En attendant de pouvoir visionner Merci Patron, le film de François Ruffin, qui sort le 24 février, je note avec intérêt la contribution du dessinateur de presse Thibaut Soulcié, auteur de l’affiche. Sauf erreur, il s’agit de la première affiche de cinéma composée à partir du geste du selfie au smartphone.
Loin du récit narcissique traditionnel, ce dessin exploite la réunion forcée imposée par l’opérateur du selfie (ici un ouvrier rigolard) à un puissant astreint à la pose (on reconnaît Bernard Arnault, PDG de LVMH, en patron contrarié). Profitant de l’opération pour détrousser le riche homme d’affaires, l’ouvrier incarne une vision politique de l’appropriation autophotographique, qui fait écho à la scénographie typiquement asymétrique du selfie de célébrité, ici instituée en figure de style.
8 réflexions au sujet de « Photogénie du selfie (2) »
Pour avoir vu des ados se photographier en groupe, l’affiche du film Mustang proposait une affiche intéressante comme exemple d’autophotographie ? Non ?
Merci pour votre indication! L’affiche de Mustang montre un selfie comme résultat, plutôt que le geste caractéristique du smartphone – mais vous avez raison, il faut l’inclure dans le corpus!
Nos vies heureuses (1999) :
http://media.senscritique.com/media/000004231226/source_big/Nos_vies_heureuses.jpg
Merci Olivier!
C’est intéressant d’analyser les selfies. Mais faut-il y voir une révolution de l’image ? Il n’y a rien pour l’instant qui, de près ou de loin, ressemble à une innovation culturelle. Aucun art, aucune poésie comme celle que l’on peut trouver chez de grands photographes ou de grands peintres, puisque justement c’est la photo de n’importe qui. L’efficacité de l’affiche est surtout son côté comique. Revenons au smartphone en général. Il est étrange que l’envoi d’une image soit particulièrement accessible aux jeunes ados, pour prendre une classe d’âge, précisément au moment où l’échec absolu de notre système éducatif est patent. Beaucoup de jeunes ne disposent plus en ce moment de vocabulaire et ne peuvent soutenir un raisonnement argumenté. Cette analyse d’image est d’ailleurs réservée à une élite intellectuelle qui utilise un langage particulier, un sociolecte pour les amateurs de jargon. Ce jargon caractérise d’ailleurs nombre d’intellectuels des années 1970, comme Bourdieu qui est le vrai Patron de cette affiche. Croire, si j’ai bien compris, que le selfie est un moyen de lutte contre la bourgeoisie me semble curieux… L’immense majorité des gens, jeunes ou moins jeunes, envoient leurs photos et c’est tout… La multiplication anarchique des images n’est pas un progrès social. Cela dit, André Gunthert donne à réfléchir et c’est une bonne chose.
Je suis très circonspect sur ce film (que j’ai vu en avant-première). Non pas sur cette lutte contre Bernard Arnault que j’approuve, mais sur la forme qui pose beaucoup de questions et en particulier celle de l’instrumentalisation des deux principaux protagonistes, Jocelyne et Serge Klur, par François Ruffin qui se met en scène en jouant les Robins des bois et surtout en réutilisant les formes les plus démagogiques du modèle télévisuel.
Il faut relire à ce propos le texte de Jean-Louis Comolli qu’il avait écrit en 2008 pour le séminaire « Formes de lutte et lutte de formes » et intitulé « Incidence du moindre geste » à lire ici : http://www.lussasdoc.org/etats-generaux,2008,90.html
@Jacques Bienvenu: Souvenez-vous du tableau de Magritte: “Ceci n’est pas une pipe”. La première condition de l’analyse visuelle est de ne pas confondre l’image avec ce qu’elle représente.
Je n’attribue à titre personnel aucune signification particulière à la manipulation du smartphone – que ce soit par des jeunes, ou par d’autres (faut-il le confesser: j’use moi-même de cet outil diabolique). En revanche, son installation dans l’iconographie, par définition nouvelle, puisqu’il s’agit d’un objet qui n’existait pas il y a dix ans, est un phénomène intéressant à observer. A cet égard, une affiche de cinéma, qui est choisie avec soin par les producteurs pour assurer la meilleure publicité au film, et qui fait l’objet d’une diffusion importante, n’est pas une image ordinaire, mais une véritable “image sociale”, pour reprendre le titre de ce blog: une image dont les significations présentent des enjeux collectifs.
Le selfie est apparu en 2013 dans l’espace public marqué du signe d’un narcissisme d’époque (voir mon étude: http://imagesociale.fr/1370). Je fais partie de ceux, pas les plus nombreux, qui intègrent l’observation du selfie à une histoire plus vaste des pratiques photographiques. Il me paraît donc intéressant de noter qu’une affiche dédiée au selfie ne connote pas l’amour de soi, mais exploite la situation de rapprochement imposé, sous une forme explicitement politique. Cette observation s’inscrit dans la suite d’autres relevés enregistrés sur ce blog (voir notamment: http://imagesociale.fr/2061).
Les commentaires sont fermés.