Apercevoir soucoupes volantes et aliens a constitué, pendant plusieurs décennies, une pratique culturelle spontanée, sous-produit des récits de science-fiction, d’espionnage et de conquête spatiale, à l’existence fantomatique. Croyance populaire basée sur la rumeur, elle a toujours présenté les caractéristiques d’une sous-culture dépourvue d’autorité, illustrée notamment par l’extrême variabilité de ses manifestations.
Une des preuves de son statut illusoire est la nature de sa mobilisation au sein des productions culturelles. De la même façon que les représentations religieuses n’existent que dans des œuvres qui partagent ou véhiculent la croyance, la présence de soucoupes ou d’aliens n’est tolérée qu’au sein de récits thématiques précisément définis par cette spécialisation. En d’autres termes, il n’y a pas de soucoupes dans les romans policiers ou les histoires d’amour, mais seulement dans les sous-genres correspondants de la SF – une relégation qui limite leur existence aux marges de la fiction.
Du moins jusqu’à la seconde saison de Fargo (Noah Hawley), série télévisée américaine déclinée à partir du film des frères Coen, diffusée l’hiver dernier sur la chaîne FX, et disponible en France sur Netflix. Sombre histoire de guerre des gangs sur fond de Midwest enneigé, ce feuilleton de dix épisodes comprend en effet deux séquences où apparaissent des soucoupes volantes, dont la présence influe sur le cours des événements, ainsi que quelques autres allusions éparses.
Le caractère incongru de ce Deus ex machina et l’absence de toute explication ou de tout lien entre un contexte extraterrestre et une intrigue policière menée tambour battant a soulevé les interrogations des spectateurs et de la critique. Certains sont allés chercher dans la filmographie des frères Coen (en particulier The Man Who Wasn’t There) la motivation de cette mystérieuse irruption. Mais sa principale explication relève de la dimension contextuelle.
La série est supposée se dérouler en 1979, qui est l’année d’un témoignage célèbre de la vision d’une soucoupe par un policier, à la frontière du Minnesota et du Dakota du Nord, lieu de l’action. De façon plus générale, l’allusion extraterrestre participe de l’évocation d’une atmosphère typique, située quelques années après Rencontres du troisième type (1977) ou Star Wars (1977), dans un film aux reconstitutions particulièrement soignées.
Autrement dit, les soucoupes de Fargo sont pour la première fois mobilisées en-dehors du genre de la science-fiction, au titre de ce que Roland Barthes appelait l’«effet de réel1», le détail qui fait vrai, renvoyant à un contexte extérieur à l’intrigue. La croyance soucoupique faisant partie du décor du Midwest de la fin des années 1970, elle y apparaît au même titre qu’une Imperial LeBaron ou une Corvair d’époque, comme la marque d’une ambiance caractéristique. Il s’agit d’une des premières utilisations du motif extraterrestre en tant que référence culturelle ordinaire, témoignage de la revalorisation des formes de culture populaire par le prisme de la dimension historique.
- Roland Barthes, « L’effet de réel« , Communications, 11-1, 1968, p. 84-89. [↩]
2 réflexions au sujet de « Des soucoupes volantes pour faire vrai »
Il suffit d’ouvrir l’œil…
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