Et si on arrêtait avec les bulles de filtre?

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Une semaine avant le plus grand fiasco de la presse d’information américaine, abasourdie par l’élection de Donald Trump, le quotidien Le Monde publiait une enquête à charge, dénonciation sur une double page des bulles de filtre intitulée: « Facebook, faux ami de la démocratie »1. Une fois encore, c’est un journal papier qui nous alerte sur le danger constitué par les réseaux sociaux. Sous couvert de promouvoir l’échange et de favoriser la discussion, ceux-ci nous enfermeraient en réalité dans une chambre d’écho, nouvelle caverne de Platon qui ne ferait que nous renvoyer indéfiniment notre reflet.

Magie de la bulle de filtre, concept à succès inventé en 2011 par l’activiste Eli Pariser, sur la base de l’intuition apparemment logique que les algorithmes qui pilotent les moteurs de recherche ou la présentation des contenus sur les médias sociaux orientent leur réponse en fonction des préférences de l’usager2. Que personne ne sache exactement quels critères retiennent ces logiciels, dont les entreprises gardent jalousement les clés, ne fait pas obstacle à leur condamnation. Au contraire, le secret est constitutif du processus classique de diabolisation de la technique, dont le statut de boîte noire était déjà dénoncé par Gilbert Simondon, qui regrettait que l’ignorance ou le rejet de la culture technique en fasse le bouc émissaire favori des sociétés développées3.

Ce qui frappe évidemment dans la manière de présenter la question par un journal auto-proclamé « quotidien de référence », c’est l’absence de tout élément de comparaison. Le postulat des bulles de filtre une fois déduit de la nature de l’algorithme, il ne viendrait pas à l’idée des « enquêteurs » de vérifier de quelle diversité informationnelle bénéficie un abonné du Monde ou du Nouvel Observateur. On se souvient pourtant que l’hebdomadaire de la deuxième gauche, propriété du même groupe, a récemment licencié son numéro 2, Aude Lancelin, pour motif officiel de divergence idéologique – soit le méfait d’ouvrir les colonnes du magazine à des agitateurs aussi subversifs qu’Alain Badiou ou Emmanuel Todd, plutôt qu’à BHL4

La surprise créée par l’élection de Donald Trump a permis de vérifier en vraie grandeur la dimension de l’entre-soi médiatique, qui n’a pas besoin d’algorithme pour évacuer de son horizon les motifs de trouble. La gravité de cet aveuglement est évidemment d’une toute autre ampleur, car si nul n’accorde à Facebook le rôle d’un contrepoids démocratique, celui revendiqué par la presse d’information est bien d’éclairer le citoyen.

Une revendication des plus étranges lorsqu’on constate les parti-pris des organes d’information, chacun attaché à une clientèle et qui lui tend complaisamment le miroir qui est la condition de l’acte d’achat. Parle-t-on de la bulle dans laquelle évolue le lecteur du Figaro ou le spectateur de BFMTV? En réalité, derrière la rhétorique pseudo-technicienne et la dénonciation stéréotypée d’un communautarisme digital, se cache la prétention objectiviste d’une presse qui se dépeint en gardienne de l’universalisme des Lumières. Pour savoir la vérité, ne discutez pas sur Facebook, achetez plutôt Le Monde, seul garant d’une opinion réellement éclairée, nous dit sournoisement un article qui ne fournit aucun élément d’évaluation des bulles.

Ou plutôt si: l’article présente rapidement les conclusions d’une véritable étude, publiée par la revue Science, qui constate que le système de sélection de Facebook ne modifie que de 1% l’exposition aux contenus politiques de camps opposés5. Et donne la parole au spécialiste Dominique Cardon, qui résume: « La bulle, c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook ». Ce qui n’empêche pas le quotidien de condamner globalement « un forum au ton virulent, géré par un algorithme qui se dit “agnostique”, mais révèle son incapacité à susciter un vrai débat, fondement de la culture démocratique. » Fermez le ban!

On ne pourrait pas démontrer de façon plus évidente le biais d’un article qui contredit ses éléments d’information les plus fondés, où les mécanismes décrits comme producteurs de « bulles » sont tout simplement les mêmes que ceux qui conduisent à la formation de l’opinion – soit un ensemble de choix individuels, pesés, discutés et négociés qui déterminent l’orientation du citoyen, socle de la vie démocratique.

