En attendant le portrait officiel (les rédactions s’impatientent), une polémique dévoile la nature propagandiste de la communication construite autour de la personne du nouveau président de la République, incarnée par l’emblématique production de sa photographe de campagne, Soazig de la Moissonnière. Je consacre ma nouvelle chronique pour Arrêt sur images à cette narration des apparences qui pourrait prendre le nom de post-journalisme.
Le récit de la participation d’Emmanuel Macron au sommet européen des 22-23 juin par Franceinfo a suscité une bronca sur internet, qui accuse la télévision publique de pousser la flatterie présidentielle au-delà des limites de l’acceptable. Il faut dire que la vidéo est guignolesque, avec son commentaire louangeur, son illustration musicale lénifiante, et son imagerie d’un dynamisme déjà caricatural. En réponse à l’indignation générale, la rédaction s’est fendue d’un avertissement pour indiquer que la séquence était à prendre au second degré. Dans un paysage médiatique littéralement soufflé par la macronmania (dont Samuel Gonthier tient à Télérama la chronique hallucinée), aussi bien l’option d’un traitement ironique que son invisibilité sont des traits qui en disent long sur l’état actuel du journalisme politique mainstream.
Quoiqu’il en soit, ce que nous propose le pastiche inhabituel de Franceinfo, c’est un objet dont on ne peut pas nier la dimension propagandiste, puisque celle-ci a été délibérément calibrée par ses auteurs. Pour rester sur le plan visuel, je suis frappé par la réduction des motifs à trois figures principales: celle du dynamisme, caractérisé par le mouvement des personnages et celui, homologue, de la caméra, qui nous entraîne dans une chorégraphie virevoltante de la progression; celle de la rencontre, déclinée en multiples sous-figures (sourire de la reconnaissance, poignée de main virile ou embrassade lorsqu’il s’agit du personnel féminin), qui produisent une symphonie de la confirmation de l’importance des importants; enfin celle de la focalisation médiatique, qui place le personnage principal au centre d’une attention rendue visible par ses truchements techniques: perches, micros et caméras.
Cette imagerie est à la fois très banale, vue et revue, mais aussi parfaitement définie – ce sont les mêmes motifs du dynamisme, de la rencontre et de la focalisation que déclinent sans trêve les photographies de campagne de Soazig de la Moissonnière. Et ce qui fait le caractère propagandiste de cette imagerie, c’est tout simplement le fait qu’elle existe de manière autonome, comme la démonstration autosuffisante de l’action politique, sans jamais nous renseigner sur l’action qu’elle décrit, la nature des échanges ou l’identité des interlocuteurs. Pur spectacle d’une performance vide, accomplissement rituel sans contenu, elle est l’image même du post-politique.
Sur un plan théorique, la caractérisation d’une circularité du message iconographique, dissocié de toute référence, est issue de la proposition de considérer l’énonciation visuelle comme partie prenante d’un dispositif narratif polyphonique et redondant (voir «Pour une analyse narrative des images sociales»). Pour un récit non-fictionnel, la référentialité est la condition primordiale de l’établissement du sens et de la légitimité de l’énonciation. Sortir de cette écologie, ou la fausser en tentant de faire prendre la performance pour l’action, fait inévitablement glisser la proposition narrative dans un espace plus proche de la fiction.
- Lire la suite: «Le portrait et le kébab».
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