La célèbre photographie de Jean-Pierre Rey représentant une jeune femme brandissant un drapeau1 , prise le 13 mai 1968 à Paris (fig. 1), évoque-t-elle spontanément le tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830, fig. 2) ? Le rapprochement paraît aujourd’hui évident, comme l’indique un article de Wikipédia intitulé «La Marianne de Mai 68», qui résume l’avis commun : « Cette image, devenue emblématique, a en effet été rapidement assimilée, par la presse nationale et internationale, à La Liberté guidant le peuple2 ». Une affirmation qui évite soigneusement de citer la moindre source, tout comme le jugement pourtant assuré de l’expert Alain Korkos, qui déclare en 2008 : « La Marianne de Mai 68 fit le tour des rédactions, parut à la une de nombreux journaux et magazines dans le monde entier », « baptisée la Marianne de Mai 68 parce que le parallèle avec le célèbre tableau de Delacroix apparut immédiatement aux yeux de tous3 ».
Il n’y a pas un mot de juste dans ces explications circulaires, qui justifient le succès de l’icône par la visibilité supposée d’une référence historique prestigieuse, sans préciser en quoi cet effet de citation enrichit la photographie. En réalité, en 1968, la jeune femme au drapeau est publiée en tout et pour tout dans trois magazines (Life, Paris-Match, L’Espresso) – dont seulement deux fois en grand format. Chaque média propose une lecture différente de l’image. Une seule peut être rapprochée de la référence à Delacroix.
Dans sa thèse, en 2015, puis dans le catalogue de l’exposition Icônes de Mai 68, présentée en 2018 à la Bibliothèque nationale de France, Audrey Leblanc établit que l’accès à la notoriété du cliché de Jean-Pierre Rey est un processus postérieur, favorisé par ses remobilisations lors des anniversaires décennaux de la révolte étudiante4 (fig. 3-4).
Suggèrant une vision positive de Mai 68, cette image épique ne pouvait s’imposer pendant la première phase de la réception du mouvement par les médias français, qui décrivent alors des troubles insurrectionnels violents. Son empreinte culturelle s’amplifiera en proportion de l’approbation rétrospective de la rébellion. Ce n’est qu’en 1988, vingt ans plus tard, que Paris-Match offre sa couverture à la jeune héroïne, et que L’Express évoque explicitement la référence picturale: «Comme La Liberté guidant le peuple de Delacroix est attachée à la révolution de 1830, elle est devenue le symbole de Mai»5.
Le bal des icônes
Pourtant, le 24 mai 1968, le premier magazine qui choisit de publier cette image est un magazine américain. L’hebdomadaire Life consacre deux doubles pages aux événements français, sous un angle qui internationalise le mouvement étudiant, mis en rapport avec la révolte des campus américains contre la guerre du Vietnam ou avec le Printemps de Prague. Cette vision très synthétique caractérise ces mobilisations comme une «demande de nouvelles libertés» contre des pouvoirs vieillissants, et interprète l’insurrection parisienne comme une «révolution» de la jeunesse6».
C’est cette grille de lecture qui anime la sélection et l’organisation narrative de l’illustration. Après une première image spectaculaire de Jean-Pierre Rey représentant des étudiants le visage dissimulé par des masques tachés de couleur rouge, la seconde double page propose une composition de dix clichés, comprenant notamment des photographies de Gilles Caron, Henri Bureau, Bertrand Laforêt et Jean-Pierre Rey (fig. 5-6). Huit photos en petit format d’affrontements violents au Quartier Latin entourent deux images plus grandes, l’une d’un CRS enjambant un amas de pavés, l’autre de la jeune fille au drapeau, en vis-à-vis, qui semblent une déclinaison de l’intertitre général: «Défiant la matraque et le gaz lacrymogène pour sauver les barricades»7.
Une version simplifiée de cette composition, qui ne retient que le face à face des deux photographies les plus grandes, sera reproduite en décembre 1968 dans l’édition récapitulative Life Atlantic, destinée au continent européen8. Cette reprise confirme l’intention narrative qui préside à l’association du couple d’images du CRS et de la jeune femme, de la matraque et du drapeau, de la barricade et de la foule. Plutôt qu’une simple restitution documentaire, cette confrontation vise manifestement l’évocation symbolique.