Traduisons: il n’y a pas de bulle. Et il n’y a pas non plus d’impartialité journalistique, qui se hisserait au-dessus de la subjectivité des réseaux sociaux. N’en déplaise au « quotidien de référence », qui s’adresse à une clientèle tout aussi calibrée par sa régie de publicité, c’est la prétention à l’objectivité, à la neutralité et à un pluralisme défini d’en haut qui constitue le principal obstacle à une information honnête, c’est-à-dire signée, et qui admet son orientation, plutôt que de la nier.

La grande nouveauté de la présentation de l’information sur les réseaux sociaux, c’est justement d’y arriver toujours précédée par la signature du contact qui l’a sélectionnée, autrement dit l’indication implicite d’une lecture ou d’une position, qui pourra être interrogée ou discutée. Bien sûr, comme les rédactions, qui visent des groupes sociaux et s’adressent à des opinions politiques, les médias conversationnels tendent à normaliser l’échange. Il n’en reste pas moins, pour quiconque se souvient de l’univers de l’information avant internet, que la richesse et la diversité des sources proposées par les médias sociaux est tout simplement sans comparaison avec le petit monde de la presse d’avant-hier.

Plutôt que des bulles, indépendantes et forcément étanches, la dynamique des réseaux sociaux produit des essaims informationnels perméables, orientés par les préférences et les affinités, mais toujours susceptibles d’être traversés par les impulsions virales, la contagion du LOL ou la sérendipité du web. Habités par la conviction de l’universel, les vieux médias découvrent avec frayeur les îlots minoritaires et la fragmentation communautaire, sans s’apercevoir qu’ils ne sont eux-mêmes pas moins polaires, relatifs et bornés. En réalité, c’est à une nouvelle pensée du divers qu’invite la conversation en ligne, faite de mobilisations ponctuelles et de repositionnements instantanés, reflet d’une société de moins en moins fondée sur des logiques d’appartenance, avec laquelle il va bien falloir apprendre à composer.

  1. Alexis Delcambre, Alexandre Piquard, “Facebook, faux ami de la démocratie”, Le Monde, 3 novembre 2016, p. 14-15. []
  2. Eli Pariser, The Filter Bubble. What the Internet Is Hiding from You, New York, Penguin Press, 2011. []
  3. Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958. []
  4. Aude Lancelin, Le Monde libre, Paris, LLL, 2016. []
  5. Eytan Bakshy, Solomon Messing, Lada Adamic, “Exposure to ideologically diverse news and opinion on Facebook”, Science, 7 mai 2015. []

32 réflexions au sujet de « Et si on arrêtait avec les bulles de filtre? »

  1. Bonjour, je partage votre thèse principale : il n’y a pas plus de bulle sur les réseaux sociaux que dans la vie en général. Et c’est notre comportement ouvert à l’altérité ou non qui provoque notre enfermement ou non.
    Par contre, est-ce la toile qui est sérandipe ou notre comportement ?!
    bien à vous

  2. Oui, il n’y a pas plus de bulles sur les réseaux sociaux que dans la vie, mais les réseaux sociaux provoquent une forte illusion, celle de proposer autre chose et de refléter un pot pourri équilibré de notre monde ; d’où cette déception amère quand on réalise que notre fenêtre sur le monde n’était, en fait, qu’une bien petite lucarne, dessinée presque inconsciemment par nos propres filtrages. Il ne s’agit pas pour moi de tacler les réseaux sociaux en parlant de bulles de filtrage mais de bien faire comprendre qu’ils ne sont que ce que nous en faisons, et je pense qu’on à trop souvent tendance à l’oublier.

  3. Bien d’accord avec cet article et la bulle de filtre. Il y a cependant une autre critique de Facebook en ce moment, que je trouve très pertinente : la grosse circulation des articles faux (http://www.cjr.org/tow_center/facebook_zuckerberg_trump_election.php), composé de toute pièce pour faire de l’argent via la manne publicitaire et qui profite avantageusement des mécanismes de facebook.

