Quand le document fait illusion

Le Parisien était-il le meilleur canal pour accueillir l’annonce par le ministre de l’éducation, la veille de la rentrée, du protocole allégé destiné à laisser circuler le virus à l’école? Deux aménagements successifs et une grève des personnels plus tard, on apprend que Jean-Michel Blanquer avait donné l’interview de son lieu de vacances à Ibiza, soulevant une vague de protestations.

En marge du chaos scolaire, l’épisode pose une question médiatique. Le Parisien a-t’il omis délibérément cette indication, prêtant ainsi la main à la cachotterie du ministre? Le quotidien a tenu a assurer que l’entretien avait été effectué par téléphone, et que ses journalistes ignoraient où se trouvait leur interlocuteur (dont le numéro avait été opportunément maquillé par ses services). Manque de chance, la rédaction a choisi d’illustrer son article par une photographie réalisée par Olivier Corsan le 12 novembre 2021, à l’occasion d’un précédent entretien. Reprise en Une de l’édition du 3 janvier, cette image laissait penser que le ministre se trouvait à son bureau.

«Dans beaucoup de journaux, les interviews faites par téléphone sont illustrées par des photos d’archives, je n’y vois pas de malice du Parisien», estime le photographe, interrogé par Libération. «Je n’avais pas le sentiment qu’on prenait au piège le lecteur», confirme de son côté le directeur des rédactions Jean-Michel Salvator. Représentative d’une opinion répandue, cette vision lénifiante n’est pas partagée par la Société des Journalistes du Parisien, qui a réclamé que la mention «photo d’archive» figure à chaque fois.

Il est peu probable que ce vœu pieux s’applique de façon systématique. Pour des raisons pratiques, économiques ou expressives, le recours à une illustration non strictement documentaire représente en effet aujourd’hui une part majeure de l’iconographie publiée par les organes d’information. Ce choix serait sans conséquences s’il était indiqué en légende. Mais l’absence de précision sur la nature de l’image permet de bénéficier de la présomption documentaire qui s’applique par défaut à l’illustration de presse. Dans l’édition du 15 novembre 2021, première occurrence de la photo, en l’absence de toute mention de date, le lecteur déduit de la présentation de l’article la simultanéité de l’entretien «exclusif» (précision valorisante en capitales) et du portrait du ministre. Pourquoi appliquerait-il un raisonnement différent le 2 janvier?

Les réactions à l’article du Parisien montrent que la photo a effectivement contribué à tromper le lectorat. Il est regrettable que tant de professionnels prennent cette licence à la légère, alors même qu’ils y recourent de façon intéressée.

Une réflexion au sujet de « Quand le document fait illusion »

  1. Une photo du ministre – qui n’a pas été « remercié » pour autant par son chef élyséen après cette pantalonade sans complexe – posant en paréo ou slip de bain sur le lieu réel de ses « activités aurait pourtant été plus attractive pour le lectorat du « Parisien » que cette image conventionnelle et sempiternelle d’un type assis à son bureau avec des boiseries dans le dos et d’innombrables protocoles sur les bras. ;-)

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