Les actions des militants climatiques s’adaptent à une réception atone. Le 11 octobre dernier, la professeure Julia Steinberger, coauteure du rapport du GIEC, se laissait arrêter lors d’une action de désobéissance civile. Un avertissement qui a laissé les grands médias de marbre. Les mêmes ont en revanche accueilli avec émotion le geste de deux activistes du mouvement Just Stop Oil, qui ont aspergé de soupe à la tomate les Tournesols de van Gogh à la National Gallery de Londres.
Valeur sacrée entre toutes de l’Occident, l’art est longtemps resté à l’abri de l’action militante. C’est pourtant cette sacralité qui a fait choisir les Tournesols, œuvre parmi les plus célèbres d’un peintre bien connu du grand public. Quel rapport entre van Gogh et les industries fossiles? Pourquoi agresser un tableau qui n’a fait de mal à personne? La réaction des grands médias et de nombreux internautes sur les réseaux sociaux a été la condamnation d’un geste jugé gratuit, incompréhensible et irresponsable.
Ce comportement avait précisément été anticipé par les activistes. «Vous souciez-vous plus de la protection d’un tableau que de celle de la planète ou des gens?» demandent les militantes. Bonne question, qui situe très exactement ce qui fait problème dans notre rapport à la crise climatique.
En France, la grève des raffineurs se heurte à la même incompréhension hautaine, doublée d’un rappel touchant à la morale et aux grands principes. En rationnant le carburant, ne risque-t-on pas de mettre en danger la vie de blessés qui doivent accéder à des soins d’urgence? – s’exclament les mêmes qui approuvent en silence le sabotage de l’hôpital public. Pour les partisans du statu quo, les expressions de protestation sont toujours inadéquates, n’atteignent jamais leur objectif et ne font que desservir la cause.
Soyons sérieux. Les alertes des militants n’ont qu’un but: sortir de l’inaction. On notera que le geste des activistes a été soigneusement calibré pour ne provoquer aucun dommage (le tableau de van Gogh est protégé par une vitre, et n’a pas souffert de la projection). Pour secouer la léthargie mortelle qui engourdit les sociétés développées, tous les moyens sont bons. L’art n’a qu’un rapport éloigné avec les énergies fossiles? Peut-être, mais l’introduire dans la discussion questionne nos hiérarchies de valeurs et les ouvre bien au-delà des débats techniques. Et si c’était par là qu’il fallait commencer?
9 réflexions au sujet de « La cause et les Tournesols »
Est ce que ce ne serait pas aussi un geste artistique ? Dans le sens où l’art d’aujourd’hui vise à donner un message et dans le sens où également il y a de plus en plus un discours sur le discours. Il s’agirait ici de faire une œuvre d’art à partir d’une œuvre d’art.
Reste à savoir si ce genre d’action a une utilité ?
Il n’y a à ma connaissance pas d’éléments dans les commentaires de Just Stop Oil qui vont dans le sens de la revendication d’un geste artistique. En revanche, il y a bien une contamination de l’acte militant par le contexte artistique sous l’angle de la réception – comme en témoigne votre question et de nombreux commentaires en ligne. Le rapprochement de la projection de soupe avec les sérigraphies Campbell’s Soup Cans de Warhol ou l’aspect de la dernière anomalie climatique sur une carte de l’Europe du Nord sont des exemples d’une relecture esthétique du geste militant:
https://twitter.com/xr_cambridge/status/1581282638991872000
Merci André, enfin un propos un peu nuancé sur cette action. Je pense également que l’art, qui a parfois des actions arrogantes et envahissantes dans l’espace public (JR, McCarthy, Koons…), ainsi qu’une valeur financière de spéculation invraisemblable, s’expose aussi à ce type d’actions / retours de manivelle. Et c’est assez sain, à mon avis.
Yes!
Si l’on titrait ‘adolescent dans un musée verse de la soupe sur une plaque de verre au nom du changement climatique’, à part peut-etre dans la section performance de Art News, je doute qu’on obtienne biens des cliques. C’est un simulacre de politique pour la génération Instagram, rien de bien fascinant en ce qui me concerne.
Le model activiste ‘à l’ancienne’, qui consistait à faire parler de soi, est aujourd’hui trop difficile à distinguer du modèle ‘influencer’ pour apporter grand chose aux grandes causes. S’il continu de nous atteindre c’est surtout par la grace d’une sphère médiatique ‘mainstream’ qui veut sa part de l’ ‘outrage economy’:
La droite ‘Valeurs Actuelles’, apparament lassée de ricaner de Greta Thunberg, attendait justement du nouveau pour raviver sa guerre culturelle, trait d’union indispensable entre ceux qui votent et ceux qui profitent. Le centrisme ‘radical’ y trouvera sans doute l’occasion de jouer les hommes forts, ajoutant peut-être les lycéens écologiste aux Islamo-gauchiste dans sa liste d’adversaires qui ne mangent pas de pain mais qui font de l’audimat. La gauche à grand tirage ne manquera pas de s’exprimer sur les priorités relatives de la culture et de l’engagement. Est-ce que l’action permettra d’informer quelques troglodyte resté ignorant de la crise climatique, parait beaucoup plus incertain.
Warhol 1 – Van Gogh 0 !
La spectacularisation ne fait pas réfléchir, elle occupe de l’espace médiatique et fabrique du commentaire sur l’acte lui-même. La méthode loupe sa cible dans son inversion et le discours passe au second plan.
La suffragette Mary Richardson est restée célèbre pour la lacération du Vélazquez (également) à la National Gallery de Londres en 1914 , mais ça n’aura servi à rien.
La remise en question des hiérarchies ne se pose pas, la destruction partielle ou complète d’un tableau ne peut rien changer, au regard du problème de la prise de conscience de l’avenir de la planète, c’est parfaitement anecdotique.
C’est rare que l’on soit d’accord avec tous les commentaires, surtout lorsqu’ils sont regardent l’evenement avec des points de vue differents… Et pourtant c’est mon cas ici ! Je crois que meme Rp a raison, car il y a des actes qui ne fonctionnent que si on ne les revendique pas ! En se mesurant a « l’Art » (les oeuvres les plus connues dans les musees les plus connus) dans une mise en scene tres travaillee, y compris couleurs et choix des « modeles » (si j’ose dire) cette organisation revele ce qu’elle voudrait etre… un desir de legitimite et de reconnaissance terriblement maladroit… Pour etre gentil! Comme si le probleme de la pollution et de la destruction des conditions de vie sur terre n’etait pas suffisament serieux et avait besoin de l’association, meme negative, de Van Gogh ou de Vermeer… Qui doivent bien rire de la ou ils sont: Quelle auto-derision ! Meme involontaire… Pendant ce temps les activistes de la protection de l’environnement sont la categorie, avec les journalistes, de gens les plus victimes de harcelement policier et d’assassinats politiques deguises en accidents.
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