    Facebook a une responsabilité là-dessus, et pour l’instant, sa réponse laisse à désirer

  4. @Olivia Le Bert: Il y a par définition des usages très divers des réseaux sociaux, mais il me paraît raisonnable de penser qu’ils proposent pour l’instant la meilleure réponse à la question de l’accès à l’information. La bulle est une notion trompeuse, qui présuppose, comme la caverne de Platon, qu’il existe une manière transparente d’accéder à l’information – ce qui est bien sûr impossible. Sauf à estimer que nous devrions consacrer un temps infini à la consultation des sites de la fachosphère, des amateurs d’ovnis ou des collectionneurs de ronds de serviette, il est évident que toute gestion de l’information passe par des systèmes de tri. Il serait souhaitable que ceux-ci soient transparents. Dans la réalité, c’est rarement le cas…
    Facebook propose de structurer l’info par la sociabilité, ce qui est objectivement une bonne façon de nous confronter à des sources vers lesquelles nous ne nous serions pas spontanément dirigés.

  5. Je suis d’accord que l’attitude critique des médias vis à vis des « Internetz » est souvent caricaturalement corporatiste : un autre exemple, en plus de celui que vous citez, qui m’avait frappé est le webdoc « donottrack » vu sur Arte. Par ailleurs pertinent et chouettement réalisé, le doc ne peut s’empêcher de conclure que le salut viendra par la presse payante, en tant que garante d’une « information objective ».
    Mais, contrairement au raccourci de nombreux journalistes, je ne crois pas que Elli Pariser ou les spécialistes académiques de la question en général ne critiquent la « bulle de filtre » par opposition au « gentil monde des médias objectifs », mais plutôt par opposition à un Web (d’avant le Web 2.0) où la tendance n’était pas encore à créer des morceaux d’Internet résidentiels, où la préoccupation première (et le business model) du fournisseur de contenus est que l’utilisateur ne sorte surtout pas de la résidence pour aller voir ailleurs, où « les impulsions virales, la contagion du LOL ou la sérendipité du web » sont limitées par les murs de la résidence. Le web d’avant est possiblement lui même un fantasme de neutralité, mais je crois que c’est lui la référence de Pariser, plutôt que la presse.

  6. Excellent papier comme toujours! Il faudrait peut être admettre la fin de la fiction de l’espace public qu’on a oublié de relier à un système technique et économique, celui des médias de masse qui font en effet leurs cadrages (meilleure notion que filtre et bien documentée depuis longtemps). Ce système est en plus en grande difficulté face à un autre système qui émerge celui des médias sociaux dont le cadrage est plus directement lié à la pub .. et aux communautés produites par les relations « d’amis « . Bref un cadrage que nous produisons en effet encadrés que nous sommes par les propriétés de la plate forme et ses prices de monetisation qui échappent à notre conscience (comme les petites annonces et la pub de la presse d’avant craiglist). Et donc plus d’espace public mais on peut aussi inventer du Wikipedia et ça ça laisse les races des points de vue!

  7. Bonjour André,
    Oui pour l’illusion de la bulle.
    Néanmoins, il reste simpliste de comparer média traditionnels et médias sociaux. Ils ne relèvent pas du même régime de « vérité ». Voir à ce sujet T O’Reilly :
    https://medium.com/@timoreilly/media-in-the-age-of-algorithms-63e80b9b0a73#.6y9w6742w
    ou un vieux billet :
    http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php/post/2011/04/05/La-redocumentarisation-%28du-journalisme%29-en-deux-citations
    (on en trouvera une version plus développée dans vu, lu, su)

  8. Vous n’êtes pas sérieux, là :  » une nouvelle pensée du divers qu’invite la conversation en ligne, faite de mobilisations ponctuelles et de repositionnements instantanés,… » ?  » …il me paraît raisonnable de penser qu’ils proposent pour l’instant la meilleure réponse à la question de l’accès à l’information… ? « … Facebook propose de structurer l’info par la sociabilité, ce qui est objectivement une bonne façon… ?

    Et, sur ce, FB avec quelques médias va (participer aux) retransmettre les primaires …/… aux tribus con – cernées.

    PS : Par contre, les bulles, je connais ; dans les boissons (que je n’aime pas) et dans les bandes dessinées. Allez, je m’en vais buller, en Provence.

  9. @Alexandre Hocquet: Vous avez tout à fait raison de le préciser! Facebook a toujours été considéré par les geeks purs et durs comme une hérésie anti-web, en raison précisément de sa fermeture, la bulle d’amis précédant la bulle de filtre dans la dénonciation de la censure.

