L’outing du n° 2 du FN, Florian Philippot, par Closer a fait une victime collatérale. Son ami, dont le visage est flouté dans le reportage, s’exprime sur Rue89 sous le pseudo de Tyto Alba. S’adressant à Laurence Pieau, la patronne de Closer, il regrette « l’anonymat (…) tout relatif » de ce masquage, qui n’a pas empêché qu’il soit identifié. Victime de menaces, il estime que son image est « marquée de façon indélébile au sein de (sa) profession » de journaliste de télévision.
La pratique du floutage, précédée depuis les années 1950 par celle du masquage par un bandeau, est un usage typique de la presse à scandale, qui a pour but de préserver la publication d’une image, alors que celle-ci expose à un risque juridique ou révèle l’identité d’un acteur de manière non souhaitée.
Le masquage du visage vise-t-il à protéger l’identité de la personne ou la sécurité juridique de l’éditeur? Lorsqu’il était effectué par l’intermédiaire d’un bandeau noir sur les yeux, il apparait clairement que cette protection sommaire n’empêchait pas les proches de reconnaître le sujet photographié. Il s’agit donc d’un artifice visant à minimiser le risque juridique – apparemment avec succès. Largement pratiqué par les reportages télévisés, le floutage intégral du visage qui s’est imposé avec l’emploi des technologies numériques semble offrir une meilleure protection de l’identité. Le témoignage de Tyto Alba montre toutefois que celle-ci est loin d’être absolue.
Qu’il s’agisse du visage ou des caractères sexuels, le masquage des parties litigieuses d’une photo présente la particularité de manifester un traitement éditorial secondaire, autrement dit d’opacifier l’image. Alors que son altération pourrait remettre en cause sa valeur d’enregistrement, le masquage témoigne au contraire d’une force probatoire supérieure, par la transgression de l’interdit, qui est à la fois contourné par l’artifice graphique, mais également rendu visible par la nécessité du traitement.
Le cas du masquage illustre l’inanité de la critique de la presse à scandale par les appels à la déontologie ou au respect, car le trait qui fonde ce type de journalisme est justement de braver l’interdit. De même que le reportage de Closer joue habilement avec les limites juridiques du droit à l’image, en captant les protagonistes dans des lieux publics, le floutage fonctionne comme un jeu avec la loi, signe d’une capacité de transgression qui est précisément ce que recherche le lectorat.
10 réflexions au sujet de « Que cache le floutage ? »
Le « flou » de la position de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet est assez amusant.
On espère le découvrir bientôt à la « une » de Closer (même avec quelqu’un de « flouté » à ses côtés, et peut-être dans une situation délicate), prouvant ainsi son amour pour ce genre d' »espace de liberté ».
Mais qu’est-ce qu’ils allaient bien faire à Vienne ? La ville ne me semble pas complètement anodine (cf. Sigmund Freud certes, mais surtout Kurt Waldheim et Jorg Haider, Adolphe Hitler, j’en passe parce que je ne veux pas charger la barque de la villégiature frontiste à vomir) (le paparazzo était-il (bien qu’anonyme…) « le Troisième Homme » ???).
Il manque par ailleurs un p au patronyme de la rédactrice directrice en chef de l’organe pour en indiquer la vraie teneur (Pi-p-eau) (je ne veux pas manquer une occasion de rigoler, même sur des sujets sérieux).
Le rectangle noir soulignait plus qu’il ne cachait. Lieu de tous les fantasmes, je ne doute pas qu’il était parfois plus excitant que ce qu’il dissimulait. C’était un jeu de rôle entre la presse à scandale (ou masculine),la censure et le lecteur.
Le flou, au moins dans tes exemple, est laid et agressif. Il y a une grande violence dans la brutalité et l’absence de subtilité de ces flous.
Est-ce parce que aujourd’hui, pour que la transgression soit crédible, il faut que la violence soit présente dans la mise en scène de l’image?
