé à faire : parlons de ce recroquevillement. Mais parlons-en pour redire combien nous en sommes les premiers et les seuls responsables. Il y aura toujours des pros pour dire que c’est multifactoriel, et heureusement qu’ils sont là pour tempérer les rageux comme moi, mais je choisi de faire synthétique, parce que c’est percutant. Et je redis que si les symptômes de radicalisation prolifèrent, c’est parce que tous les arabes de France – TOUS, des plus franchouillards d’adoption aux terroristes « ennemis de la nation » – ont le sentiment diffus de ne pas être des français comme les autres, et qu’on le leur signale H24.

    Je vais répondre à votre question par une image : je pars du principe que la France est une arche indestructible, avec une belle charpente de valeurs universelles, mais que les capitaines et passagers qui s’y sont succédé ont fini par avoir peur de l’eau, à tel point qu’il l’ont remisé. Aujourd’hui, ce bateau n’est plus qu’un bibelot, un concept creux qu’on ne doit toucher qu’avec les yeux – il n’est plus fonctionnel. Non, la France n’est pas foncièrement raciste, elle est historiquement esclavagiste, coloniale, eugéniste, et se permet de donner des leçons de démocratie à des pays qu’elle continue d’exploiter. Et en même temps – c’est ça le plus important, cette simultanéité contradictoire, cette hystérie dans le texte – elle n’est pas raciste. Elle a juste peur de regarder ses paradoxes dans le blanc des yeux.

    Moi je dis qu’il faut laisser les arabes tranquilles, laisser Gucci leur faire des voiles en papier crépon et combattre le terrorisme par un bon vieux coup de fraternité dans les valseuses. Ça implique plein de choses que je ne vais pas détailler ici, mais ça suppose surtout d’arrêter de flipper comme des merdeux. Je vote pour le candidat qui aura pour slogan de campagne : « Pour que la France détende son slip » – lui, il aura tout compris.

    @André Gunthert : Je me permettais de souligner ce qu’il y a de juste dans cette provocation. Évidemment, je ne parle pas pour les victimes du vitiligo. Comme vous dîtes, on prête le flanc à une grosse parano, et ce qu’il y a de drôle – parce que probablement recherché par la provocation – c’est la réaction manu militari des bras armés de l’État. Il y a préjugé et procès d’intention, pas d’infraction. Il y a flagrant délit de psychose et de discrimination. Le burkini, volontairement ou non, a surtout révélé l’incapacité des gouvernants à garder leur calme. Nous sommes gouvernés par des émotifs.

    Bien sûr, le burkini n’est pas qu’une provoc. C’est notre oeil angoissé qui ne la voit qu’ainsi. Mais c’est aussi la conséquence inéluctable d’un repli sur soi. Puisque la France ne veut pas d’eux, ne leur a jamais laissé croire en la possibilité d’une acceptation, comment voulez-vous qu’ils jouent le jeu ? Ils osent exhiber leur différence, ce que les pères, longtemps dociles, refusaient de faire par respect pour une France qui ne les a pourtant jamais respectés, eux. La burkini, c’est le produit un peu mal fichu d’une histoire de l’immigration maghrébine en France : avant, les mères n’allaient pas à la plage, maintenant, leurs filles y vont mais couvertes. Paradoxe, mais étendard aussi : nous sommes françaises, mais nous ne sommes pas comme vous, regardez. À chacun son petit effet de distinction. On oubli souvent de mentionner le facteur fierté. Or la fierté, ce n’est pas que pour Nadine Morano et la France de race blanche. Et leur fierté, en 60 ans de cités, de clichés et d’abandon, elle en a pris un sacré coup. Et au risque de passer pour un essentialiste, on peut dire que les arabes sont sacrément fiers. Moi je dis Psahtek.

