Sous le signe de Tarnac

Masques de carnaval, Paris (photo AG).

Deuxième présidentielle sous réseaux sociaux. Plus de participants, plus de conversations, plus de controverses aussi. Ce qui me frappe, difficilement mesurable, est la multiplication des micro-communautés, fédérées par l’approbation éphémère du like. Non pas celles des militants, dont je reste relativement éloigné, mais toutes les autres. Celles des dénonciateurs des pires candidats. Celles des divers votes utiles, expliquant les méandres de leurs spéculations sondagières. Celle des hésitants qui affichent leur doute. Celle des résignés qui affichent leur choix. Celle des usagers exaspérés par l’intervention des militants. Celle des révoltés pour qui l’élection ne résoud rien. Ou encore celle des allergiques à la chose politique, poussés par tant de prises de position à manifester leur liberté de rester à l’écart.

La multiplication de ces revendications ressemble beaucoup à la libre expression constitutive de la démocratie. Mais il y a la tonalité de ces messages, bien souvent angoissés, voire «terrorisés» par l’incertitude et la perspective de choix funestes. En réalité, le système démocratique ne propose pas de donner libre cours à la manifestation des opinions, mais de les canaliser au sein de dynamiques unificatrices, pour produire in fine une proposition susceptible d’être acceptée par le plus grand nombre.

On peut d’ores et déjà douter que les résultats du scrutin apporteront ce consentement général, seul capable d’apaiser les tensions de la confrontation électorale. A l’heure d’un match à quatre sans précédent dans les annales du bipartisme quinquarépublicain, et d’une division des opinions telle qu’elle est devenue totalement opaque aux instruments de mesure les plus sophistiqués, cette dispersion mérite qu’on s’y attarde.

La profonde division de la société américaine après l’élection de Donald Trump fournit un avant-goût de ce qui attend les systèmes représentatifs, lorsque la politique renonce à résoudre les problèmes de la population, et se résume à des affichages identitaires. Comment prétendre à l’universel lorsque le bien commun n’est plus la mesure de la démocratie? Face au pouvoir des lobbies ou à l’abandon des élites, les communautés minoritaires n’apparaissent plus comme une menace, mais au contraire comme un abri, le dernier refuge des solidarités et des protections que n’offre plus le politique. Significativement dénoncée par le pouvoir comme l’épicentre de la révolution, l’épicerie de Tarnac symbolise aujourd’hui l’horizon paisible d’une communauté affinitaire, qui ne peut manifestement plus être atteint à travers les instruments de la citoyenneté.

Ce principe a son équivalent en ligne. Alors que tous les commentaires sur la «bulle de filtre» jugent négativement l’enfermement algorithmique, les médias sociaux restent le lieu privilégié des échanges et de l’expression individuelle. Plutôt que de condamner ce choix au nom d’un impératif moral ou de l’aliénation des masses, il serait préférable d’analyser le succès de la réponse micro-communautaire, où se reflète l’échec des dynamiques collectives à plus grande échelle. Cette symétrie du général et du particulier devrait nous empêcher de condamner d’avance comme une régression le fait communautaire, et nous amener au contraire à considérer dans leur sens historique les phénomènes de sécession ou les revendications d’indépendance qui se multiplient dans l’aire occidentale, contredisant les mécanismes unificateurs d’une période qui touche peut-être à son terme.

7 réflexions au sujet de « Sous le signe de Tarnac »

  1. Vous montrez encore comment, à partir d’un regard décalé, on peut rentrer en plein dans le sujet, qui ici à son importance : la démocratie, rien de moins.

  2. Ce qui me frappe c’est l’extraordinaire vulnerabilite de ces communautes dont le principal vecteur de communication est internet. Le Monde vient de nous apprendre que les services secrets etaient encore obliges, jusqu’en 1985 au moins, d’envoyer des espions en chair et en os pour savoir ce qui se passait dans la vie intellectuelle en France. Aujourd’hui grace a FB, Twitter etc. ils savent ce que les gens disent en temps reel, (Peut-etre pas exactement ce qu’ils pensent cependant, tant l’autocensure s’accroit chez les internautes.) et peuvent reagir bien plus rapidement aux evolutions politiques et sociales. La transparence des reseaux, arme a double tranchant. La societe civile y gagne-t-elle, ou pas?

  3. On est d’accord : il n’y a pas de billet de retour de la communauté »affinitaire » à l’espace commun citoyen. Et la disparition de la figure du militant -évoqué hier soir dans notre communauté affinitaire – nous semble y être pour beaucoup. Nous savons alors ce qu’il nous reste à faire.

  4. Étrange comme le mot Démocratie apparait dans ces discussions autour du virtuel et des partages en réseaux (dits) sociaux. Chez le thermomètre FB, pour y lire quelques bonnes phrases, mêmes contradictoires, sur des idées (populaires) de conduites politiques, il faut gober mille propos haineux, racistes, bêtes (mal orthographiés de surcroit), canalisés par les Com’ militantes obtuses.

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