    @Boullier: La critique de l’espace public me paraît à moi aussi un préalable essentiel à une bonne compréhension de la reconfiguration en cours…

    @JM Salaun: Même si les fonctionnements sont évidemment différents, la comparaison ne peut au contraire être évitée, ne serait-ce que parce que les médias sociaux sont bel et bien devenus nos nouveaux systèmes d’information. Un cas comme la médiatisation de la photo du petit Aylan démontre de manière éloquente l’intrication étroite des anciens et des nouveaux médias. A nous de comprendre et de décrire ces relations complexes.

  10. Un peu leger, desole.
    La « véritable étude », publiée par la revue Science invoque une etude faite par l’equipe « Facebook’s research team » (FART (…)).
    J’hesite a faire confiance a Facebook pour publier des articles de recherche impartiaux.

    Etude qui a a l’epoque ete amplement critiquee par des chercheurs independants…
    https://medium.com/message/how-facebook-s-algorithm-suppresses-content-diversity-modestly-how-the-newsfeed-rules-the-clicks-b5f8a4bb7bab
    https://socialmediacollective.org/2015/05/07/the-facebook-its-not-our-fault-study/

    Desole pour les accents, clavier qwerty

  11. @Sven: Oui, l’étude est une étude Facebook – présentée comme telle, donc à lire avec les précautions d’usage. Comme dans toute approche sérieuse d’une question, il en faudrait d’autres, pour dégager de véritables conclusions. En attendant, on peut être surpris que personne ne souligne la légèreté d’un essai (Pariser) rédigé non par un chercheur, mais par un militant du web ouvert, donc anti-Facebook… Une analyse de données est déjà un aliment plus solide, comme le montre justement sa critique, qui peut s’appuyer sur des éléments factuels. La reprise et la circulation rapide de la notion de bulle dans les médias montre au contraire que le sérieux de l’approche n’est pas vraiment un critère – plus important est de coller au stéréotype de l’orientation cachée, quand bien même on ne dispose pas de sa vérification…

  12. @Matthieu: Parmi les justifications fantaisistes de l’élection de Trump, la discussion sur la responsabilité de Facebook est le plus pathétique aveu d’incompréhension des dynamiques sociales. Je préfère pour ma part l’analyse politique:
    http://www.latribune.fr/economie/international/victoire-de-trump-un-echec-de-la-mondialisation-financiarisee-614948.html
    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/121116/c-est-l-abstention-imbecile-les-lecons-de-lelection-de-donald-trump

  13. Bien sûr, les principales raisons sont politiques

    Ce n’est pas pour autant qu’il faut d’interdire la moindre critique sur facebook, et il se trouve qu’ils ont actuellement des problèmes avec les fausses news (et votre article parle de facebook)

  14. Il ne faut rien s’interdire du tout. Mais il faut au moins être logique: si l’on regrette l’entre-soi des vieux médias qui n’ont pas vu venir la victoire de Trump, alors la manifestation de ses partisans sur Facebook ne peut pas être considérée comme un déni de démocratie, mais bien comme une preuve de pluralisme – même et surtout si l’on est du camp adverse…

  15. Oui, on est d’accord sur le constat et sur l’entre-soi des vieux médias, sur le fait que Facebook et autres réseaux sociaux soient une belle avancée pour notre régime d’information

    Je signalais juste un autre problème (qui est sans doute hors-sujet par rapport à l’article, désolé) : l’explosion de sites créés de toutes pièces, ne venant pas de partisans de Trump, mais de personnes qui développent leur business sur des hoax sensationnalistes sur l’élection américaine, et qui profitent de la viralité de Facebook (et du fait qu’ils optimisent sur l’engagement)

    Tout comme il peut y avoir des tentatives pour se jouer de l’algorithme de Google, parfois malhonnêtes avec des fermes à contenu créé automatiquement

    Mais oui, si jamais ces fausses news ont influencé des personnes, c’est à la marge. Et je pense que Facebook trouvera de bonnes manières de lutter contre (tout comme Google filtre bien les fermes de contenus)

  16. L’étiquette Quotidien de référence… fin 2014, sortait un numéro spécial sur les 70 ans du Monde. Sur les pages de garde, on découvrait les 352 collaborateurs dans une grande mosaïque photo, et là surprise… combien de journalistes de couleurs… 4. Une bulle pas très colorée effectivement.
    Pas facile d’être un quotidien français de référence avec si peu de diversité. Cf http://tentation-du-regard.fr/le-monde-sans-couleurs/

  17. «Si quelqu’un est de droite et que tous ses amis le sont aussi et que ce sont des actus qu’ils partagent sur Facebook, il s’agit alors d’une bulle qu’ils ont créée pour eux-mêmes, et c’est leur droit», a expliqué l’ingénieur de longue date de Facebook.
    «Mais mettre en avant des articles mensongers dans le fil [d’actualité], les promouvoir afin qu’ils soient partagés des millions de fois par les personnes qui croient en leur véracité, est une chose que nous ne devrions pas permettre. Facebook regorge de gens qui nous utilisent pour répandre leurs conneries.»