  18. Beaucoup de choses dans la discussion Francois-Denouette-Gunthert. Juste un aspect qu’on ne peut pas oublier: Cette polemique est amplifiee par les politiques, les memes qui conduisent aujourd’hui une guerre coloniale au moyen-orient. Ce n’est pas un hasard que notre ancien president, boucher de la Libye, et qui aujourd’hui pretend vouloir « changer la constitution » pour imposer la tenue vestimentaire « republicaine », exhorte les chretiens de quitter le moyen-orient, ou ils vivent depuis que les chretiens existent, (et meme avant). Ce n’est pas un hasard si ces memes politiciens, et notre gouvernement actuel, prennent le parti de l’ISIL d’Al Qaeda et de la famille Seoud, dans leur entreprise de destruction de tous les pays arabes ou les femmes ne sont pas voilees. L’Occident a invente la purification ethnique ,l’a pratiquee a une echelle incommensurable, et aujourd’ui il a bien du mal a sortir de ce schema de pensee. Les pires ennemis des purificateurs ethniques sont des gens comme Michel Aflaq, Henri Curiel, et ceux moins connus qui ont pris la releve aujourd’hui et qui sont sur la liste de cibles prioritaires des « terroristes moderes » chers a Laurent Fabius. Ce n’est pas seulement le passe qu’il faut regarder en face, mais aussi et surtout le present.

  19. La culture de victimisation est entretenue par les medias et intégrée par les protagonistes. Le burkini est une provocation aux fins de victimisation, la pratique d’un islam moderne tels qu’il existait dans les années 60 en Afrique du Nord n’existe plus. Il y a une régression qu’il faudrait ignorer, le burkini n’est ni contraire aux lois, ni à l’ordre public, mais à la norme des mœurs occidentaux certainement. Le burkini est un pas vers la pratique d’un islam plus rigoureux dans les lieux de plaisirs hédonistes. La symbolique ne peut être ignorée après les attentats du 11ième arrondissement de Paris réputé pour son sens de la fête et sa liberté. Ce qu’il faudrait ignorer c’est la provocation et, au contraire, jouir de la différence entre seins nus et burkini., tout comme le café de La belle équipe fait salle comble tous les soirs ;)
    Vive la Vie.

  20. Les normes sont faites pour évoluer (et la plage est un espace nettement plus évolutif que beaucoup d’autres espaces publics). Le burkini n’est pas un pas vers la pratique d’un islam plus rigoureux, mais au contraire une adaptation qui témoigne d’un assouplissement des impératifs traditionnels. Le caractère toujours très tortueux du raisonnement (ici la dimension « hédoniste » du loisir balnéaire rapprochée d’une spéculation politico-médiatique sur les objectifs supposés des attentats de novembre 2015, dont le procès n’a pas encore été instruit) est un bon indicateur du caractère fantasmatique de l’argumentaire.

    La provocation n’existe que dans l’oeil de celui qui regarde (on se souvient de l’argument du violeur: « Elle m’avait provoqué, Monsieur le juge »). Et ce regard se dénonce lui-même comme raciste: rien, en démocratie, ne justifie de faire obstacle à la visibilité des signes de la culture arabo-musulmane, sinon un sentiment d’altérité radicale et le fantasme d’envahissement qui en découle (on ne peut être envahi que par ce qui n’est pas soi). « Rentrez chez vous! » crie la vox populi à des Françaises médusées, qui ne sont pas moins chez elles que ceux qui se croient détenteurs du droit de séjour.

  21. « Le burkini n’est pas un pas vers la pratique d’un islam plus rigoureux, mais au contraire une adaptation qui témoigne d’un assouplissement des impératifs traditionnels. »
    Qu’on laisse les gens portant leur burkini sur une plage, franchement je m’en fous: chacun son délire. Après tout je respecte aussi les raéliens qui voit des extra-terrestres partout. Mais considérer le burkini, une variation cynico-commerciale de la burqa, comme un progrès, il fallait oser… « La liberté c’est l’esclavage » alors ? Orwell disait vrai, les temps totalitaires sont toujours confus: les mensonges ont les atours de la vérité.

