Compte rendu du séminaire « La visibilité en crise. Les nouvelles images et l’espace public »

Grâce à l’outillage numérique et aux médias sociaux, la production et la diffusion de contenus audiovisuels confèrent une visibilité inédite aux acteurs minoritaires et alimentent le débat public. Pour étudier ce phénomène, nous avons entrepris d’analyser l’émergence sur la scène publique française de la thématique des violences policières, appuyée sur la diffusion virale de nombreuses vidéos en ligne à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes. Proposé au premier semestre 2020-2021, le séminaire a été effectué à distance en raison des contraintes sanitaires. Il était important de distribuer la parole et de favoriser l’interaction. Chaque séance a donné lieu à des interventions d’invités ou des exposés préparés par les étudiant·e·s.

Plusieurs élaborations théoriques pouvant faire office de cadre de référence ont été examinées et discutées, en particulier celles de Jürgen Habermas et Nancy Fraser sur les conditions du débat dans de la sphère publique, celles de James C. Scott et Gayatri Chakravorty Spivak sur les contre-publics et la formation de contre-récits, celles de Nicholas Mirzoeff et Alain Bertho sur la constitution de visibilités alternatives, ou celle de Steve Mann sur la sousveillance, ou surveillance inverse, dans l’espace public. Nous nous sommes également penchés, avec le réalisateur Raymond Macherel,  sur le film du journaliste David Dufresne, Un pays qui se tient sage (2020), qui reprend une cinquantaine de vidéos diffusées en ligne pendant la crise des Gilets jaunes. Nous avons discuté, avec le chercheur Michaël Bourgatte, de la production de l’association animaliste L214 de vidéos pirates dans les abattoirs. Nous avons également étudié, avec le journaliste Antoine Schirer, les reconstitutions 3D à des fins d’analyse forensique des documents audiovisuels.

A côté des nouveaux outils de communication militants, décrits notamment dans le cadre des révolutions arabes, le phénomène que ce séminaire a permis de cerner est celui qu’on pourrait appeler l’alerte par l’image. A partir des travaux de Francis Chateauraynaud, la notion d’alerte est apparue comme le facteur déterminant de la réception de la documentation spontanée des manifestations. Dotée de critères propres et d’une justification sociale forte, fondée sur l’urgence et la perception d’un risque collectif, l’alerte prend sur les réseaux sociaux la forme du signalement viral.

Si la crédibilité documentaire de l’enregistrement vidéo en situation constitue à l’évidence un atout pour en faire un support d’alerte, cette condition ne suffit pas à elle seule à conférer la viralité. L’accélération de la circulation du document provient à la fois des caractéristiques de son énonciation, qu’avec Bolter et Grusin on peut décrire comme celles de l’immédiation, de ses qualités narratives, propices à en faire un exemplum, et de la dynamique de la conversation en ligne, amplifiée par la tension de l’événement et les effets de la controverse. Équivalent à un travail d’éditorialisation de l’actualité, le commentaire participatif confère à ces contenus un statut de document-icône, à la fois preuve et emblème.

Si cette forme d’alerte n’a jamais conduit les pouvoirs publics à remettre en cause la réponse des forces de l’ordre, elle a néanmoins fait accéder la question des violences policières au premier plan du débat public. Alors que les plus hauts représentants de l’Etat se sont efforcés de nier les excès du maintien de l’ordre, les centaines d’images qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont établi l’existence des violences policières, à un degré jamais atteint. Ces phénomènes ont incité les réseaux sociaux a modifier l’affichage des images de violence, et poussé le gouvernement à légiférer pour faire obstacle à la documentation des pratiques policières. Deux articles ont été publiés pour rendre compte de ces conclusions.

Publications 2020-2021