Donald Trump a relayé le 25 février sur son compte Truth Social, avant de le retirer, un clip de 34 secondes réalisé par IA montrant le renouveau d’une bande de Gaza transformée en Riviera. De même que l’annonce provocante effectuée par le président des Etats-Unis le 4 février d’évacuer la population palestinienne de l’enclave pour y reconstruire une «côte d’azur du Moyen Orient» avait soulevé un tollé, la vidéo illustrant à la lettre ce projet suscite le scandale – et l’hilarité. Car les images accumulent les clichés d’un paradis balnéaire bardé de yachts et d’hôtels de luxe, où les dollars pleuvent sur Elon Musk et où Trump et Netanyahou sirotent des cocktails allongés sur des transats. Les paroles du clip rythment cette fantasmagorie: «Donald Trump vous a libérés. Il apporte la lumière pour que tout le monde la voie. Plus de tunnels, plus de peur. Trump Gaza est enfin là. Trump Gaza brille de mille feux, un avenir doré, une toute nouvelle lumière. Festin et danse, l’affaire est conclue: Trump Gaza, numéro un !»
Relayée par les grands médias, la vidéo qui témoigne des derniers progrès de l’animation de synthèse constitue probablement à ce jour la production la plus commentée de l’IA visuelle. Il ne s’agit pourtant pas de deepfakes ou de «fausses images» annoncés comme autant de signes d’une nouvelle ère du soupçon, mais plus simplement d’une fiction aux allures de film de propagande, dont le style photoréaliste ne suffit pas à rendre crédible une esthétique publicitaire décrivant un univers onirique, ponctuée de ralentis et baignée de couleurs chaudes.
Insistant sur le kitsch des statues ou des ballons dorés à l’effigie de Donald Trump, cette première réception dénonce le caractère «grotesque» de la métamorphose des ruines de Gaza. «Ce n’est pas une parodie. Ceci a réellement été conçu et diffusé par l’équipe du président des USA», commente le média Contre-attaque. En écho avec la sidération qui a accueilli les premières annonces de la Maison Blanche, l’effacement du théâtre de guerre et le recours aux techniques génératives sont interprétés comme l’instrument prédestiné d’une vision fasciste, voire génocidaire.
Mais, surprise! Le 5 mars, le New Yorker dévoile les véritables auteurs du clip: les réalisateurs Solo Avital et Ariel Vromen, directeurs d’une agence de publicité spécialisée dans l’expérimentation des nouvelles techniques génératives. Les deux créateurs décrivent leur vidéo comme une «blague» et une «satire» qui leur a échappé, à partir du moment où elle a été relayée par Donald Trump.
Cette rediffusion conférait évidemment un caractère déclaratif à un clip qui ne faisait qu’illustrer un projet lui-même extravagant. Certes, la statue d’or rappelant le monument à la gloire de Kim Il Sung et Kim Jong Il en Corée du Nord ou la brève apparition de danseuses du ventre affublées de barbes semblent des éléments ambigus, qui s’expliquent de façon plus convaincante dans un contexte satirique. Mais le fait que tous les commentateurs ont d’abord identifié cette vidéo comme propagandiste témoigne de la consternation et de l’incrédulité qui ont accueilli les premières déclarations du régime. La mégalomanie et le kitsch assumé du magnat de l’immobilier ont achevé de convaincre que le caractère exalté du clip pouvait avoir été pensé au premier degré. Au final, c’est l’énonciation publicitaire elle-même, avec ses clichés et sa positivité surjouée, qui a opéré la fusion des signes de la satire avec celles de la propagande.
Ce clip et sa réception superposent trois degrés de sidération: le caractère saugrenu de la transformation d’un champ de ruines en projet immobilier; le kitsch et le grotesque de l’illustration satirique; la dimension fantasmagorique de sa réalisation par l’IA visuelle. Du point de vue esthétique, l’essentiel des ingrédients existent déjà dans le répertoire publicitaire, que l’IA ne fait que reproduire. Mais d’un point de vue pragmatique, les moyens de l’IA dotent un projet d’atelier réalisé en 8 heures d’un degré de finition qui lui permet de passer pour du fan-art de propagande. C’est probablement à cet endroit qu’il faut situer le brouillage des signes produit par l’image de synthèse, instrument d’une imitation de mauvaise qualité de la production cinématographique, mais comportant tout de même suffisamment d’informations pour soutenir une lecture fictionnelle. Il y aura de meilleures réalisations par l’IA générative, mais le scandale de sa réception atteste que cette vidéo remplit déjà toutes les conditions pour être prise au sérieux.
- Réf.: Kyle Chayka, «Donald Trump’s A.I. Propaganda», The New Yorker, 5 mars 2025.
Une réflexion au sujet de « «Trump-Gaza» ou la satire indiscernable »
Comme tu le pointes ici, la question du contexte de production est ici ambiguë. Parodie ? Satire ? Satire réappropriée – puis dépubliée… Entre kitsch satirique et kitsch fasciste, comme dirait DJR, on ne sait plus à quelle esthétique rattacher cette vidéo générative : https://www.ladn.eu/mondes-creatifs/pourquoi-limagerie-generee-par-ia-est-la-nouvelle-esthetique-fasciste/