    Des salariés de Facebook s’organisent en secret contre les fausses infos
    https://www.buzzfeed.com/sheerafrenkel/des-salaries-de-facebook-sorganisent-en-secret-contre-les-fa

  18. Deux semaines après avoir dénoncé les « bulles » dans lesquelles les gens s’enferment eux-mêmes, le quotidien « Le Monde » donne finalement raison à André Gunthert, même si c’est plutôt maladroitement et probablement par inadvertance:

    http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2016/11/16/une-extension-pour-reperer-les-fausses-informations-qui-circulent-en-ligne_5032143_4832693.html

    Ainsi donc, « Le Monde » encourage aujourd’hui ses lecteurs a pénétrer dans « la bonne » bulle, celle qui a été concoctée par un certain « Professeur Melinda Zimdar », a qui Le Monde leur demande de faire confiance. On ne saura pas qui est cette personne ni quelles sont ses références ou ses qualifications, on espère juste que « Le Monde » ne se trompe pas sur sa grande sagesse…

    En tout cas la boucle est bouclée: Ce n’était donc pas contre le concept de « bulle » que « Le Monde » s’insurgeait, mais contre sa remise en question. Aveu flagrant de l’exactitude de l’analyse de Gunthert, aveu dont la naïveté désarmante donne une mesure de l’opacité de la bulle dans laquelle se tiennent les journalistes du Monde.

    Et qui indique clairement ce qui inquiète le plus les media traditionnels: Ce ne sont donc pas les « algorithmes », puisqu’ils font la promotion des « bons algorithmes », mais bel et bien une certaine persistance dans la capacité des gens a déjouer ces « algorithmes »!

  19. Melissa Zimbdar, il suffit de chercher (et surtout de lire tout l’article afin d’orthographier correctement son prénom…)
    http://www.merrimack.edu/live/profiles/586-melissa-mish-zimdars
    Mais non, on hait tellement les médias traditionnels qu’on saute n’importe quelle occasion pour s’insurger

    Ceci étant dit, pourquoi ce de travail de curation et de sensibilisation serait il exclusivement réservé aux « experts qualifiés » ?
    Si on va dans le même sens, quelle est sont les qualification de Zuckerberg et des laudateurs des réseaux sociaux qui défendre Facebook et pourfendent les journaux depuis deux semaines ?

  20. Sven, vous ne semblez pas avoir compris la « gravite » (hi hi ! grave pour certains qui paniquent, pas pour la plupart des gens) de la situation: Il n’y a plus de « curateur ». Le coup de l’algorithme « anti-conspi » c’est pour essayer de re-introduire un peu de « curation » et de « sensibilisation », mais ca ne marchera pas, l’epoque est passee. Ce n’est pas seulement la technique des reseaux d’espionnage dits « sociaux », c’est la mentalite des gens, ils ne « croient » plus, ils reflechissent davantage, parlez autour de vous vous verrez, on ne prend plus « l’information » pour argent comptant, on reflechi pour savoir qui a donne l’information et pourquoi. Chacun veut etre son propre « curateur » et « sensibilisateur ». C’est dans ce chaos qu’il convient de trouver des formes de communication appropriees, comme defend ici Andre Gunthert et ce ne sont certainement pas des « algorithmes », ni evidemment une version modernisee de l’inquisition ou de la STASI, institutions completement decredibilisees, qui ouvriront des voies praticables. Il s’agit d’etre creatif, et c’est a chacun de nous de le faire. Nous n’avons que les media que nous meritons, si nous demissionons nous n’avons aucune raison de nous plaindre. Les media ne peuvent pas etre un simple « produit » que l’on achete avec de l’argent ou en payant en nature avec de l’espace mental livre a la pub. C’est un marche de dupe. L’information n’existe qu’a l’interaction entre celui qui la donne et celui qui la prend. Elle ne peut pas exister si les lecteurs ne sont pas actifs. Cette prise de conscience actuelle, qui n’est pas mauvaise, est sociale plus que technologique,