Le floutage n’est qu’une petite partie de l’iceberg liée au besoin de montrer de l’image pour rendre crédible. Il y a aussi ces reportages vidéo où l’on essaie de préserver l’anonymat, sans jamais y réussir totalement. Des voix transformées, mais l’on montre des silhouettes, des mains, des pieds, des vêtements, des lieux qui comporte tous des indices permettant aux personnes qui connaissent le témoin de finalement le reconnaitre. Des personnes à faibles revenus, par exemple, n’ont les moyens de changer de tenue pour l’interview, cette veste si particulière, ce bijou, ces chaussures usées, etc. des marqueurs d’identité.
Le « off » devrait s’imposer, mais ce n’est pas assez sexy, donc on montre… et l’on fait prendre des risques aux personnes qui témoignent, dictature télévisuelle.
Je me demande dans quelle mesure le floutage n’excite pas davantage encore la curiosité des lecteurs en leur laissant supposer qu’on leur cache quelque chose de honteux, frauduleux, scandaleux… Ce masque est destiné à être arraché et l’identité de la personne concernée révélée, alors qu’il fait mine de vouloir la préserver.
La principale raison du recours au masquage/floutage est l’interdit juridique. Que le bandeau noir ait pu faire office de signal à une certaine époque, en particulier dans ses usages liés au sexe, peut se comprendre. Ce qu’il faut en revanche apercevoir, c’est l’explosion du floutage dans la période récente, essentiellement lié à la protection de l’identité (donc nettement moins excitant), qui s’explique à la fois par l’inflation de la préoccupation juridique, et par la multiplication des reportages ou des documentaires impliquant le témoignage des anonymes. Les mêmes, il y a 20 ou 30 ans, n’auraient pas forcément vu leur identité protégée. Le réflexe est aujourd’hui systématique (et se combine en effet avec diverses techniques de filmage: coupe au niveau du torse, plan sur un détail, etc…). Cette hyperprésence explique que le spectateur s’est progressivement habitué à ces artifices de présentation, repris jusque dans le journal télévisé.
Je n’arrive pas à retrouver les originaux, mais il était assez drôle de voir la même image (un selfie coquin d’une secrétaire au Parlement bernois, licenciée pour la diffusion d’icelui) floutée différemment par les journaux US et les journaux suisses. Les premiers floutaient le téton, tandis que les seconds floutaient le visage…
Bonjour et très belle année à toutes et tous.
A propos du floutage, je me suis toujours demandé pour quelle(s) raison(s) il est parfois de rigueur de flouter les tétons d’une femme seins nus, alors même que le reste du sein et son visage apparaissent en clair? Les seins étant à la fois le symbole de la maternité et un caractère sexuel secondaire, je me demandais si, ce faisant, on considère qu’il est acceptable de dévoiler le caractère sexuel secondaire (le sein) mais inacceptable d’en dévoiler la partie maternelle et nourricière (le téton)?
Pardonnez cette question de béotien mais jusque là je n’en ai toujours pas compris la raison. Merci
Question pertinente. La loi ne définit pas précisément ce qui est ou non pornographique, laissant les juges apprécier au cas par cas. L’exercice du masquage pour raisons juridiques correspond donc forcément à une approximation, une interprétation par l’éditeur. Ce qui explique les différences, qui peuvent être importantes. Car il y a plusieurs types de masquage: certains peuvent être très extensifs, comme l’exemple ci-dessus (“Trois actrices pornos défendent la liberté du net”), où la poitrine est entièrement couverte. D’autres cas, comme les magazines érotiques (ou leurs publicités), vont souvent réduire au minimum le cache (ou le remplacer par une étoile, un coeur…). Ensuite, c’est du cas par cas: l’affiche de Sin City 2, avec Eva Green, a par exemple été censurée par la MPAA pour téton apparent. L’affiche a donc été corrigée – mais la différence ne saute pas aux yeux (si j’ose dire): http://www.konbini.com/fr/entertainment-2/affiche-eva-green-sin-city-censuree/
Le floutage est motivé par des contraintes juridiques, certes, mais avec son extension jusqu’à la caricature (enseignes d’hypermarché, étiquette sur la bouteille de coca), on se demande si le floutage n’est pas en train de devenir quelques chose de signifiant: le signe d’un « effet de réel », qui donne à un reportage anodin l’épaisseur et la crédibilité du grand documentaire. A ce titre, le floutage est à rapprocher de la séquence en caméra cachée, qui est devenue un passage obligé du documentaire.
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