A l’occasion de la parution de L’image partagée. La photographie numérique (Textuel), je reproduis ci-dessous l’introduction inédite de l’ouvrage.
Peut-il y avoir plus beau cadeau, pour un historien, que de vivre un des ces moments d’accélération producteurs d’histoire? A la fin des années 1990, je termine ma thèse de doctorat, consacrée à une étape décisive de l’histoire de la photographie: celle de la mise au point du gélatino-bromure d’argent, ou plaque sèche, dans le dernier tiers du XIXe siècle, qui permettait l’instantané et ouvrait la voie à la photographie familiale et au photojournalisme1.
A ce moment, les prémices de la transition numérique de la photographie commencent à se manifester. Après avoir compulsé des pages et des pages d’archives qui décrivent avec enthousiasme la révolution de la pratique photographique d’il y a un siècle, en voilà une qui me déboule sur les genoux!
Un historien peut-il observer le présent? Si l’histoire n’est pas seulement la science du passé, mais l’étude de ce qui change, comme l’énonce Marc Bloch, alors le changement, qui crée du passé en produisant le nouveau, est la fabrique même de l’histoire2. C’est avec la conviction d’assister à l’histoire en train de se faire que j’ai consacré mon attention à l’évolution rapide des pratiques visuelles.
Cet exercice n’est pas sans difficulté: en l’absence du recul que fournit la perspective historique, l’observateur peut être tenté de conclure trop hâtivement. Cependant, même l’erreur est significative. Tel jugement effectué à chaud révèle, quelques années plus tard, l’existence de biais qui n’étaient pas forcément perceptibles, et fournit des indications précieuses à l’examen rétrospectif. Armé du nouvel outil que sont les blogs, précieux carnets d’enregistrement et de discussion, je n’ai jamais regretté d’avoir tourné mon regard vers le présent, tant cette observation m’a apporté d’enseignements.
Le carnet d’une expérience
«La photographie numérique est-elle une révolution ou une évolution?» s’interrogeait en 2007 William Ewing, alors directeur du musée de l’Elysée de Lausanne, en ouverture de l’exposition “Tous photographes!”, première manifestation consacrée aux nouvelles pratiques visuelles. La réponse à cette question est collective et historique. L’archivage au jour le jour des traces de la transition numérique m’a appris qu’une révolution n’est pas un fait objectif, mais l’élaboration d’une qualification elle-même largement évolutive, qui s’effectue à travers la collection des curiosités médiatiques, éditoriales ou scientifiques, productions symboliques qui accompagnent les évolutions des pratiques et en modifient la perception.
Si tant est que la transition numérique de la photographie puisse être qualifiée de révolution – ce que seul l’avenir confirmera –, celle-ci apparaît comme un récit chaotique, constitué d’éléments hétérogènes et d’avis contradictoires. Pendant la quinzaine d’années qui nous sépare de l’apparition des premiers compacts numériques grand public, notre façon de comprendre et de décrire ce phénomène a changé radicalement à plusieurs reprises. Seule la discussion à chaud de ces manifestations évanescentes m’a permis de noter ces revirements.
En proposant une sélection de mes principales contributions depuis 2004, le présent ouvrage restitue le carnet de notes de l’expérience – au double sens de l’expérimentation et de l’événement vécu – des commencements, la période de la transition de l’image numérique. Avec ses chausses-trappes et ses errements, qui portent témoignage de la constitution aléatoire d’une légende en train de s’écrire. Mais surtout, avec l’empreinte d’un contexte, qui permet de remonter le fil de l’élaboration du récit.
Les plus anciens de ces textes paraîtront déjà lointains, par leurs préoccupations désormais étranges. C’est pourtant cette étrangeté même qui forme la principale leçon historique du cas. La production du nouveau n’est pas le fruit de techniques inédites, ni même des pratiques qui s’en emparent, et qui peuvent rester des événements parfaitement silencieux. Le nouveau n’apparaît qu’à partir de cadres théoriques qui donnent une signification à certaines modifications, considérées comme décisives à l’échelle d’une société. Comme l’opposition du Moyen-Age et de la Renaissance, le nouveau est un événement de discours, une manière de qualifier un phénomène, le résultat d’un effort de caractérisation symbolique.
