Désolé pour les chaînes d’info, mais les commentaires répétitifs des plateaux téléguidés n’intéressent plus grand monde autour de moi. Ce sont désormais les vidéos, ponctuation rituelle des “Actes” hebdomadaires des Gilets jaunes, qui sont les principales productions médiatiques que l’on discute le samedi soir – sources d’inquiétude ou de joie, sujets de polémique et de conflits d’interprétation.
Après les motards agresseurs-agressés de l’Acte 7, qui avaient suscité plusieurs lectures contradictoires en fonction de la contextualisation de la scène, le week-end de l’Acte 8 a été marqué par la porte d’un ministère fracassée au chariot élévateur, et surtout par le manifestant boxeur de gendarmes – une vidéo qui a donné pour la première fois l’occasion d’une lecture allégorique, au-delà de la seule valeur de preuve documentaire de l’enregistrement.
#GiletsJaune très forte mobilisation à #Paris le peuple en colère force les barrages de police #Acte8 #ActeVIII #05janvier #05janvier2019 pic.twitter.com/BSnVj6glKL
— LINE PRESS (@LinePress) January 5, 2019
Contrairement à la vision complotiste entretenue par certains journaux, c’est bien l’épuisement du récit médiatique, enfermé dans le ressassement d’une violence univoque, qui encourage ce déplacement vers l’information alternative. Et contrairement au schéma classique opposant professionnels et amateurs, les vidéos élues par la conversation ne sont pas des enregistrements cahotiques au smartphone, mais d’excellents rushes de reportage, proposés par de jeunes journalistes très présents sur le terrain, comme Clément Lanot ou Line Press, qui tirent leur épingle du jeu en diffusant leurs contenus en libre accès sur les réseaux sociaux.
A en juger par le filtre de la conversation, l’événement de l’Acte 8 est un bref enregistrement d’un manifestant enjambant la rambarde de la passerelle Leopold-Sédar-Senghor, en face du Musée d’Orsay, qui se met en position de boxe pour frapper à coups redoublés un gendarme encadré par ses collègues, qui reculent jusqu’à l’entrée du pont (voir ci-dessus). On découvrira quelques heures plus tard qu’il s’agit d’un boxeur professionnel, qui s’est illustré le même jour par un autre acte de violence, en tabassant un gendarme à terre.
Filmée avec un habile travelling qui suit le mouvement, la scène d’un combat à mains nues d’un manifestant qui fait reculer un militaire armé est spectaculaire. Elle omet toutefois de montrer l’action qui a causé cette riposte. Les réactions fusent, avec les lectures contradictoires typiques de l’opposition des camps. Celui de l’ordre fustige sans surprise une «attaque aussi lâche qu’intolérable», et promet un triste sort judiciaire à l’agresseur. Celui de la révolte réplique par d’autres vidéos de violences exercées par des policiers, et voit ce combat comme une victoire symbolique – celle de David contre Goliath.
J'ai plus d'indulgence pour la violence du boxeur que pour celle du décoré de la légion d'honneur à 10 contre 1. Le chantage à la morale à sens unique je m'asseoir dessus. Vive David. À bas Goliath.
— Praxis (@Jules_Praxis) January 6, 2019
Ce nouveau récit, que la scène des motards avait déjà fait apparaître, atteste le passage à une lecture allégorique, qui n’est pas fréquente dans le cas de la vidéo. Il témoigne également d’un délitement de l’idée traditionnelle d’une légitimité de la violence, lorsqu’elle est exercée par les forces de l’ordre.
La montée des actes d’agression volontaires de la part des Gilets jaunes, en réponse à la surdité gouvernementale, est évidemment le signe d’une escalade particulièrement grave et dangereuse. Ajoutons que ni les manifestants, constamment provoqués, ni les forces armées, poussées à bout par leur hiérarchie, ne sont coupables d’une situation dont la responsabilité doit être attribuée au seul chef de l’Etat, qui a choisi la détestable tactique du pourrissement.
Quoiqu’il en soit, la faillite de médias pris de vitesse par l’événement a créé un rapport nouveau à l’information. Car ce ne sont plus les seuls militants, ou une part résiduelle de complotistes, qui se défient du récit officiel, mais une partie désormais largement visible du public qui, faute de mieux, bricole par ses propres moyens son information, reconstituée à partir des vidéos et de la conversation en ligne. Un apprentissage qui ajoute à la crise politique une crise médiatique, dont les acteurs n’ont pas encore pris la mesure.
12 réflexions au sujet de « David et Goliath. Vers l’icône vidéo avec les Gilets jaunes »
Très juste. La démultiplication des smartphones et des vidéos qu’ils permettent transforme chaque participant à une manifestation (pour le moment hebdomadaires…) en témoin privilégié de ce qui advient, vu de l’intérieur ou latéralement voire depuis un appartement, et non, comme avant, provenant de photographes ou journalistes le plus souvent à l’abri derrière les forces de l’ordre.
Le smartphone sert ainsi de preuve de la violence déchaînée, d’un côté ou de l’autre, et chacun, jusqu’au plus haut degré de l’État est à même de constater qu’elle n’est pas univoque.
On peut remarquer que le policier boxé ne réplique pas et que sur un ring il ne combattrait pas dans la même catégorie de poids que son adversaire du jour…
PS : une petite coquille sur « contamment provoqués ».
Il est clair que l’absence de réplique du gendarme a évité un drame… Mais la lecture “giletiste” insiste sur la disproportion entre l’attaque solitaire du boxeur, opposé à un groupe de 4 militaires (en réalité, ce que l’angle de la caméra dissimule en partie, c’est l’avancée d’un groupe de manifestants, qui contribue à faire reculer les gendarmes).
(Merci pour la correction.)
(en réalité, ce que l’angle de la caméra dissimule en partie, c’est l’avancée d’un groupe de manifestants, qui contribue à faire reculer les gendarmes
Merci d’avoir précsé ce détail qui est loin, très loin, d’en être un.
Le policier ne replique pas, disons pas « trop » (juste un coup de matraque manque), justement pour la meme raison qui les fait reculer: Un geste de trop et il risquait de subir les foudres de la foule.
J’admire la retenue du boxeur qui du debut a la fin ne frappe que le bouclier, eliminant ainsi d’emblee tout risque de faire le moindre mal a la personne du policier, qui recule non sous la force des coups, qui a aucun moment ne touchent son corps, mais sous la pression de la volonte de cet homme, qui n’a ni touche le corps du policier ni abime le moindre materiel. Chapeau bas, monsieur.
Ce carnet devient de plus en plus passionnant.
Un complément qui confirme mon analyse d’une interprétation allégorique de la vidéo: sa lecture enthousiaste par un Gilet jaune, publié par le site lundi matin. « Il est donc là le vrai scandale: ce samedi nous n’étions pas faibles. » https://lundi.am/Hommage-a-Christophe
Une suite tout aussi inhabituelle: la vidéo d’explication de Christophe Dettinger, avant son arrestation ce matin: https://www.facebook.com/bernard.delicieux/videos/10215460924373827/
Je note également que la hiérarchie de l’information du 13h de F2 aujourd’hui a reproduit la mise en parallèle de la conversation du week-end, en faisant suivre la séquence du boxeur par celle des brutalités du policier de Toulon Didier Andrieux…
La bataille des vidéos continue… Une lecture analytique qui permet de reconstituer le film des événements jusqu’à la séquence de la passerelle… https://www.youtube.com/watch?time_continue=272&v=-NTwurUqUwo
@Laurent Fournier : Je compte au moins trois impact dans le casque, hors bouclier donc. Pour autant je ne comprend pas les deux jours d’ITT
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