Nouvelles du paradis. La carte postale en vacances

A l’occasion de la parution du n° 10 de la revue Photographica, qui consacre un dossier à l’invention de la photographie, je reproduis-ci-dessous mon compte rendu du catalogue Nouvelles du paradis. La carte postale en vacances (Paris, Loco, 2023), dirigé par Marie-Eve Bouillon et Valérie Perlès (pdf).


L’exposition «Nouvelles du paradis. La carte postale en vacances», proposée en 2023-2024 par le musée de la Poste de Paris, se fixait pour programme une approche globale de la carte postale touristique. Sous la direction des historiennes des cultures visuelles Marie-Ève Bouillon et Valérie Perlès, le catalogue qui accompagne cette manifestation multiplie lui aussi les approches. Origines, choix commerciaux, essor industriel, évolution de la demande, options esthétiques, pratiques du reportage, variations rédactionnelles, collection et cartophilie: c’est tout l’univers de cet objet culturel modeste, et pourtant si riche de possibles, qui est ici exploré. Bien avant les contenus numériques, la carte postale bénéficie d’un statut de double auteurat, dépendant autant des choix des éditeurs que de sa contextualisation par l’usager final. Cette capacité appropriative qui colle au plus près des usages a fait le succès de cette forme visuelle tout au long du xxe siècle.

Comme toutes les pratiques mineures, la carte postale résiste à l’analyse. Par sa présence pléthorique comme par son esthétique stéréotypée, elle déploie un espace difficile d’accès. La première qualité de l’ouvrage repose sur la longue familiarité qu’entretiennent Marie-Ève Bouillon et Valérie Perlès avec l’histoire et les pratiques des images du tourisme. Cette connaissance approfondie permet d’organiser la diversité du matériau.

La première partie de l’ouvrage aborde l’installation et le développement rapide de l’industrie de la carte postale en France à la fin du xixe siècle. Deux exemples paradigmatiques résument ici les enjeux du nouveau média : la visite de la tour Eiffel lors de l’Exposition universelle de 1889 et l’exploitation du site spectaculaire du Mont-Saint-Michel. Ces deux attractions, qui restent aujourd’hui encore parmi les plus prisées de France, doivent leur réputation à l’inventivité des professionnels du tourisme, alliés aux éditeurs de cartes postales, qui multiplient les manières de valoriser le souvenir d’une expérience privilégiée. Les progrès de l’impression et l’évolution des réglementations postales, qui favorisent en 1885 l’ouverture du marché de la carte illustrée à l’échelle mondiale, croisent l’essor du loisir et la démocratisation du voyage. Grâce au travail attentif des éditeurs, une offre bon marché de supports où l’image prime sur le texte renouvelle la capacité de faire de l’expérience touristique une culture partagée.

La deuxième partie du livre aborde de façon originale l’esthétique de la carte postale. Plutôt que de regretter la production de stéréotypes, les contributions décrivent au contraire l’élaboration des archétypes comme une condition essentielle du succès commercial, basé sur un travail de terrain et une écoute attentive des souhaits de la clientèle. Les éditeurs sont confrontés à des exigences contradictoires : il est impératif de renouveler les points de vue à chaque évolution des sites, mais les séries qui garantissent la rentabilité sont celles que l’on peut reproduire sans avoir à refaire les prises de vue. Envoyés sur place pour mettre à jour le catalogue, les reporters sont des médiateurs précieux qui gardent également le contact avec les distributeurs. Ce sont eux qui coproduisent la «couleur locale» conférant son identité à une région, par le choix des sites, des accessoires ou des coutumes. C’est l’occasion d’applaudir l’abondante iconographie du volume, qui étaye avec efficacité le propos des articles.

L’aspect le plus surprenant de cette «industrie du rêve» réside dans l’alliance paradoxale des objectifs documentaires avec les outils de la fiction. De la retouche des épreuves au recours au photomontage pour meubler les paysages en passant par la rémunération de figurants ou la réutilisation d’une même illustration sous diverses localisations, la carte postale emprunte volontiers au cinéma ses trucages, mais aussi ses méthodes narratives. Là encore, ce sont les contraintes commerciales qui dictent leur loi.

La troisième partie de l’ouvrage décrit la part rédigée des cartes, esquissant l’analyse d’un texte souvent surdéterminé par l’image, avec une dimension ludique inhérente à l’exercice. Un dernier volet aborde les pratiques de collection, que les éditeurs ont encouragées dès les débuts de la carte postale. À l’ère numérique, qui accélère l’obsolescence du médium tout en lui conférant la distinction de la matérialité et de la nostalgie, un article des chercheuses Magali Nachtergael et Anne Reverseau illustre le retournement en examinant les usages cartophiles dans l’art contemporain. On notera également avec intérêt la place laissée aux témoignages des acteurs: grâce à des entretiens réalisés par les directrices de l’ouvrage, éditeurs, photographes, collectionneurs apportent des informations sur l’expérience vécue.

Face à la variété et à la richesse des approches, et même si l’on peut parfois regretter la brièveté des contributions, il faut saluer un volume de haute tenue, qui présente à la fois une remarquable synthèse et une approche renouvelée d’un domaine longtemps négligé: un examen caractéristique des cultures visuelles, qui décrivent l’articulation de l’histoire de l’art avec les déterminations industrielles.

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