L’identification du nouveau est l’un des ressorts les plus fondamentaux des mythologies modernes. C’est pourquoi un événement comme la transition numérique s’est accompagné de nombreuses tentatives d’élaboration théorique, dès ses prémices, voire avant même qu’on ait pu constater de réelles évolutions des pratiques. Dans le cas de la photographie, la révolution numérique a été racontée avant même qu’elle se produise – ce qui n’est pas la moindre explication au caractère le plus souvent hasardeux de ces prévisions imprudentes.
Dès le début des années 1990, alors que le récit médiatique bruisse des “autoroutes de l’information”, plusieurs ouvrages alertent sur ce qui est présenté comme la «fin de la photographie3». Fascinés par la nouvelle versatilité de l’image qu’incarnent les logiciels de retouche4, leurs auteurs annoncent la débâcle d’un «régime de vérité5» qui aurait été le propre des technologies argentiques et prédisent l’avènement d’une ère du soupçon généralisé.
Cette interprétation subit un démenti cuisant lors de la première confrontation du grand public avec des images désignées comme numériques, en 2004: les photographies d’Abou Ghraib, dont l’authenticité ne sera jamais remise en cause. En revanche, cet épisode va contribuer à étayer le récit suivant: celui de la concurrence des amateurs. Développée cette même année à l’occasion d’une table ronde au festival du photojournalisme de Perpignan6, cette thèse connaîtra un essor remarqué après les attentats de Londres en 2005. Dans le contexte de la revendication d’un “journalisme citoyen” par les militants du web participatif, elle trouve une oreille attentive chez les professionnels inquiets de la dégradation du journalisme, et constitue jusqu’au début des années 2010 l’une des légendes les plus tenaces de la période.
L’attente du changement
Alors que le modèle de la fin de la photographie proposait une explication technique d’une mutation globale, celle de la concurrence des amateurs prend un tour plus socio-économique et se focalise sur l’activité presse. Les deux descriptions n’ont aucun rapport entre elles, mais chacune produit un schéma explicatif qui souligne le caractère inédit du phénomène.
Le désir d’identifier à toute force des tournants peut mener à des impasses. Lorsque je relis mes articles du début de la période, ce qui me frappe est l’attente du changement. La révolution annoncée doit forcément se traduire par des mutations visibles. On attend donc de les apercevoir dans les images. Comme la transition numérique, celle du gélatino-bromure d’argent se caractérise par un remplacement du support sensible. Un siècle plus tôt, ce progrès avait engendré un bouleversement de l’iconographie: des mouvements saisis au vol, un plus grand réalisme de l’expression, d’innombrables nouveaux sujets.
Le support numérique apporte-t-il un renouvellement comparable? On a scruté le moindre pixel dans l’espoir de découvrir pareille secousse. Quinze ans plus tard, il faut se rendre à l’évidence. Malgré plusieurs extensions notables, comme celle de l’autophotographie, il n’y a pas eu de révolution des images.
Le défaut d’analyse paraît facile à cerner a posteriori. Si le gélatino-bromure d’argent a métamorphosé le paysage visuel, c’est parce que sa principale caractéristique, la réduction du temps de pose, pouvait se vérifier dans l’image.
Les atouts du support numérique ne sont pas de même nature, et ne contribuent que marginalement à modifier l’iconographie. Comme le montrent les toutes premières applications de l’échantillonnage numérique à l’enregistrement visuel, telles les images du satellite Mariner 4, qui communiquent en 1965 la première vision rapprochée de la planète Mars, l’avantage majeur de cette technologie est sa capacité à transmettre l’image à distance.
La révolution de la photographie numérique est sa fluidité7. La conversion de l’information visuelle en données archivables, modifiables et communicables libère l’image de la dépendance à un support matériel. Il faut réinscrire cette évolution dans la longue histoire des images et se souvenir à quel point leur matérialité a conditionné leur présence dans la société. Après l’étape décisive de la reproductibilité photographique, analysée par Walter Benjamin8, la fluidité numérique franchit un nouvel échelon dans le progrès de la diffusion des images, en leur conférant une appropriabilité infiniment supérieure.
