Parmi les essais qui composent Mythologies, Roland Barthes a retenu la crue de la Seine de janvier 1955 (7,10 m à Paris-Austerlitz). L’édition illustrée proposée en 2010 par Jacqueline Guittard reproduit le reportage de Paris-Match, une des sources du commentaire, qui permet de découvrir la permanence des motifs et du traitement de la catastrophe naturelle.
Barthes souligne la visibilité paradoxale de «la crue qui a bouleversé l’optique quotidienne». Le recours médiatique à des formats comme la prise de vue aérienne confirme, aujourd’hui comme hier, la difficulté de rendre compte d’une métamorphose qui emporte avec elle les repères qui permettraient d’en mesurer la progression – et qui rendent si indispensable le fameux Zouave du pont de l’Alma, outil rituel d’une comparaison pourtant faussée depuis la reconstruction du pont en 1970.
Mais une différence nette sépare la lecture de l’événement par le sémiologue et le tableau composé par la confluence des témoignages individuels sur les réseaux sociaux. Pour Barthes, qui met en avant les aspects ludiques de la décomposition du paysage, la lutte contre les éléments ou la dimension de la solidarité, le storytelling de l’inondation «a participé de la Fête, plus que de la catastrophe». Confronté à la médiation journalistique perçue comme la construction d’un récit, la vision de l’intellectuel reste distante, structurale, esthétique.
Telle n’est pas l’impression que m’a laissé la manifestation de l’événement sur Facebook ou Twitter, restitué pour l’essentiel par de petits groupes de photos autoproduites ou par des liens vers les tableaux de mesures de Vigicrue (peu de mèmes ou de caricatures).
A l’évidence, ma perception a été influencée par la localisation de mon habitation, à 200 mètres du fleuve, et j’ai moi-même participé à la documentation des effets de la crue sur mon voisinage en Seine-et-Marne. Il n’en reste pas moins que ces témoignages multipliés au fil des heures et les conversations qu’ils suscitaient, à la visibilité augmentée par les algorithmes de sélection, traduisaient l’inquiétude, l’empathie ou la sollicitude plutôt que le divertissement.
Telle est bien la conséquence de la démédiatisation de l’information sur les réseaux sociaux, particulièrement perceptible ces dernières semaines avec les images des manifestations ou des violences policières: favoriser une proximité nouvelle, qui n’est plus tributaire de la pseudo-neutralité de l’information professionnelle, mais qui tire son efficace de la contiguïté avec l’événement.
3 réflexions au sujet de « La crue sur les réseaux sociaux: la proximité de la démédiatisation »
Vous employez le mot « métamorphose », cela m’a fait penser à un plan (une péniche près de Notre-Dame) de la petite vidéo mise en ligne sur mon blog le 4 juin dernier.
Il est vrai qu’il y avait aussi une marée d’iPhone et d’iPad ces jours-là (et quand même quelques appareils argentiques)…
Bonsoir, vous évoquez la «médiation journalistique» puis vers la fin de l’article «la démédiatisation de l’information», est ce le même concept inversé ? Merci.
@Christophe: Précisément! Le témoignage sur les RS est sans intermédiaire, ce qui constitue une modification de l’énonciation. Au lieu de s’appuyer sur la revendication d’objectivité ou de neutralité médiatique, il tire sa légitimité du caractère engagé de la participation à l’événement.
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