Aujourd’hui encore, je vois plusieurs de mes contacts évoquer leur participation (navrée) à la primaire de droite. Certains évoquent l’électeur stratège. Mais le succès d’un geste aussi paradoxal me semble manifester une forme de panique plutôt qu’une hyper-rationalité politique. Le point commun d’arguments parfois contradictoires est en effet la conviction que l’élection présidentielle de 2017 se joue avec la désignation du candidat de la droite, et que le vote de gauche n’aura aucun impact, étant donné la dispersion des candidatures.
Un tel défaitisme à six mois du scrutin me paraît sans exemple dans l’histoire politique récente, et mérite de rester comme le symptôme le plus marquant de cette présidentielle, jugée perdue d’avance. Comme la désignation surprise de François Fillon, cette fatalité sera peut-être déjouée par des circonstances encore imprévisibles. Reste qu’aujourd’hui, le vote “utile” pour un candidat de droite apparaît comme la confirmation la plus aigüe de l’échec de la gauche au pouvoir.
Car il faut remettre les faits à l’endroit. Si le moment de la consultation est pour beaucoup l’occasion de passer à l’électeur la patate chaude de la responsabilité, voire d’insulter le corps électoral pour des choix aberrants, il me paraît préférable de rappeler que les premiers coupables de ces comportements sont les appareils politiques, qui ont fait de l’élection un véritable piège – non, pas «à cons»: plutôt un piège à électeurs de bonne foi, ceux qui ont encore le courage de se déplacer, et font leur possible pour tenter de réparer les dégâts, mais qui ne peuvent modifier ni les logiques ni les choix institutionnels.
Faut-il, dans l’élection américaine, blâmer les électeurs de Trump ou l’appareil démocrate qui a choisi en toute connaissance de cause une candidate dont personne ne voulait, transformant le scrutin en une compétition des démobilisations? Faudra-t-il chahuter les votants de la présidentielle française, lorsqu’ils seront soumis à un anti-choix du même ordre? Avant de jeter la pierre à l’électeur, soulignons l’écrasante responsabilité de François Hollande, qui a vu sa majorité se réduire jusqu’au piteux recours au 49.3, dans la liquidation de tout leadership à gauche.
Alors que Giscard, Mitterrand ou Chirac pouvaient être soumis à l’épreuve d’un vote contradictoire et savaient écouter la rumeur de la rue, préservant la dimension d’un dialogue politique, le quinquennat couplé à la désignation d’une majorité parlementaire a flatté le césarisme d’élus décidés à user de toutes les ressources, voire de la force, pour éviter d’entendre le peuple. Cette évolution qui a fait de l’élection présidentielle l’arbitre de toute orientation fondamentale a contribué à ôter à l’électeur le pouvoir de sanction, et donc la possibilité de nuancer ses messages, pour ne laisser dans ses mains qu’un fusil à un coup.
Faut-il s’étonner, dans ces conditions, du brouillage de l’expression politique et de sa réduction à des antithèses aberrantes? La même logique a également favorisé l’hyper-personnalisation du pouvoir, démontré jusqu’à la caricature par des aventures individuelles comme celle d’Emmanuel Macron, symptôme de la faillite des partis et consécration de l’abandon de tout guide idéologique, au profit de la figure de l’homme providentiel, censé pouvoir résoudre seul tous les problèmes d’une société.
La tactique ne peut pas remédier à l’absence de stratégie. L’élection ne peut pas résoudre des problèmes qui ont déterminé les choix soumis au vote. La gauche est en ruines, sans parti, sans programme, sans vision. Dopée par le désir d’alternance, la droite n’est pourtant pas plus en forme. Même le chiraquisme paraît une oasis d’intelligence face au thatchérisme patriotard qui tient lieu de ligne idéologique aux Républicains. Plutôt que de ratiociner sur la manière de rattraper les errements des partis, il serait préférable de rendre au vote sa véritable utilité: celle d’un choix d’adhésion, seule vraie condition de la mobilisation démocratique.
5 réflexions au sujet de « Un vote inutile? »
Tout cela est bel et bon…
Cependant, qualifier d’attitude défaitiste un geste politique destiné à éliminer de la course présidentielle le chantre le plus outrancier d’un « thatchérisme patriotard » relève d’une interprétation plus arrogante que docte.
Libre à chacun de conjecturer un réveil de « la gauche » (mais laquelle ?) en mai 2017. Le pari me semble aujourd’hui trop hasardeux pour en confier l’issue aux électeurs traditionnels de la seule écurie de droite.
(On doit être dans la même « bulle » : je ne cesse de croiser des gens -en vrai hein- qui me disent aller « voter ») (depuis quand cette occupation est-elle payante ?) (ahahah) (c’est dimanche, c’est jour de marché ici) Je ne suis pas certain que Chirac ait écouté la rumeur du référendum de 2005 sur le traité de Lisbonne (il est vrai que les moyens lui manquaient pour en tenir compte) (ahahah) et pour les autres (aka Crâne d’oeuf et Tonton), on peut discuter si on veut mais ce qui est certain c’est que la normalité du présent hôte de la rue Saint-Honoré n’en fait guère un parangon d’homme d’état ayant une vision… (re hahaha)
L’image qui illustre votre article est extraite de « L’Affaire Tournesol » d’Hergé. Cet album date de 1954 et se situe dans le contexte de la guerre froide. Les syldaves et les Bordures se disputent les plans d’une arme qui doit reléguer la bombe atomique au rang de l’arquebuse.La manière dont vous utilisez cette image serait à étudier dans le cadre de votre blog.
@Jacques Bienvenu: Merci pour cette identification d’une des plus belles intrigues de la collection. Cet emprunt relevant de l’illustration expressive (un usage que je réserve en principe à mes billets d’humeur), je laisse à mes lecteurs le soin du commentaire iconographique…
La seule question que j’aimerais poser, c’est « Où est l’humanisme dans le programme de François Fillon ? ». En effet, en le lisant, mon sentiment est que la finance prédomine et surpasse l’humain. J’aimerais avoir tort, et que quelqu’un m’explique la part de progrès pour l’humain qu’apportera ce programme !
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