Pour le premier anniversaire du mouvement des Gilets jaunes, la préfecture de police avait préparé un piège géant: une nasse où concentrer les manifestants, aspergés de gaz lacrymogènes (lire le témoignage de Mathilde Larrère), à la fois pour terroriser les participants et provoquer des violences, selon la méthode appliquée dès les débuts de la crise.
C’est dans ce cadre qu’une vidéo a montré pour la première fois l’éborgnement en direct d’un manifestant pacifique, violemment blessé par le jet d’une grenade lacrymogène alors qu’il est filmé par la camera d’un street medic, samedi 16 novembre en début d’après-midi place d’Italie. Un autre enregistrement permet de distinguer la trajectoire d’un projectile, lancé en cloche par les forces de l’ordre, mais Manuel T. assure qu’il s’est agi d’un tir tendu dans sa direction. Dans les deux cas, ces jets sont en contradiction avec les instructions qui stipulent que ces armes doivent être utilisées dans un contexte d’autodéfense, et non pour contrôler une foule à distance.
⚠️ Image très violente !!! Blessure à l'oeil un commentaire @CCastaner @prefpolice #PlaceItalie #16Novembre #Acte53 #Paris #GiletsJaunes #Manu #1AnDeColère Mais on imagine que #IGPN va pas réussir a identifier le tireur et ce sera classé sans suite … pic.twitter.com/HGuJjwydzS
— Altra #OnOublieraPas (@AltraMale) November 17, 2019
Diffusée le lundi 18 novembre sur Twitter, et devenue rapidement virale, la séquence montre d’abord une discussion calme entre manifestants, et apporte la preuve éclatante d’un recours aux armes en dehors du cadre de la «réponse proportionnée». Cet usage, largement documenté pendant la crise des Gilets jaunes, n’a jamais fait l’objet du moindre blâme de la part des pouvoirs publics, qui refusent de reconnaître l’existence de violences policières. Cette fois encore, aucune déclaration des autorités ne s’est fait entendre pour condamner un usage manifestement illégal. Ce silence volontaire depuis un an constitue un encouragement à la poursuite des violences, et la démonstration implicite d’une doctrine de répression du droit de manifester. Un Etat de droit ne nie pas, mais empêche les brutalités policières, protège ses citoyens et l’exercice des libertés publiques.
Pourtant, un an après, le vernis commence à craquer. La thématique des violences policières, qui s’est imposée dans l’espace public, gagne désormais la presse. Et pour la première fois, le 19 novembre, le 13 heures de France 2 et l’édition du soir de BFMTV ont présenté le blessé non comme un dangereux casseur, mais comme une victime. Le choix de donner la parole aux acteurs et de mettre en avant l’expression de l’émotion humanise la narration et favorise l’empathie du téléspectateur. Outre la rediffusion de la séquence de la place d’Italie, France 2 a interviewé Séverine D., la compagne Manuel T., et BFMTV a recueilli le témoignage du Gilet jaune sur son lit d’hôpital, allant jusqu’à commenter: «Il n’est pas normal en France de ne pas pouvoir manifester librement et d’être visé sans raison apparente par les forces de l’ordre». Le blessé a porté plainte.
Comme le souligne Daniel Schneidermann sur Arrêt sur images, le JT du soir de France 2 a corrigé la trajectoire, restituant une vision plus conforme à celle des syndicats de police. Dans l’intervalle, on a aperçu les larmes de Sévérine, qui exprime devant la caméra sa peine et sa révolte, avec des mots douloureusement justes: «Je ne comprends pas comment, en se levant le matin, en allant juste montrer notre mécontentement pacifiquement, on perd un œil juste parce qu’on espère vivre mieux.» C’est difficile à croire, mais il s’agit des premières images humaines et compatissantes sur les Gilets jaunes depuis un an sur la chaîne publique.
https://twitter.com/20hFrance2/status/1196842069312057345
2 réflexions au sujet de « Gilets jaunes: la première victime (visible) »
Monsieur Castaner ne s’est pas rendu au chevet du blessé (le préfet Lallement non plus) et Monsieur le Président de la République n’a pas eu un mot, jusqu’à présent, pour cette victime de « violences policières » qui d’ailleurs n’existent pas (comme rappelé à la page 132 du livre de David Dufresne, « Dernière sommation », chez Grasset).
Je me permets de vous faire part de mon expérience (non de cette manifestation : je ne manifeste plus) mais lors de l’une de celle contre la loi travail (ni loi, ni travail – pourtant) : cette terreur produite par la police s’exerce au moins depuis lors, notamment lorsque la manifestation autorisée fut arrêtée sur le boulevard Diderot, ce jour-là – la police empêchait la sortie sur la rue de Chaligny, je suis asthmatique et voulais fuir les gaz, avec mon amie nous avons demandé poliment de sortir, nous étions bloqués par ces types en noirs assez robocopisés, on a attendu, pleuré, attendu et on nous a laissé passer – depuis je n’y vais plus – je tiens encore à la vie – c’est l’effet recherché – cette politique, mise en place depuis les attentats de 2015 mais qui nous vient de très loin (voir octobre 61) est digne d’un État policier (personnifiée par le préfet de police de Paris avec sa sortie sur les différents camps qu’il considère…) – cette opinion énoncée lors d’un dîner samedi soir dernier nous a valu d’ailleurs de rompre avec des amis de longue date (ce détail personnel montre la façon dont nous sommes agis, les uns et les autres). Merci pour ce billet (et les précédents) qui montre exactement la stratégie menée par ce gouvernement (comme par le précédent, et le précédent encore) dont l’alpha comme l’oméga semble se situer du côté d’une extrême droite (immonde) de la pensée politique.
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