Les références implicites de cette mise en page seront dévoilées par le numéro du 10 octobre 1969, que Life consacre à une histoire des révolutions, destinée à éclairer les rébellions de la période. Le dossier s’ouvre par une superposition de la photographie de Jean-Pierre Rey sur une version détourée du tableau de Delacroix (avec, dans le coin gauche, une autre photo par Pierre Boulat d’un étudiant arborant le poing levé du combat pour les droits civiques, fig. 8).
Cette composition exceptionnelle fait apparaître ce qui reste habituellement caché: la lecture d’une image par son éditeur. La combinaison de la jeune femme au drapeau avec La Liberté guidant le peuple atteste l’interprétation allégorique de la photographie de Rey par la rédaction de Life, qui se sert de l’exemple français pour mettre en perspective par la référence historique le caractère révolutionnaire des mouvements protestataires contemporains.
Plutôt qu’un simple parallèle, le chevauchement des images semble suggérer que la photographie noir et blanc incarne et vérifie dans l’histoire la vision imaginaire du tableau, à la manière décrite par Louis Marin à propos du parc d’attraction de Disneyland, espace paradoxal où «l’image devient réelle» et la réalité image9. Il s’agit de la première occurrence d’un motif qui deviendra un réflexe du commentaire des icônes photographiques: la justification de la lecture allégorique d’une photo de presse par son rapprochement avec un précédent pictural.
Ce montage permet rétrospectivement d’expliquer la logique qui guide l’association des deux photographies du numéro du 24 mai. Alors que La Liberté guidant le peuple représente un groupe armé de fusils ou de sabres, sur une barricade couverte de cadavres et de blessés, la photo de Jean-Pierre Rey montre une jeune femme pacifique, au sein d’une manifestation légale. Pour compléter le parallèle que suggère l’édition, il est nécessaire d’associer à la jeune femme au drapeau un complément iconographique qui restitue la barricade manquante. Le couple d’images constitue donc une véritable composition narrative: une évocation du précédent révolutionnaire, qui structure la lecture de Mai 68 dans l’hebdomadaire américain.
«Partout où l’on regarde, se lève le drapeau de la révolte» énonce le commentaire de 1969, qui analyse l’effervescence mondiale comme une demande de nouveaux droits et de nouvelles libertés10. Dans cette vision globale, la référence à Delacroix ne renvoie pas aux Trois glorieuses de 1830, mais a pour fonction d’illustrer la Révolution française – selon l’usage allégorique qui a fait le succès du tableau.
Comme l’explique l’historien Maurice Agulhon, le personnage représenté par Delacroix, allégorie de la Liberté, ne peut pas être un symbole de la République, alors que le régime porté au pouvoir par l’insurrection est la Monarchie de Juillet, et que la figure de la Marianne n’est pas encore stabilisée11. Acquise par Louis-Philippe, l’œuvre est rapidement reléguée au premier étage du musée du Luxembourg, avant d’être remisée dans ses réserves. Ce n’est qu’à partir de 1874, après une longue éclipse, que le tableau sera exposé en bonne place au Louvre12.
A la faveur de l’éloignement temporel et de l’iconographie patriotique promue par la Troisième République, le drapeau tricolore et la scène d’émeute euphémisée par le personnage féminin sexualisé rencontrent le goût pompier de la culture d’Etat. Multipliant les représentations à l’antique qui déréalisent l’histoire des conflits du XIXe siècle, le nationalisme républicain encourage la confusion des personnages de la Marianne, de la déesse de la Victoire ou de la Liberté (fig. 10). Décontextualisée par ses citations dans l’espace culturel et scolaire, l’œuvre de Delacroix devient la principale icône de l’événement révolutionnaire13 (fig. 11). Tel est le sens de sa mobilisation par le magazine américain, qui utilise le tableau à la fois comme une métaphore de l’histoire de France et comme la convocation quasi-photographique de 1789.
Lorsque Paris-Match publie à son tour la jeune femme au drapeau, le 15 juin 1968, les choix narratifs de l’hebdomadaire sont diamétralement opposés. Associée à trois autres clichés en petit format, l’héroïne de Jean-Pierre Rey s’efface devant une autre photographie (à l’identification incertaine), qui occupe l’essentiel de la double page, et montre une jeune fille brune, brandissant un drapeau noir (fig. 12).
