Alors que je parcours les signalements de mes contacts sur Facebook, je découvre un ensemble iconographique à caractère satirique: le reenactment (action de rejouer un modèle) par des personnes ordinaires de couvertures de romans à l’eau de rose, initialement publié par Cosmopolitan.
Démontrant l’excès et l’irréalisme du genre par la confrontation du dessin et de la photographie, cette série bien réalisée est aussi amusante que pédagogique. Elle participe du vaste mouvement de critique de l’image par l’image, et m’intéresse à plus d’un titre. Je partage donc à mon tour ce contenu sur mon mur et sur Twitter.
C’est lorsque je vois mon signalement retweeté que l’effet de ma recommandation m’apparaît. En laissant figurer ma signature dans le tweet, selon la méthode classique, mes followers contribuent à modifier la perception d’une iconographie que ses connotations à la fois vulgaires et comiques rangent dans la catégorie des contenus “bas” (voir mon billet “Les chats, internet et les équilibres ponctués”). Annoblie par la validation d’un chercheur à statut académique, cette série se voit dotée par mon signalement d’une dignité culturelle et intellectuelle.
Cette transformation s’effectue d’elle-même, à partir de messages implicites imputés par le destinataire, comme l’idée que le signalement correspond à une approbation (ce qui n’est pas toujours le cas), ou que la signature académique suggère une intention sérieuse plutôt qu’une finalité de divertissement (ce que rien ne garantit).
Alors qu’on réserve habituellement l’appellation de microcritique à l’énoncé d’un jugement bref sur des plates-formes spécialisées, on peut constater que les modifications induites par un effet de signature confèrent à un simple signalement des propriétés de valorisation, de caractérisation et d’influence équivalents à ceux produits par la critique institutionnelle. Le choix de consulter ou pas un contenu s’effectue essentiellement à partir du filtre de l’identité du médiateur et de ce qu’on connaît de ses goûts, de ses compétences ou de ses habitudes.
En d’autres termes, on voit bien que l’économie du signalement, telle qu’elle s’organise sur les réseaux sociaux, ne correspond pas à une absence de hiérarchie de l’information, mais au contraire à une restructuration parfaitement perceptible par l’usager, effectuée sur la base de nouveaux critères d’autorité1.
- Camille Alloing, “Vers une approche instrumentale de l’identité numérique. Les attributs identitaires comme structuration de l’environnement informationnel”, in J.-P. Pinte (dir.), Enseignement, préservation et diffusion des identités numériques, Hermès Sciences, Ed Lavoisier, 2014. [↩]
4 réflexions au sujet de « Le signalement, ou comment accélérer la critique »
J’ignore si le présent commentaire apportera – dans son approbation totale de l’article du chercheur – une quelconque autorité supplémentaire à ce qui n’en a sans doute pas besoin ! :-))
Merci! Cela dit, on notera que cette autorité est surtout fantasmatique… ;)
Plus encore que la notoriété académique, la notoriété médiatique influe sur la valeur dans cette économie du signalement. Le succés sur les réseaux sociaux de comptes légitimés « de l’extérieur », sans relation avec l’intérêt réel du contenu, le prouve amplement. Ce fait n’est guère surprenant. Ce qui l’est peut-être plus est cette image « alternative » aux grands médias que conserve les réseaux, alors que l’on peut imaginer que, pour l’essentiel, les gens les plus suivis sur les réseaux sociaux sont aussi ceux qui le sont hors de ceux-ci.
Les commentaires sont fermés.