Des images venues d’ailleurs

Note sémiotique. Dans la comparaison classique de l’image et du langage, on oppose habituellement l’immédiateté de la perception de l’image au caractère processuel de la compréhension linguistique1. L’arrivée des images dans la conversation permet de compléter cette observation.

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Conversation visuelle sur 9Gag (gifs).

Une différence qui saute aux yeux dans les usages conversationnels est celle du caractère massivement autoproduit des unités syntaxiques, les phrases, quand les images sont le plus souvent des emprunts. Mis à part le recours exceptionnel à des formulations existantes – citations ou proverbes –, les énoncés linguistiques résultent habituellement d’un exercice autonome et spontané, car celui-ci présente les meilleures garanties d’adaptation et d’interprétabilité, dans le contexte d’un échange évolutif toujours susceptible de surprendre.

La situation des images est à peu près inverse: s’il arrive de recourir à un matériel autoproduit (par exemple un selfie), dans une majorité de cas, l’iconographie provient de sources externes, par exemple des illustrations récupérées sur Google Image, des extraits de films sous forme de gifs animés, des images légendées réalisées sur un générateur de mèmes, voire un clip musical.

L’image constituant un bloc sémiotique figé, celle-ci ne présente pas la même adaptabilité que le texte à l’évolution d’un échange en temps réel. Elle est donc utilisée à la manière d’un proverbe, comme une unité signifiante close, prélevée sur un stock existant en fonction des besoins. Dans les cas les plus fréquents, l’image, même associée à une légende ou un commentaire, est utilisée de manière ponctuelle au sein d’un échange dont les unités verbales permettent de maintenir le caractère adaptatif.

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Stickers sur Facebook.

On peut faire le même type de remarque à propos de l’emploi d’émojis ou de stickers, pictogrammes que l’on va piocher dans un stock externe, pour émailler la conversation de ponctuations émotives, ludiques ou décoratives.

Ce lexique se rapproche toutefois dans son usage de celui d’un alphabet visuel, dans la mesure où il propose des unités polyvalentes, dont la signification réduite permet de les mobiliser dans une grande variété de contextes. On est ici dans un espace intermédiaire entre l’universalité des formes symboliques et le caractère plus situé de l’iconographie. De nombreux usages conversationnels (voir exemple ci-dessus) tendent à généraliser la signification d’une image, ce qui la rapproche de la polyvalence de l’émoji ou du sticker. L’usage conversationnel de l’image alimente un processus de symbolisation des formes visuelles.

L’adaptabilité de l’outil énonciatif apparaît comme une caractéristique essentielle de la performance communicationnelle. La moindre versatilité de l’image explique à elle seule cinq traits typiques de son usage conversationnel: son usage ponctuel, son caractère stéréotypé, sa réduction à un message simple, sa dimension volontiers aphoristique, enfin sa mobilisation essentiellement appropriative.

  1. W. J. T. Mitchell, Iconologie, Les Prairies ordinaires, 2009, p. 93. []

5 réflexions au sujet de « Des images venues d’ailleurs »

  1. Alain Korkos me fait remarquer sur Facebook que la parole est « facile et rapide à produire », alors que « produire une image demande plus de temps ». On peut discuter cette distinction (un outil comme le smartphone a rendu la production de l’image facile et rapide), mais elle reste globalement valable. Je pense toutefois qu’au-delà du critère de la facilité de production, l’obstacle principal reste le fait qu’une image est une forme figée, comme une phrase qu’on ne pourrait plus modifier. De même qu’un répertoire d’idéogrammes est forcément beaucoup plus abondant qu’un alphabet (le chinois compte par exemple entre 40.000 et 60.000 caractères), l’usage de formes figées oblige à recourir à un lexique étendu, qu’il ne paraîtrait pas pertinent de produire de manière autonome.

    Le recours à un répertoire de formes existantes permet également de jouer du registre de la référence culturelle, qui représente une plus-value du point de vue conversationnel. C’est pourquoi l’expression linguistique la plus proche de l’image est le proverbe: forme figée preéxistante, utilisée de manière citationnelle, avec le bénéfice de l’autorité conférée par la reconnaissance publique.

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