L’approche du texte de présentation est factuel, et se concentre sur le déroulement de la manifestation du 13 mai. Le titre insiste sur la présence des lycéens qui ont rejoint le mouvement étudiant: «Pour la première fois dans un défilé populaire, des lycéens et des drapeaux noirs». La légende précise: «Les collégiennes: des pasionarias porte-drapeaux ou des guerrières en casque US»14.
Comme l’expliquent Audrey Leblanc et Dominique Versavel, cette composition met en avant la dimension anarchiste et protestataire de Mai 6815. De la part d’un organe qui a exprimé son soutien à de Gaulle, cette présentation traduit une vision négative du mouvement.
L’allusion aux influences étrangères est une autre indication inquiétante pour un lectorat conservateur. La jeune femme de Jean-Pierre Rey brandit le drapeau du Vietnam communiste (fig. 13), l’autre, le drapeau anarchiste. Même en noir et blanc, ces emblèmes ne peuvent pas être confondus avec des drapeaux tricolores, comme ceux déployés par la contre-manifestation de soutien à de Gaulle du 30 mai, et suggèrent au contraire une opposition résolue à la légalité républicaine. Il est donc impossible, dans ce choix de récit, d’interpréter la jeune femme au drapeau comme une Marianne, c’est-à-dire comme une figure de la nation.
En évoquant les «pasionarias porte-drapeaux», la contextualisation de Paris-Match renvoie à un autre imaginaire. Au confluent du mouvement ouvrier et de la revendication féministe, apparaît au début du XXe siècle une iconographie moderniste qui met la femme au premier plan, non plus comme une divinité ou une allégorie sexualisée, mais comme une combattante et une actrice de l’Histoire, représentée le poing levé, brandissant une arme ou un drapeau (fig. 14). La militante communiste espagnole Dolores Ibárruri (1895-1989), surnommée la Pasionaria, figure de la lutte contre le franquisme, fournit à cette imagerie une de ses incarnations fameuses (fig. 15).
C’est à cette lignée que se rattache l’option narrative choisie par l’hebdomadaire italien L’Espresso, premier magazine à afficher la photographie de Jean-Pierre Rey en couverture, le 9 juin 196816 (fig. 16). Encadrée d’un liseré tricolore, celle-ci propose de voir la mobilisation française comme un écho des grèves du Front populaire de mai-juin 193617. Le choix d’un personnage féminin comme emblème des événements traduit la sympathie de l’hebdomadaire de gauche pour un mouvement perçu comme progressiste.
Photographie et narration
Ce parcours iconographique permet de déployer les mécanismes de l’usage narratif de l’image d’information. Contrairement à l’idée d’une photographie de presse comme document intangible, doté d’une signification univoque qu’une analyse sémiologique permettrait de reconstituer, les variations de la lecture de la jeune fille au drapeau montrent que chaque édition construit un récit différent de l’événement et retient des signaux distincts dans l’image.
Rien d’étonnant à ce que les magazines étrangers appliquent une grille de lecture plus distanciée au mouvement français, et privilégient l’analyse historique. De même, il est compréhensible que la vision postérieure des commémorations, dont le rôle est de resituer l’événement dans l’Histoire, adopte à son tour cette perspective. Pourtant, si le sens de la jeune fille au drapeau a fini par se figer dans la chimère historiciste de la Marianne, la diversité initiale de ses lectures témoigne de l’adaptabilité de l’image.
Lorsque son auteur prend la célèbre photo sur la place Edmond-Rostand, après avoir suivi durant plusieurs minutes l’avancée du sujet remarquable formé par la belle jeune femme juchée sur les épaules d’un manifestant, il donne une lègère inclinaison vers la droite à son appareil, de façon à accentuer le caractère dynamique de la posture, bras tendu et buste en avant. L’angle de la prise de vue, qui dissimule le porteur par une tignasse bouclée au premier plan, détache le haut du corps de l’héroïne, qui survole la foule et paraît la guider, à la manière d’une moderne Jeanne d’Arc menant ses troupes au combat.