De la versatilité de la photographie à l’effraction des monopoles économiques en passant par ses applications à la téléphonie mobile, toutes les ruptures provoquées par le support numérique peuvent s’expliquer par ce caractère. S’il favorise la multiplication des images, il augmente plus encore leur visibilité, en les faisant bénéficier de toutes les circulations permises par l’état numérique.
Cette transformation comprend aussi des aspects négatifs. Par sa conversion informatique, l’image quitte le territoire des formes mobilisables sans intermédiaire, et rejoint l’enregistrement électronique dans celui des systèmes à lecteur. Sauf à disposer d’un phonographe, il n’est plus possible de lire aujourd’hui un disque 78 tours des années 1940, alors qu’on peut observer directement un daguerréotype, plus vieux d’un siècle. Même s’il faut nuancer cette proximité, l’omniprésence du tirage papier a longtemps conservé à la photographie une accessibilité immédiate, qui a fortement contribué à la popularité de ses usages mémoriels. Que se passera-t-il lorsqu’un changement d’instrumentation se traduira par l’impossibilité d’accéder aux fichiers d’un environnement antérieur? Quoique nous n’en percevions pas encore les contraintes, le basculement de nos imageries vers les systèmes à lecteur constitue une évolution de portée majeure, désormais irréversible.
Au-delà de l’aspect technique, l’observation régulière du phénomène m’a permis d’apercevoir sa dimension profondément ambiguë. Ramenant trop souvent un progrès technique à une avancée irrésistible, le récit historique laisse dans l’ombre la diversité des rythmes d’adaptation et la force des résistances, preuve dialectique de la puissance sinon de la brutalité du nouveau.
De la photographie à l’image connectée
La transition numérique n’est pas la première rupture majeure qu’affronte le champ photographique, où l’évolution technique est une donnée familière. Mais elle est peut-être celle qui a le plus désarçonné les professionnels, tant ceux-ci ont multiplié les témoignages d’impréparation, d’incompréhension ou d’inadaptation. Désignant d’emblée comme “post-photographique” la forme numérique, nombre de spécialistes ont considéré l’ancien paradigme comme une citadelle assiégée, et le nouveau comme un envahisseur indésirable.
La numérisation de l’enregistrement visuel ne trouve pas sa source au sein de la technologie photographique, mais s’applique initialement à l’image électronique. Cette origine exogène alimente la réticence du milieu photographique. Pour passer au numérique, l’appareil photographique doit d’abord devenir une caméra vidéo. Ce changement de nature apparait comme une menace, un dévoiement ou un paradoxe. Cette perception explique la stratégie singulière de la plupart des fabricants au début des années 2000, qui consiste à gommer la mutation pour produire une illusion de continuité. Conservant les principales caractéristiques morphologiques et ergonomiques des outils d’enregistrement, ils entretiennent ainsi la distinction, désormais artificielle, entre appareil photo et caméra.
Tout en profitant des atouts de l’image fluide, un grand nombre d’acteurs s’abstiennent d’en exploiter les nouvelles potentialités, préférant au contraire prolonger un statu quo illustré aussi bien par la pérennité des formats que par la morphologie des outils. A l’aube du XXIe siècle, pendant une dizaine d’années, alors que le support numérique s’impose partout, un journal continue de ressembler à un journal, un appareil photo à un appareil photo, un tirage à un tirage, comme s’il ne s’était rien passé – ou si peu.
De manière emblématique, un festival représentatif des tendances culturelles de la photographie comme les Rencontres d’Arles n’a programmé, durant la période d’émergence des technologies numériques, qu’une seule exposition consacrée à l’irruption des nouvelles pratiques : “From here on”, proposée en 2011 par Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr et Joachim Schmid, fraîchement accueillie par le public des habitués9.
Illustrée par les erreurs stratégiques de Kodak, plus enclin à promouvoir un format alternatif (l’éphémère APS) qu’à exploiter les ressources de ses propres laboratoires de recherche, la résistance des professionnels a un effet inattendu: elle déplace le bouillonnement de l’innovation du secteur photographique vers celui de la téléphonie mobile, qui devient peu à peu l’espace pionnier des nouvelles pratiques visuelles.
