Rien ne montre mieux les caractères monstrueux qui ont été prêtés aux dinosaures par l’iconographie que sa mutation actuelle, sous la pression de la révision aviaire. Alors que la tradition qui a déterminé jusqu’à la nomination des «terribles lézards», au milieu du XIXe siècle, alimentait une imagerie reptilienne, un ensemble de découvertes effectuées depuis 1996, principalement en Chine, a montré que de nombreuses espèces, en particulier les théropodes (qui regroupent les dinosaures bipèdes comme le T Rex ou le Vélociraptor de Jurassic Park), portaient des plumes. Désormais bien établis, les liens généalogiques des dinosaures avec les oiseaux encouragent l’élaboration d’un contre-modèle aviaire, qui se traduit par une sérieuse révision de l’aspect, des postures ou du comportement de ces animaux.
Diffusé le 17 décembre sur Arte, le documentaire Le Mystère des dragons à plumes, de Emma Baus et Bertrand Loyer (inspiré de l’épisode Feathered Dragons, de la série Planet Dinosaur, produit en 2011 par la BBC), est le premier film français à proposer une synthèse des nouvelles observations et théories à propos des dinosaures.
Vulgarisation de bonne qualité, appuyé sur une large palette d’animations de synthèse et d’interviews de paléontologues, le documentaire se concentre sur les découvertes chinoises, et explore les thématiques du vol, de l’utilité des plumes (qui jouent également le rôle de régulateur thermique ou de parure) ou de la parenté oiseau-dinosaure.
Dans l’élaboration du nouveau récit d’un domaine majeur de la culture populaire1, l’information visuelle apparaît essentielle. Ce sont en effet les images de reconstitution qui fournissent le principal matériau de cette révision, à travers les propositions relatives à l’apparence et au comportement des animaux. On peut regrouper ces séquences en deux catégories: celle des prédateurs, qui reprennent les figures classiques de la chasse ou de l’attaque, et sont ponctuées de rugissements gueule ouverte (voir ci-dessus); et celle des autres espèces, herbivores ou insectivores, plus petites, qui pratiquent le vol plané et sont pourvus d’une éthologie plus variée: éducation des petits, comportements amoureux et sociaux, etc (et sont le plus souvent représentés le bec fermé, voir ci-dessous).
Le Mystère des dragons à plumes propose donc de faire cohabiter un modèle clairement aviaire, avec des animaux qui sautillent, volent, pépient et se comportent comme des oiseaux modernes, et l’ancien modèle reptilien, à peine toiletté par l’ajout de plumes (ou plus exactement de proto-plumes, qui ont l’aspect d’une fourrure), dont les traits sont réservés aux espèces les plus grandes, systématiquement carnivores.
Après l’épisode de la régression narrative de Jurassic World, on voit la vulgarisation, mais aussi la fiction (Dinosaur Island, de Matt Drummond, téléfilm, Australie, 2014) tenter d’adapter l’imagerie au nouveau paradigme scientifique. Le travail de l’imaginaire qui s’y manifeste conserve le rôle moteur du monstrueux, marque de fabrique de cet univers, mais poursuit aussi la diversification réaliste entamée par le précurseur Walking with Dinosaurs (Tim Haines, BBC, 1999).
- W. J. T. Mitchell, The Last Dinosaur Book, Chicago, U. Chicago Press, 1998. [↩]
6 réflexions au sujet de « Les dinosaures à plumes, iconographie mutante »
Vu cette soirée « aviaire » sur Arte : je pensais à l’art de la reconstitution en images de synthèse… Nos poulaillers (ou usines à plumes) n’ont qu’a bien se tenir!
J’avais assisté à une conférence sur ce sujet, il y a 3 ou 4 ans, au Marathon des Sciences à Fleurance : le gars parlait de l’évolution de la représentation des fossiles avec le nécessaire glissement vers la plume.
Du coup, on pourrait se dire qu’avec leur serpent à plumes, les Aztèques étaient plus près de la réalité que nos scientifiques modernes, jusqu’à présent.
D’où la question : d’où est-ce qu’ils sortaient cette représentation?
@Monolecte: J’ai discuté en séminaire l’ouvrage d’Adrienne Mayor, The First Fossil Hunters (2000), qui défend la thèse que l’iconographie des dragons prend sa source dans d’anciennes découvertes de fossiles de dinosaures. Cette vision positiviste de l’iconographie antique et médiévale fait l’impasse sur les exemples bien plus nombreux de monstres qui n’ont aucun rapport avec l’archive fossile. L’imagerie des Anciens n’était pas limitée par l’information objective, et s’alimentait plutôt du côté des symboles. La notion même de chimère, soit le mélange de traits empruntés à diverses espèces, exploite la capacité de l’imagination de combiner librement les données du réel. Comme le centaure, la sirène, Pégase ou le Minotaure, le serpent a plumes n’a besoin pour exister que d’un peu de fantaisie…
Certes.
Mais il peut être intéressant de poser l’hypothèse que dans les zones géographique où il y a eu une certaine unanimité à présenter les dragons avec des plumes, il est possible qu’il y ait eu des sources de savoir convergentes.
Finalement les poules avaient des dents autrefois.
Le réel n’est que la somme des représentations que nous nous en faisons. La réalité n’existe pas en dehors de notre imaginaire. Le réel est une invention en constante mutation. Il n’y a aucune réalité vraie et définitive. IL n’y a que des représentations multiples, changeantes, donc fausses mais satisfaisantes en une culture historiquement donnée. Cela vaut apour la science, les religions et toute autre cosmogonie.
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