Si la composition est remarquable, la valeur d’information de l’image est faible par rapport au déroulé des événements. Son format réduit dans la mise en page de Paris-Match est conforme à une lecture qui met en avant les soubresauts plus violents de Mai 68. Seule une interprétation allégorique peut conduire à valoriser une figure de femme anonyme, qui métamorphose une actualité menaçante en épopée et en symbole historique. En vertu d’un stéréotype de genre, popularisé de longue date par l’iconographie de Jeanne d’Arc, donner à un personnage féminin un rôle de guide dans un contexte d’affrontement a pour effet d’euphémiser la violence et suggère une lecture favorable de l’événement. Tel est bien le sens que donne l’allégorie de la Liberté au tableau de Delacroix. Telle est également la vision que Life veut imposer de la révolte étudiante française.
Un facteur décisif de sa compréhension est l’interprétation du drapeau, signe de ralliement en principe non équivoque, mais que la photographie traduit de manière ambigüe, à la fois par l’abstraction du noir et blanc et par le mouvement de l’étoffe, qui masque en partie son dessin. Alors que la contextualisation de la première édition de Paris-Match restitue la dimension contestataire du drapeau nord-vietnamien par son association avec d’autres signes politiques, celle de Life joue de l’incertitude référentielle du motif et neutralise sa signification en suggérant une lecture symbolique par la confrontation avec l’image du CRS. Dans ces deux cas, la compréhension de la jeune fille au drapeau se construit par la composition avec d’autres photographies et par la lecture combinée du texte.
Dans l’édition de 1969 de Life comme dans celle de L’Espresso, c’est une solution graphique qui est retenue. La superposition avec La Liberté guidant le peuple ou l’apposition d’un liseré tricolore, forçant la lecture du document, suggèrent une contamination de la bannière par les couleurs du drapeau français.
Une autre option, adoptée par Paris-Match à partir de 1978, consistera à réduire la place du drapeau, en centrant l’image sur la jeune femme, et en recadrant le cliché. Grâce à une version qui redresse l’image en l’inclinant vers la gauche, et en coupant près de la moitié de sa surface, la couverture du numéro spécial de 1988 rejette la presque totalité du drapeau hors du cadre (fig. 19-20). Alors qu’ils se rallient à la lecture initiée par le magazine Life, les éditeurs de Paris-Match signalent par cette manipulation qu’ils n’ont pas perdu la mémoire de l’événement, et que faire apparaître la Marianne suppose d’effacer de l’image les signaux qui contredisent le récit.
Quoiqu’elles respectent l’essentiel du motif, ces variations discrètes sont la marque d’un processus d’adaptation du document photographique, qui oriente sa lecture vers le schéma narratif déterminé au préalable par la rédaction. L’ensemble des procédures iconographiques, à commencer par la sélection de l’image ou le choix de son format, contribuent à cette élaboration, où la photographie est utilisée comme un matériau au service d’un récit.
Ces observations invitent à corriger la méthode qui consiste à considérer l’image comme un vecteur d’information autonome, et le photographe comme l’auteur du message18. Lorsque la photographie entre dans la composition du récit de l’information, l’auteur de la narration est l’éditeur, qui procède à l’ensemble des choix signifiants, comme le légendage, le recadrage ou la mise en relation avec d’autres clichés – le plus souvent sans en référer au photographe. De même, force est de constater que l’unité visuelle à prendre en compte n’est pas la photographie, mais son édition, autrement dit l’ensemble des caractéristiques de sa publication, qui constitue un produit culturel autonome.
Cette révision conduit également à revaloriser le rôle du texte, souvent minoré ou dédaigné par l’analyse sémiologique, alors qu’il forme avec l’image un récit combiné, comparable à une production audiovisuelle. L’emploi du terme «révolution» (Life) fait écho à un choix iconographique qui évoque le précédent historique, tout comme la mention de «pasionarias» (Paris-Match) s’appuie sur une sélection de femmes émeutières. Une option narrative impose une cohérence globale qui se répercute aussi bien sur le texte que sur l’image. C’est pourquoi, plutôt que sur un décryptage de signaux visuels dépourvus d’ancrage énonciatif, il convient de fonder l’analyse des images de presse sur l’identification des concordances internes des contenus, et de chercher dans le texte les preuves des options narratives qui ont déterminé la sélection des images.