Au tournant des années 2010, la révolution de l’image connectée n’est encore perçue qu’avec dédain par les photographes, et avec méfiance par les industriels, peu pressés d’intégrer des capacités communicantes aux outils d’enregistrement classiques. C’est ainsi que l’essentiel des bénéfices de la transition numérique ira finalement aux acteurs de l’informatique, de la téléphonie et du web.
Comme dans d’autres domaines, la coïncidence de l’arrivée du numérique avec la crise du modèle capitaliste fait jouer aux nouvelles technologies le rôle de bouc émissaire de la concentration industrielle et de la dégradation des conditions sociales des sociétés développées, alors que celles-ci résultent de choix politiques et économiques délibérés10. Dans le contexte d’une mutation de grande ampleur des modèles politiques, soumis à la toute-puissance des marchés, toute proposition de changement apparaît désormais comme une menace. Le progrès n’est plus la mesure de la civilisation, mais la sommation à se soumettre à la domination. L’ampleur des défis conjugués non moins que le silence des élites encourage des comportements de repli ou de panique qui réservent le profit des opportunités aux nouveaux entrants, et laissent la plupart des acteurs existants démunis.
Dans le cas de la photographie, ce défaut d’adaptation a ouvert une profonde césure entre amateurs et professionnels, recoupant la ligne de fracture entre nouveaux usagers et acteurs installés – une opposition d’une envergure inédite dans un univers jusque-là relativement homogène. Entre 2004 et 2015, des formes conversationnelles aux selfies en passant par les photomontages ou les gifs animés, l’immobilisme des usages professionnels contraste avec l’inventivité et le développement des usages personnels. L’accueil de la transition numérique pourrait ainsi être résumé d’une formule provocante: révolution pour les amateurs, crise pour les professionnels.
Le comble du paradoxe a probablement été atteint dans le domaine du photojournalisme, où l’on a vu les photographes défendre leur gagne-pain avec l’argument de l’élitisme esthétique, regrettant le manque de discernement des lecteurs prêts à consommer les contenus low-cost des banques d’images. Mais comment réclamer d’un coup l’avantage d’un art invariablement nié par le discours de l’objectivité, alors même que la photographie avait été introduite dans la presse comme un langage universel destiné à être compris par tous?
Contrairement au slogan des années 2000, la transition numérique n’a pas transformé tout un chacun en photographe. Mais elle a étendu comme jamais auparavant les usages de l’enregistrement visuel, grâce à son intégration au sein des outils de communication.
Plus encore, elle a modifié l’accessibilité et l’appropriabilité des images. Alors que les formes visuelles se répartissaient autrefois en contenus publics protégés, le plus souvent inappropriables, et en contenus privés pour l’essentiel invisibles, l’instrumentation numérique a rebattu les cartes en conférant aux uns comme aux autres une accessibilité et une publicité sans précédent, instituant une sorte de république des images à l’égalité radicale.
Sans formation à l’art et à l’iconographie, le sens esthétique reste nécessairement l’apanage des classes favorisées11. En encourageant la diffusion des pratiques visuelles, la fluidité numérique participe à une éducation populaire à l’image. Elle constitue donc un allié du développement du goût et des métiers de l’image. Son apport s’inscrit dans le droit fil des promesses de l’invention de la photographie, qu’elle accomplit mieux qu’aucun autre perfectionnement technique. Nous ne sommes encore qu’au commencement de cette nouvelle étape.
