Selon Roland Barthes, «dans la photographie, je ne puis jamais nier que la chose a été là» (La Chambre claire). Voire. Un photographe animalier a tenu à démentir la thèse de la nature référentielle de l’enregistrement visuel. Primée dans la catégorie «Animaux dans leur environnement» du concours Wildlife Photographer of the Year, organisé par le musée d’Histoire naturelle de Londres, la photo «The night raider» avait été présentée comme un rare instantané d’une scène nocturne: l’attaque par un fourmilier géant d’une termitière piquetée de larves phosphorescentes, dans le parc national des Emas au Brésil.
Mais une source anonyme a livré le secret de cette image extraordinaire: le fourmilier était un spécimen empaillé, placé à l’une des entrées du parc. Après enquête, le jury a donc décidé d’exclure la photo du concours et de disqualifier son auteur. L’intention de fraude était fortement suggérée par l’absence de l’animal sur les fichiers encadrant la vue primée, qui ont été fournis au jury. Il est en effet peu probable qu’une vision aussi exceptionnelle n’ait pas suscité plusieurs tentatives d’enregistrement (et l’unicité de la prise de vue de la scène préparée, tout aussi surprenante, indique que le photographe a tenu compte des conditions du concours et des éventualités de vérification a posteriori).
Nul besoin pour ce trucage d’une altération du support ou d’une «technologie de l’artefact», chère à Olivier Ertzscheid. Plus prosaïquement, le dispositif photographique, qui n’est pas en mesure de juger de l’authenticité de ce qui est placé devant l’objectif, a capturé fidèlement une mise en scène trompeuse – de la même façon qu’une caméra de cinéma enregistre une action fictionnelle. Quelque chose avait bien été là, mais pas la «chose» que le photographe prétendait avoir vu.
La proposition de Barthes fait écho au présupposé que toute photographie relève du format documentaire, ce qui fait de sa définition une tautologie – car ce n’est que dans le cadre de l’authenticité garantie du rapport au référent que l’on peut affirmer que la photo représente bien ce qu’elle prétend représenter. Le cinéma de fiction ou la photographie publicitaire montrent au contraire que la technique de restitution n’empêche nullement de manipuler les apparences.
Le statut de la «chose» vue ne dépend pas de la fidélité de l’enregistrement, mais du contrat conventionnel qui décrit la nature de l’image: reconstitution fictionnelle ou archive documentaire. Prétendre avoir photographié un fourmilier vivant alors que celui-ci était empaillé est une tromperie sur la nature de ce qui est montré, lorsque l’image est présentée comme une prise de vue sur le vif. En d’autres termes, on ne peut pas postuler, comme le fait Barthes, l’identité de la «chose» vue à travers l’objectif avec ce que décrit sa légende. Comme dans tout processus symbolique, il est au contraire nécessaire de distinguer l’image du référent. Car ce qui fonde le contrat documentaire est précisément l’identification du rapport entre la chose et ce qui la montre.
Une réflexion au sujet de « Le fourmilier, le faussaire et le photographique »
Ceci pourrait être une variation sur le thème, non ?
http://www.laboiteverte.fr/des-installations-gigantesques-imaginaires/
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