La “mariannisation” de la photographie de Jean-Pierre Rey reproduit la confusion qui a donné à la fin du 19e siècle au tableau de Delacroix la valeur de symbole fondateur de l’histoire républicaine. Pas plus qu’il n’y a de Marianne dans La Liberté guidant le peuple, on ne peut faire jouer ce rôle à une manifestante portant un drapeau nord-vietnamien – sinon en altérant l’information du document. Cette manipulation narrative a été rendue possible par l’escamotage du drapeau sur la photographie, mais surtout par la relecture apaisée de Mai 68, qui s’impose au fur et à mesure de son éloignement. En 1988, la synthèse consacrée à la photographie de reportage par Michel Guerrin n’inclut pas encore la photo de Rey, lui préférant les instantanés de Gilles Caron19. Le remplacement progressif au sein des publications rétrospectives de l’étudiant poursuivi par le CRS par la jeune femme au drapeau transcrit le parcours qui mène de la mémoire des combats à la vision édulcorée du symbole. Par la grâce des stéréotypes de genre, l’image pacifique d’un mannequin blond vient effacer la violence des affrontements, et confirmer le récit d’une «révolution des mœurs».
Son succès traduit également l’installation d’une nouvelle approche de la photographie d’information, qui favorise son interprétation allégorique, au détriment de sa valeur documentaire. Pour permettre ce saut culturel, il fallait des circonstances exceptionnelles, encourageant chez les acteurs le sentiment d’un passage de l’événement à l’histoire20. Il fallait aussi le détour par une référence picturale. En donnant aux éditeurs de Life l’impression d’apercevoir dans les rues de Paris une icône de la Révolution française, la photographie de Jean-Pierre Rey a produit l’illusion vertigineuse de voir le tableau s’incarner. Il ne s’agissait pourtant que de la superposition de deux images.
Version revue de ma communication au colloque «Les mondes de 68», Paris, BNF, mai 2018.
- L’identité de Caroline de Bendern ne sera révélée qu’en 1988 (Pascale Froment, « L’aristo au drapeau », L’Express, n°1918, 8 avril 1988, p. 86-87). Vingt ans après Mai 68, l’histoire édifiante de l’aristocrate déshéritée par son grand-père contribuera beaucoup à la notoriété de l’image. Ce récit ne fait toutefois pas partie des éléments narratifs initiaux, c’est pourquoi je nommerai ici l’actrice alors inconnue de la photo en m’inspirant du titre original donné par Jean-Pierre Rey: « La jeune fille au drapeau ». [↩]
- « La Marianne de Mai 68 », Wikipedia, décembre 2018 (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Marianne_de_Mai_68). [↩]
- Alain Korkos, «Sous les pavés la page… et bye-bye l’héritage!», Arrêt sur images, 3 mai 2008 (https://www.arretsurimages.net/chroniques/sous-les-paves-la-page?id=700). [↩]
- Audrey Leblanc, L’Image de mai 68. Du journalisme à l’histoire, thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2015; Audrey Leblanc, Dominique Versavel (dir.), Icônes de Mai 68. Les images ont une histoire, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2018. Je m’appuie largement sur ces recherches pour la présente contribution. [↩]
- Paris Match, n° spécial 2036, mai 1988; Pascale Froment, art. cit. [↩]
- Anon., «Students Unmask! Comes the Youth Revolt», Life, vol. 64, n° 21, 24 mai 1968, p. 28. [↩]
- «Defying truncheon and tear gas to win the barricades», Ibid., p. 31, je traduis. [↩]
- Life Atlantic, vol. 45, n° 13, 23 décembre 1968, p.85. [↩]
- Louis Marin, «Dégénerescence utopique: Disneyland», Utopiques, jeux d’espaces, Paris, Seuil, 1973, p. 297-324. [↩]
- Anon., «Revolution», Life, 10 octobre 1969, p. 101. [↩]
- Maurice Agulhon, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979. [↩]
- Nicos Hadjinicolaou, «‘La Liberté guidant le peuple’ de Delacroix devant son premier public», Actes de la recherche en sciences sociales, 1979, vol. 28/1, p. 3-26. [↩]
- Ibid. [↩]
- Anon., Paris-Match, n° 998, 15 juin 1968, p. 60. [↩]