  21. Les Americains, retroussant leurs manches et partant en croisade des qu’une tache technologique est en vue, sont d’une naivete desarmante, ils disent que « la bataille de l’intelligence artificielle contre les canulars est perdue d’avance », mais que malgre tout, « les progres sont encourageants » !!!

    http://qz.com/843110/can-artificial-intelligence-solve-facebooks-fake-news-problem/

    Finalement, la seule question importante: Un logiciel aurait-il ete capable d’eviter un million de morts innocents en detectant a temps, a l’examen des informations diffusees dans les media, que les soldats irakiens n’ont pas jete les bebes koweitiens hors de leurs couveuses en 1990, et qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en irak en 2003?

    Poser la question, n’est-ce pas y repondre?

    On devine chez certains « geek » un desir de « logiciels pour la paix », comme il y eu pendant 60 ans ce mythe « d’atome pour la paix »… Pourquoi pas « le petrole pour la paix », pendant qu’ils y sont?

  22. Frédéric Lordon apporte sa contribution au débat:

    « Il est d’ailleurs mal parti pour en trouver les voies si l’on en juge par les fortes pensées de ses intellectuels de l’intérieur, comme Katharine Viner, éditorialiste au Guardian, à qui l’on doit les formidables bases philosophiques de la «post-vérité». Et d’abord en armant la percée conceptuelle de connaissance technologique dernier cri : les réseaux sociaux, nous explique Viner, sont par excellence le lieu de la post-vérité car ils enferment leurs adhérents dans des « bulles de filtre », ces algorithmes qui ne leur donnent que ce qu’ils ont envie de manger et ne laissent jamais venir à eux quelque idée contrariante, organisant ainsi la végétation dans le même, l’auto-renforcement de la pensée hors de toute perturbation. Mais on croirait lire là une description de la presse mainstream, qui ne se rend visiblement pas compte qu’elle n’a jamais été elle-même autre chose qu’une gigantesque bulle de filtre ! Ainsi excellemment partie pour un exercice décapant de remise en cause, Katharine Viner en vient logiquement à conclure que Trump est le symptôme de la faiblesse croissante des médias à contrôler les limites de ce qu’il est acceptable de dire». Le tutorat moral de la parole publique, spécialement celle du peuple et des «populistes», voilà, sans surprise, le lieu terminal de la philosophie éditorialiste de la «post-vérité». Comprendre ce qui engendre les errements de cette parole, pour lui opposer autre chose que les postures de la vertu assistée par le fact-checking, par exemple une action sur les causes, ne peut pas un instant entrer dans une tête d’éditorialiste-de-la-vérité, qui comprend confusément que, «les causes» renvoyant à ce monde, et l’hypothèse d’y changer quoi que ce soit de sérieux étant par principe barrée, la question ne devra pas être posée. »

