Dans le sillage des piteuses attaques à l’encontre de la militante écologiste Greta Thunberg, un article d’Arrêt sur images (média auquel je collabore) épingle un dessin de Riss dans le numéro de Charlie, raillant le silence de la jeune fille face au pélerinage vers la Mecque. Mentionnée par l’intermédiaire d’un tweet du vice-président du mouvement réactionnaire Debout la France, Patrick Mignon, qui se félicite de la dénonciation «du côté très sélectif des indignations de la #PythieàCouettes» (sic), la caricature de Greta Thunberg voisine avec les injures sexistes de Dominique Bussereau, l’ironie lourdement scatologique de Florian Philippot ou les montages malveillants de Régis de Castelnau.
La reproduction initiale du dessin, le 15 août, contextualisée par des réactions de moquerie ou d’indignation, était rapidement devenue virale, suscitant l’incompréhension dans le camp progressiste, mais aussi la jubilation dans celui des islamo-gauchophobes. Devant le réveil des polémiques habituelles autour de Charlie – journal réputé progressiste, mais traînant depuis son virage néoconservateur, sous la houlette de Philippe Val et Caroline Fourest, une réputation tenace d’islamophobie –, les réactions des lecteurs du magazine, plaidant pour une interprétation au second degré, ne faisaient pas le poids. D’où la lecture évasive d’Arrêt sur images: «Ce dessin a d’ailleurs donné lieu à un débat d’interprétation (sans véritable conclusion) sur Twitter: le directeur de Charlie y prend-il pour cible la jeune Suédoise, ou bien ses contempteurs réactionnaires?» (allusion probable à la tournure prise par la discussion chez l’ami Jean-No).
Il faut attendre un thread documenté de l’essayiste Marylin Maeso, publié le 16 août, pour disposer de preuves du caractère satirique du dessin de Riss, via la reproduction de son éditorial, qui permet de le replacer dans le contexte d’une critique du tourisme de masse. La rediffusion de la couverture de Charlie du 24 juillet donne l’exemple d’un dessin plus réussi, toujours de Riss, qui exploite la même vision caricaturale des attaques contre Greta Thunberg.
Magistralement illustrée par la page «Le dessin satirique expliqué aux cons», la réponse de Charlie (et des charlistes) face à la polémique consiste à se réfugier derrière une théorie de la satire, qui serait mal comprise par des lecteurs incultes.
Mais, comme le suggère Marylin Maeso, une part du problème posé par le dessin de Riss vient de la position ambigüe du magazine, qui défend le point de vue écologique, tout en contribuant à la critique du spectacle qui accompagne les apparitions de Greta Thunberg. La couverture du 24 juillet illustre bien la demi-mesure qui consiste à se moquer des ricaneurs, sans soutenir pleinement la militante. Le thread de Maeso omet en revanche de mentionner l’islamophobie déclarée de Riss, facteur évidemment décisif dans la lecture au premier degré du dessin, malgré une tentative maladroite de mise à distance (à travers la mention: «comme par hasard»).
La méthode analytique de la philosophe, qui mobilise l’éditorial de Riss pour démontrer le caractère satirique du dessin, témoigne de la difficulté à trouver dans l’image les marques du second degré. Pour les avocats de Charlie, le contexte éditorial suffit à le manifester. La polémique démontre que cette garantie est insuffisante. Plusieurs intervenants citent en comparaison un dessin récent de Willem dans Libé, qui recontextualise l’éloge présidentiel des combattants africains, incarnant l’hypocrisie de Macron par une adresse au passage à un balayeur noir, alors que le monarque s’éloigne dans sa voiture avec chauffeur – une composition qui ne laisse aucun doute sur l’intention satirique de son auteur.
A ceux qui l’auraient oublié, cet exemple rappelle que la satire n’est pas une fin en soi, mais que son sens est de dénoncer un comportement en en dévoilant le ridicule. Dans les deux dessins que Riss consacre à Greta Thunberg, le seul indice du ridicule est le caractère excessif de la situation figurée. «Ces autistes qui dirigent le monde» est une formulation si manifestement exagérée qu’elle est forcément risible. Dans le second dessin, qui réutilise le même principe, l’outrance est moins perceptible – au point que des détracteurs de la militante peuvent le rediffuser au premier degré. Comment appeler une satire qui échoue à faire apparaître les ridicules, sinon une satire manquée?
2 réflexions au sujet de « Un second degré illisible »
Parfois, le premier degré, malgré son air bête, est beaucoup plus profondément ironique que le second degré de l’entre-soi, qui s’emmêle dans le commentaire du commentaire du commentaire, etc. L’humour n’est pas un commentaire. C’est la réalité mise à nu. On n’y arrive pas toujours.
… une satire manquée, soit une satire à l’envers… ! :-)
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