- La Conquête de l’instantané. Archéologie de l’imaginaire photographique en France, 1841-1895, thèse de doctorat d’histoire de l’art, sous la direction de Louis Marin/Hubert Damisch, EHESS, 1999. [↩]
- Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1952 (2e éd.), p. 29. [↩]
- Voir notamment: Fred Ritchin, Our Own Image. The Coming Revolution in Photography, New York, Aperture, 1990; William J. Mitchell, The Reconfigured Eye. Visual Truth in the Postphotographic Era, Cambridge, MIT Press, 1992. [↩]
- Conçu par Thomas Knoll dès 1987, d’abord appelé ImagePro, la première version du logiciel Photoshop est diffusée par Adobe en 1990, destinée aux ordinateurs Macintosh. [↩]
- André Rouillé, La Photographie. Entre document et art contemporain, Paris, Gallimard, 2005, p. 614-617. [↩]
- Dominique Héry, « Colloque Visa. L’avenir du photojournalisme, le malade vit encore! », Le Photographe, n° 1623, novembre 2004, p. 30. [↩]
- Je choisis ce terme, de préférence à “dématérialisation”, souvent employé pour caractériser les contenus informatiques, de manière emblématique, mais néanmoins approximative. Comme chacun a pu le constater lors du crash d’un disque dur ou de la perte d’un support mémoire, un fichier conserve une matérialité dont l’empreinte est certes réduite, mais pas pour autant abolie. Plutôt que d’affirmer que la conversion numérique dématérialise les contenus, il est plus juste de dire qu’elle augmente leur capacité de circulation et de diffusion. [↩]
- Walter Benjamin, “L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique” (édition de 1939, trad. de l’allemand par M. de Gandillac et R. Rochlitz), Œuvres, t. 3, Paris, Gallimard, 2000. [↩]
- Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr et Joachim Schmid, From Here On, catalogue d’exposition, Rencontres d’Arles, 2011. [↩]
- «La technologie numérique a durci les enjeux et accéléré le processus, mais c’est bien la dégradation de la conjoncture économique qui en a été le déclencheur», Sylvain Maresca, Basculer dans le numérique. Les mutations du métier de photographe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 162. Lawrence Mishel, Heidi Shierholz, John Schmitt, “Don’t Blame the Robots. Assessing the Job Polarization Explanation of Growing Wage Inequality”, Center for Economic and Policy Research, novembre 2013. [↩]
- Pierre Bourdieu, Alain Darbel, L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris, éditions de Minuit, 1969. [↩]
3 réflexions au sujet de « L’image fluide »
Bonjour,
Merci pour cet intéressant article.
Juste une remarque concernant votre comparaison de la pérennité des supports. Les 78 tours se lisent sur des platines disques modernes qu’on trouve dans le commerce aujourd’hui à moins de 100 euros, contrairement aux magnétophones à bandes qui ont totalement disparus. Mais là n’est pas vraiment le problème : les supports analogiques sont simples à reconstruire, la technologie est rudimentaire par rapport aux lecteurs de fichiers numériques disparus qu’on ne pourra pas recréer dans l’avenir. Pour l’instant la seule solution de conservation est d’imprimer les photos, mais est-ce l’intérêt de la photo conversationnelle ? Est-ce si choquant de voir ces images se dissiper à la manière d’une conversation orale ?
@Jeffrey: La consultation des 78 tours est effectivement encore possible, ce qui ne veut pas dire qu’elle est facile – et l’observation des pratiques à laquelle nous a confronté la transition numérique prouve que c’est ce critère qui est décisif. Discutez avec des spécialistes d’histoire du disque, confrontés à la variété des formats et à la difficulté d’accès à leur source, et vous verrez que leur situation est sensiblement différente de celle des historiens de la photographie…
Cela dit, encore une fois, il s’agit d’une mutation irréversible: la numérisation de l’ensemble de nos données impose le passage par un intermédiaire technique relativement imprévisible – et ce problème concerne désormais la quasi-intégralité de notre mémoire symbolique. Vous avez raison: il est peu souhaitable de vouloir préserver l’accès immédiat à la photo par l’intermédiaire d’un support papier, dès lors que celui-ci ne peut conserver la trace des échanges noués autour de l’image. Mais le jugement doit rester nuancé. La mémoire numérique est simultanément bonne et mauvaise: bonne lorsqu’elle permet un accès infiniment plus large que par le passé, mauvaise lorsqu’elle emprisonne les contenus dans des formats qui feront obstacle à leur diffusion (cas de supports sous DRM). Il s’agit quoiqu’il en soit d’une évolution majeure des formes visuelles…
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