    http://blog.mondediplo.net/2016-11-22-Politique-post-verite-ou-journalisme-post

  23. Lordon est mordant dans sa critique mais trop et c’est dommage, il oublie de relever ce qui, chez K.Viner ou S.Laurent, est fort juste: Que les media n’ont jamais ete aussi diversifies et que chacun, aujourd’hui, est son propre media. Et c’est bien cela la cause que Lordon nous demande de chercher! Viner n’est pas si bete lorsqu’elle rapproche, implicitement, l’evolution de Gutenberg a nos jours, a une perte d’autorite. Une presse, ca coutait cher! Aujourd’hui, le symbole du pouvoir absolu c’est de posseder un, mieux, des journaux. Il suffit de regarder qui possede les media, en France, en Europe, aux Etats-Unis, en Inde, dans le monde: L’etat (la BBC) ou quelques individus ou familles richissimes. Comme a ecrit je ne sais plus qui, en Inde la presse ne « defend » pas le capitalisme, elle « est » le capitalisme. Circuit court. C’est pareil partout ailleurs. Alors pourquoi cette attaque sur facebook et la demande pour une « curation »? Parceque « Facebook » est trop utile a la collecte des donnees pour etre elimine. Je mets des guillemets parceque ce qui est en cause c’est le concept « facebook »/twitter/whatsapp etc. C’est l’outil de surveillance et de controle le plus formidable de toute l’histoire humaine. Mais cet outil est detourne de maniere quotidienne par des gens qui ne postent rien sur eux-memes, meme pas leur photo, ni ce qu’ils font, parfois meme s’arrangent pour truquer leur location, et au contraire donnent des informations. C’est du detournement! C’est comme si les gens avaient detourne la STASI pour l’utiliser a leur avantage! D’ou la campage en cours, aux multiples aspects, pour demander de la « curation », pour mettre en place une sorte de systeme (et un recit, une ambiance qui rende cela acceptable) ou tout ce que nous posterons sur internet sera soumis a cela: « votre commentaire est en attente de moderation ». Meme un Bruno Latour travaille a cela, peut-etre involontairement, lorsqu’il insiste pour definir la science comme « une institution » reposant sur un consensus social, non pour deplorer cette situation comme beaucoup d’autres, mais pour la defendre!!! Renoncant alors a toute possibilite d’evoluer, recroquevillons-nous dans le douillet « consensus »… Illusion totale d’ailleurs car oubliant que c’est un monde totalement elitiste que cela met en place, ou une toute petite elite aura encore acces a la veritable information.

    En fait le detournement de Facebook est un des phenomenes les plus interessants a l’heure actuelle.

    L’enjeu n’est pas technologique. Il est social et mental. Chacun peut et doit creer sa propre information, et d’ailleurs c’est inevitable, car l’information « n’existe » que lorsque quelqu’un l’interprete et la transforme en action. C’est cette part traditionellement laissee sous silence (parceque supposee agir selon un certain « consensus », qui maintenant s’effrite et devient plus incertain) qui prend de l’importance maintenant. C’est plutot rassurant.

  24. Plus je reflechis et plus je vois que Gunthert a raison, et meme peut-etre plus qu’il ne dit: Nous assistons, en ce moment meme, a une sortie massive de la bulle filtrante des media controlés par l’elite politico-financiere, grace a la popularite exponentielle des media alternatifs. Alors les canulars grotesques, qui existent effectivement, mais n’ont strictement aucune influence sur l’attitude ou les croyances ou les actions des gens, ne genent personne au contraire, ils sont bien utiles: En melangeant tout, le n’importe quoi grotesque et le journalisme d’investigation qui aujourd’hui s’est refugie et n’existe plus guere que dans les media alternatifs, on met en place un recit, une atmosphere qui permettra de legitimer le retour de l’inquisition: Ne lisez-pas ca, c’est du terrorisme!

  25. Ça crève les yeux. Et pourtant, on peut faire confiance aux militants du web à barbe pour n’y rien voir. Pourquoi tous ces morts en 2016? (http://www.lejdd.fr/Culture/Pourquoi-y-a-t-il-eu-autant-de-morts-de-stars-en-2016-835927) C’est la faute des rézosociaux, résume l’énervé du jour (http://www.the-drone.com/magazine/je-me-fous-de-la-mort-de-bowie-de-cohen-de-prince/). Eh bien oui! C’est la faute de Facebook et de Twitter, qui font s’entrechoquer David Bowie et Debbie Reynolds, Umberto Eco et Carrie Fisher, Michel Galabru et George Michael.

    Comprenons-nous bien: plus qu’un phénomène démographique inexplicable (l’épidémie de décès des célébrités), ce que nous entendons est l’accumulation des deuils: les voix des fans, sincèrement touchés, qui sont les premiers à exprimer leur peine sur les réseaux – et dont nous respectons la douleur, car ce sont eux aussi des proches, des amis, des connaissances.

    Bien sûr, les fans d’Eco n’ont pas grand chose en commun avec ceux de Carrie Fisher, ni ceux de Prince avec ceux de Debbie Reynolds. Pas les mêmes groupes générationnels, pas les mêmes préférences esthétiques, pas la même culture. Et pourtant, nous entendons aujourd’hui distinctement toutes ces voix – au point de penser que 2016 est une année maudite, au point que quelqu’un peut s’irriter de l’écho fait à toutes ces plaintes. Alors, la bulle de filtre, supposée nous enfermer dans le miroir de nos préférences? Pas de plus beau démenti expérimental que l’avalanche des morts de 2016 – ou plutôt la visibilité inédite des deuils de milliers de fans.

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