Les identités de Daniel Craig

Limitée par la virtualité de la médiation, la communication numérique est hypersensible à l’information visuelle. Les réseaux sociaux offrent ainsi un excellent terrain pour tester la capacité d’interprétation des signes sociaux. Le 17 novembre dernier, l’acteur Daniel Craig répond à une invitation de Nick Sullivan, pour un publireportage consacré à sa collection de montres Oméga – marque à laquelle le comédien est lié par contrat. Le look conventionnel d’un costume-cravate bleu marine, souligné par une paire de lunettes cerclées, tranche avec la masculinité plus exubérante associée à la dernière incarnation de James Bond et suscite rapidement un flot de commentaires.

Ce contraste ne tarde pas à prendre la forme d’un mème. Opposée d’abord à un visuel de la publicité pour la vodka Belvedere, qui exhibait le corps de l’acteur dans une danse sensuelle, puis à un portrait de Bond tiré du film Spectre, enfin à une paparazzade de 2022 montrant un Craig barbu et fatigué peu après la naissance de sa fille, l’image du comédien cravaté donne lieu à un jeu apprécié sur les réseaux sociaux, basé sur la recontextualisation forcée des différentes variantes, associées à une gamme d’identités. Ce jeu manifeste avec brio la sémiologie de la visibilité sociale, intuition indispensable à la vie en société, mais qui ne fait l’objet que de descriptions partielles, au titre de la communication non verbale, souvent réduite au langage corporel. Le jeu des identités montre que l’interprétation des apparences tient aussi le plus grand compte des informations vestimentaires, ou encore des combinaisons entre les divers registres – expression, coiffure, costume, posture… –, dont la complexité résiste à la classification.

Mais l’élément le plus intéressant que dévoile le jeu des recontextualisations tient à son principe de déclinaison sérielle des métiers, spécialités, comportements, etc., toujours reliés entre eux par un même cadre de référence. Les variantes de l’apparence d’un même personnage invitent à proposer une gamme d’exemples corrélés, l’effet comique provenant de la comparaison entre elles des identités associées aux vignettes. L’articulation d’une image avec une catégorie s’inscrit en effet dans une hiérarchie implicite, qui fait le sel de ces listes. Dans le cas de Craig, l’apparence «Belvedere» ou «Spectre» occupent manifestement le haut du classement, alors que celles du publireportage ou de la paparazzade sont commentées par des identités négatives.

Par ces liaisons subtiles entre apparence et valeur, le jeu des identités trahit la fonction essentielle de la sémiologie de la visibilité, outil de manifestation des hiérarchies sociales. Il documente la signature vestimentaire des activités professionnelles. Il montre également que les signes sociaux ne doivent pas être considérés à l’égal des unités linguistiques, liées à un ensemble fermé de significations, mais plutôt comme des indications relatives, dont la lecture la plus pertinente est celle qui s’effectue par comparaisons au sein d’un même espace de référence. Un mode de lecture représentatif de l’interprétation de la plupart les images.