  22. C’est mieux de se renseigner avant de commenter. Le burkini, modèle déposé d’origine australienne, qui laisse le visage découvert, n’a d’autre rapport avec la burka (voile intégral qui dissimule le visage, souvent confondu avec le niqab, qui ne laisse qu’une fente pour les yeux) que celui du calembour. Cette tenue est jugée trop moulante par les intégristes, qui refusent de toute façon aux femmes le droit à la baignade en public (http://www.islamweb.net/emainpage/index.php?page=showfatwa&Option=FatwaId&Id=131471). Il est donc contradictoire de faire du burkini un emblème de l’islamisme radical, alors qu’il s’agit d’une interprétation moderniste des prescriptions traditionnelles.

  23. Cher Andre Gunthert la raison ne peut pas grand-chose parfois face a la passion. (L’article de Julliard m’a remplis de tristesse. Meme lui… Quelle confusion generale, quelle bouillie dans les tetes!) Ca ne veut pas dire qu’il ne faille pas continuer a defendre la verite. Elle a besoin de defenseurs, et c’est une question de dignite. Et on ne sait jamais sur quoi ca peut aboutir, l’avenir n’est pas ecrit, et aucun effort n’est jamais gache. Comme disait Maitre Ekhart:

    « Maintenant, si l’on demandait à un homme véritable, quelqu’un qui opère de son propre fond : « Pourquoi opères-tu tes œuvres ? », s’il voulait répondre droitement, il ne dirait rien d’autre que : « J’opère parce que j’opère »

  24. @laurent fournier: on saisit bien à vous lire que vous possédez un morceau de la vraie croix. C’est rassurant de voir le réel convoqué de si belle manière.
    Vous me permettrez de vous laisser à votre petite cour d’universitaires ratés.

  25. Si l’on peut apprécier le talent d’A.Gunther pour mettre en perspective le phénomène burkini, et pointer les faiblesses de jugements sommaires tels celui d’un Manuel Valls dénonçant le burkini comme « un signe politique de prosélytisme religieux qui enferme la femme », on ne peut pour autant ignorer la dimension symbolique – non univoque – du port ostensible de cet accoutrement lié (fût-ce au prix d’interprétations erronées) à une pratique religieuse allogène sur une plage publique très fréquentée du sud de la France.

    Même si le port du burkini peut être dénué « d’intention maligne » chez certaines de ces adeptes qui n’en font pas un acte militant, il n’en reste pas moins que cette mode incommode (hum) un grand nombre de nos concitoyens traumatisés par les crimes de masse sanglants perpétrés en France au nom de l’Islam. Et ce qui n’est pas légal aujourd’hui (l’arrêt du conseil d’Etat s’inscrit dans la logique du droit positif français), pourrait le devenir demain s’il faut prendre des mesures radicales pour garantir la paix publique.

    Ce que dit Kamel Daoud sur « l’islamophobie, fille de l’islamisme » mérite d’être entendu. « On ne se souvient pas de rejet des musulmans, en Occident, à l’époque où l’Islam était une foi, et pas un programme d’extension de la soumission. Au mieux, la pratique religieuse suscitait la curiosité, ou les fameux orientalismes […] Et cette évidence de la filiation, douloureuse, est à admettre pour les musulmans, de foi, de culture, ou d’histoire, en Occident ou ailleurs, pour pouvoir s’en défaire, ne pas céder au statut de victime […]. Si aujourd’hui l’islam fait peur et provoque le rejet, c’est parce qu’on tue en son nom, on massacre et on s’en réclame pour habiller l’horreur ou le déni de soi et des siens ; il n’est plus la forme d’une foi, mais d’un refus de vivre et de laisser vivre. […] ».

    En dénonçant un certain discours anticolonial qui absout les islamistes, Kamel Daoud, victime lui-même d’une fatwa, apporte au débat une contribution non dénuée d’intérêt.

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