Passif il est pensif

Pas facile de changer l’image. Dans son numéro du 2 août, L’Obs associe à son titre de Une, «Etre un homme (après #Metoo)» une œuvre empruntée à la photo d’art: la série «Mes frères» d’Hervé Lassïnce, qui illustre l’ensemble du dossier. Cette image et son commentaire suscitent l’agacement sur Twitter. Sophie Gourion, ex-conseillère au ministère des droits des femmes, juge cette couverture «pathétique»: «À chaque avancée vers l’égalité, il y a toujours des hommes qui se sentent menacés et se demandent comment exister après ça.»

La photo questionne bel et bien les stéréotypes de la masculinité. Ce sont les intentions de la rédaction qui sont sujettes à caution: s’agit-il d’une image qui, dans la tradition de l’iconographie anti-féministe, récemment réactivée par le magazine réactionnaire Causeur, ridiculise la perte de virilité des hommes? Après des années de propagande masculiniste, véhiculée par des auteurs en vue comme Zemmour ou Houellebecq, «Etre un homme après #Metoo» peut parfaitement se lire comme une nième lamentation sur les effets de la cabale féministe.

En réponse à ces soupçons, Pascal Riché est obligé de rappeler le soutien du magazine au mouvement #Metoo, et précise que l’ortholexie de l’image est «ironique». L’affirmation de ces bonnes intentions ne suffit pas à désamorcer la critique. Outre un groupe d’articles qui mêle maladroitement éducation des garçons, stage de masculinité et aperçu sur le mouvement mysogine des Incels, la focalisation sur le sort des hommes semble bien une préoccupation de mecs.

Dommage. Comme le fait remarquer Olympe et le plafond de verre, la photo de Une était peut-être la meilleure part du dossier: «Tout le monde a vu dans cette photo l’idée que l’homme dont la femme s’émancipe se retrouve perdu et que son air, et surtout celui du chien, le montre comme quelqu’un qui se sent victime. Ce n’est pas du tout ce que j’y vois. Je trouve au contraire que cette couverture est le signe, qu’enfin, la lame de fond féministe de ces dernières années va peut-être arriver à toucher les hommes.»

Témoignage intimiste d’un quotidien altersexuel, l’œuvre de Lassïnce n’était pas destinée à incarner la dévirilisation. Ce qui est passionnant est d’observer comment sa recontextualisation par le titre de L’Obs provoque la mobilisation des stéréotypes de genre.

Poser la question de la masculinité à cette image réveille les schémas antagoniques, dont la photo semble prendre malicieusement le contrepied. Au-delà des détails qui attirent l’œil, comme le chien ou les fleurs, la seule présence d’un homme nu dans l’espace domestique d’une cuisine, ou l’absence d’un personnage féminin, fonctionnent comme une invitation à la surinterprétation. L’élément-clé de la lecture de l’image est la passivité du personnage, qui contredit des siècles de virilisme conquérant, et fait endosser à l’homme le rôle traditionnellement dévolu à la femme.

Derrière cette Une, c’est tout notre imaginaire du masculin et du féminin qui défile. Révélatrice de la permanence de nos schémas sociaux, et de la difficulté à les remettre en cause, cette image – ou plutôt sa lecture, réorientée par un titre provocateur – pointe du doigt tout ce que le dossier a oublié de traiter.

9 réflexions au sujet de « Passif il est pensif »

  1. Bof, cette photo est vraiment quelconque… : quant au dossier auquel elle renvoie, il y a longtemps que je n’achète plus cet hebdo devenu ultra-mollasson dans ses engagements, proclamés à une certaine époque, « de gauche ».

    La « couv » est néanmoins parlante dans sa répartition des sujets traités : à part une allusion à Benalla (juste la mention du nom), la politique semble totalement absente de ce magazine qui offre ici une sorte de racolage très people.

    Ce serait amusant d’avoir l’opinion d’Aude Ancelin à ce sujet !

  2. Elle est sympa cette photo, ni excessivement dramatique ni complaisante, et puis au moins, pour une fois, un homme a poil, pas une femme a poil… Devrions-nous surinterpreter la « surinterpretation »?

  3. On devrait lancer d’autres « Moi aussi! »

    Comme, par exemple:

    – Moi aussi j’ai harcele ma stagiaire
    – Moi aussi ma femme (ma copine) m’a quitte/m’a trompe
    – Moi aussi je n’arrive pas a l’oublier

    On mettrait ca en musique, en s’inspirant de Gainsbourg. Presque chacune de ses chansons ferait un excellent « Me too ».

    Apres ca on pleurerait un bon coup tous ensemble. Sans s’inquieter des puritains pisse-froid :)

  4. Je m’interrogeais sur le rôle du texte, dans sa disposition, où le nom du journal pousse le personnage en avant (métaphore ?) et le titre, sous la table , dans l’obscur , comme on dirait…. sous la ceinture, remet l’homme à ses bas instincts ? Le chien (la chienne ?!) resterait il , comme utilisé en peinture, le symbole d’une fidélité. ? et les roses fanées, ce temps révolue de la masculinité, « vanitas vanitatum omnia vanitas » ?

  5. Question intéressante. Les couvertures de magazine sont composées comme des affiches, une forme qui a connu une évolution majeure avec l’intégration de la photo, en cassant l’unité graphique du dessin, et en accentuant la différence de perception entre image et typo. Dans ce système, la règle implicite est que les deux éléments de la composition, quoique juxtaposés, ne sont pas lus de la même façon. Le positionnement du texte résulte en particulier de choix qui visent à préserver la lisibilité de l’image, et l’associent à des zones « faibles » (à-plats, ombres, etc.). Sauf exception, il paraît donc contradictoire d’attribuer une signification aux caractéristiques formelles des énoncés. Je n’ai en tout cas pas repéré de commentaire de cet aspect de la couverture de L’Obs.

  6. bizarre que le type ne soit pas tatoué, non ? (c’est peut-être le cas du chien, tu me diras…) :°))

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