- Audrey Leblanc, Dominique Versavel, op. cit. [↩]
- «Il Fronte popolare» («Le Front populaire»), couverture, L’Espresso, n° 23, 9 juin 1968. [↩]
- La manchette indique : «Le Front populaire. France : aujourd’hui comme il y a trente ans? Comment il est né. Comment il a pris le pouvoir. Ce qu’il a fait.» («Francia: Oggi come trent’anni fa? Come nacque. Come ando’ al potere. Che cosa fece.» Je traduis), ibid. [↩]
- Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Armand Colin, 1994. [↩]
- Michel Guerrin, Profession photoreporter. Vingt ans d’images d’actualité, CGP/Gallimard, 1988. [↩]
- André Gunthert, «Les icônes du photojournalisme. De l’information à la pop culture», in Audrey Leblanc, Dominique Versavel (dir.), op. cit., p. 19-31. [↩]
5 réflexions au sujet de « La “Marianne” de Mai 68, ou l’effet Disneyland »
À propos de « Marianne », j’ai pensé que vous alliez terminer votre analyse par la « performance » accomplie le 15 décembre dernier par Déborah de Robertis avec quatre autres femmes devant un cordon de CRS sur les Champs-Élysées.
On a pu noter que le ministre de l’Intérieur a tweeté sous une des photos où l’une des « manifestantes » fait face à une policière en képi : « La vraie Marianne, c’est celle de gauche », montrant ainsi sa préférence (à moins que ce ne soit un lapsus de sa part…) pour l’uniforme contre l’art, aussi dénudé soit-il. :-)
@Dominique Hasselmann: Comme quoi, l’interprétation reste ouverte… :)
De plus en plus souvent (?), les acteurs de l’événement semblent « prendre la pose » en reprenant les signes d’images ioniques et en attendant qu’un photographe veuille bien les immortaliser. Face à ces performances « sauvages » celle de Deborah de Robertis aurait été un peu pauvre, sinon même ridicule, si là encore un des acteurs de l’événement n’avait pas pris la pose et ce faisant inscrit la performance dans l’évènement.
Je ne sais pas trop comment interpréter ce processus. Un bégaiement de la société du spectacle, une volonté des acteurs de reprendre la main sur leurs images, une posture un peu naïve pour donner plus de sens à sa vie dans la logique de l’imagerie publicitaire ?
L’article biographique qu’Annick Cojean consacre en 1997 à Caroline de Bendern insiste sur le caractère délibéré de la pose de la jeune femme lors de la manifestation du 13 mai 1968: «Je sens plusieurs objectifs braqués sur moi. (…) Alors, j’ai comme un réflexe professionnel. Instinctivement, je me redresse, mon visage se fait plus grave, mon geste plus solennel. Je voudrais à tout prix être belle et donner du mouvement une représentation à la hauteur de ce moment. Au fond, je prends la pose».
Il n’y a pourtant rien d’exceptionnel dans cette attitude. Depuis la transition de l’émeute à la manifestation politique, au milieu du XIXe siècle, le principe même de cette forme d’expression, accompagnée de slogans et de banderoles, repose sur une mise en scène à des fins d’affichage public. Peu nombreuses, les tentatives de renouvellement du folklore traditionnel de la manifestation se multiplient dans la période récente (Femen, Nuit debout, Gilets jaunes…), témoignant du déclin des effets de cet affichage. Comme le montre malheureusement le succès médiatique de la performance de de Robertis, dévoiler le corps des femmes reste une méthode qui assure une exposition enviable…
Je ne retiendrai cependant pas cette initiative comme la référence la plus pertinente à l’iconographie de la Marianne, mais la couverture du dernier numéro de Télérama (photo Théo Legendre), qui propose une variation autrement plus originale, en substituant au personnage féminin un gilet jaune solitaire en bonnet phrygien, le visage caché par un masque à gaz, qui émerge d’un nuage de lacrymogènes…
https://twitter.com/gunthert/status/1073169548403195905
Très bon le raccourci : « l’auteur de la narration est l’éditeur », comme du Mac Luhan « Le message, c’est le médium ».
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