Quand Charlie caricature l’antiracisme

Question: une caricature de la journaliste Rokhaya Diallo en Joséphine Baker exécutant son célèbre numéro avec sa ceinture de bananes est-il un dessin raciste? Pour Charlie Hebdo, éditeur du dessin satirique – mais aussi pour l’AFP, qui publie une dépêche faisant suite au tweet de la victime dénonçant cette agression – la réponse est manifestement non.

Spécialiste du déminage alambiqué de ses dessins racistes, l’hebdomadaire recourt ici à l’inversion accusatoire: si Rokhaya Diallo voit du racisme dans l’innocente caricature de Riss, c’est qu’elle est hantée par l’assignation raciale – CQFD!

Reconnaître l’argument de la jupe trop courte dans son rôle de culpabilisation de la victime devrait mettre la puce à l’oreille. Non, il n’existe aucun autre lien que la couleur de peau pour associer le personnage de Joséphine Baker à l’infatigable défenseure des droits des femmes et des racisés, qui n’est pas connue pour se mettre en scène dans des numéros comiques. La laborieuse explication de texte de Charlie tente de justifier le rapprochement en coiffant Rokhaya Diallo d’une improbable perruque yankee, au motif que ses positions progressistes trouvent peu d’écho dans les médias hexagonaux. A contrario, la célébrité de la performeuse d’origine américaine est bel et bien acquise sur les scènes du music-hall parisien, où Joséphine Baker s’est vue chargée d’incarner l’imaginaire de pacotille des colonies françaises – comme en témoigne la fameuse ceinture de bananes, symbole d’une africanité bien éloignée de sa propre expérience.

Au-delà du rapprochement de deux femmes noires qui s’est imposé à l’esprit de Riss, le précédent de la satire de la députée Danièle Obono dans les pages du magazine d’extrême-droite Valeurs actuelles (condamné en 2022 pour insulte publique à caractère raciste) confirme le caractère malveillant de la caricature. Tenter de ridiculiser Rokhaya Diallo en la représentant dans un numéro à caractère érotique, en dehors de toute justification contextuelle, relève bel et bien de la culture raciste la plus abjecte: celle qui ajoute la sexualisation à la raillerie par la stéréotypie des traits physiques. Se moquer d’une militante féministe et antiraciste en accumulant les clichés sexistes et négrophobes: comme dans le cas Obono, la violence de l’attaque renvoie à un registre satirique qui fait froid dans le dos.