Encore un photomontage dans le journal favori des amateurs de photo (un “Croisons-les” par Guillaume TC, à partir de photos de G. de Keerle, Getty, et de K. Tribouillard, AFP, édition du 22 novembre 2016). On l’aura noté, Libération recourt de manière insistante pour ses Unes à une imagerie où le photoréalisme n’est plus qu’un style graphique, mis au service de la narration. Des photos augmentées qui deviennent des images frappantes, supports d’une analyse politique, dans la tradition du dessin de presse.
Alors que le photojournalisme documentaire n’a jamais cessé de revendiquer la virginité de l’archive, et par conséquent son refus de toute forme de manipulation ou d’intervention, la manifestation des ressources d’un journalisme visuel plus imaginatif est un signe qui confirme le diagnostic que j’esquissais il y a peu d’un renouvellement et d’une diversification des usages du médium, suivant le modèle du cinéma.
L’hybridation de l’image photographique, son devenir graphique par l’intermédiaire des outils numériques, annoncée de longue date par les théoriciens essentialistes, n’est donc pas la fin de la photographie, mais plutôt une nouvelle étape dans une histoire où l’art retrouve ses droits dans le traitement de l’information. Longtemps cantonné à la simple association de personnages a posteriori, le photomontage renoue avec la force narrative des compositions d’un Heartfield, et vient prendre sa place aux côtés des autres déclinaisons du photoréalisme: illustration, caricature photographique ou portrait mis en scène, qui ne cessent de gagner du terrain au détriment du document sur le vif.
7 réflexions au sujet de « Photoshop, instrument du journalisme »
Cela veut-il dire pour autant que l’idée est pertinente ?
Hollande en Che Guevara est plutôt pitoyable et Fillon en Thatcher pèse son poids de ferraille : la finesse de certaines caricature dans « Le Canard enchaîné » dépasse sans peine ces « unes » finalement vulgaires, même si elles montrent que quelqu’un sait manier Photoshop (la belle affaire !) pour faire vendre un peu plus d’exemplaires de « Libé » ou d’agiter le « buzz » médiatique.
Le « journalisme » marketé ainsi en acquiert-il plus de valeur ?
Il faudrait savoir: la presse doit-elle se vendre ou pas? J’ai exprimé mon scepticisme sur le photomontage Hollande/Che, mais Fillon en Thatcher est un résumé efficace d’une lecture politique, dont l’impact est probablement supérieur à n’importe quelle illustration de type documentaire. (Pour les caricatures du Canard, je ne partage pas nécessairement votre jugement… ;)
J’ai adoré la Une Fillon/Tatcher et je l’ai achetée. Je suis d’accord sur l’opinion de Libé (surtout l’édito) et je suis heureux que ce journal l’affiche en une.
Par contre, l’idée que Photoshop devienne un outil de journalisme me choque un peu (malgré tout l’estime que j’ai pour ce blog et que je garde).
La manipulation d’images ne permet pas de raconter quelque chose, mais de donner une opinion sur quelque chose et d’orienter l’avis du lecteur. Les photomontages de Libé en une sont pour cela fait à la grosse louche pour bien monter au lecteur que ce n’est pas la réalité, que c’est une opinion. Libé aurait dû mettre une photo de Fillon en train de manifester devant un centre IVG avec une pancarte ProLife. Mais cette image n’existe pas. A l’heure où des campagnes politiques (réussies en plus) jouent sur de fausses informations, la diffusion de fausses images par des médias établis et reconnus me semble dangereux. D’autant que les « Alt » déclarent qu’ils se sentent manipulés par la presse traditionnelle.
Est-ce que Libé est de la presse éditoriale ou de la presse « traditionnelle » ? C’est un débat à faire. Mais j’aime Libé comme il est.
Je pense que la Une de ce Libé sur Fillon aurait dû être un dessin de Willem.
Hier après midi, je parlais de cette Une de Libération à mes étudiants de l’Epsaa qui ont 20/22 ans, et aucun n’avaient compris le sens de ce photomontage. Libération n’a pas su vieillir en renouvellent son lectorat. Thatcher et sa politique libérale, c’était il y a plus de 30 ans. Libé est le premier à ricaner du Prisunic de Juppé, mais finalement, ils font pareil, ils font une Une (graphiquement très bien) pour leur lectorat de plus de 50 ans.
@f.chevret: En même temps, c’est peut-être plus malin pour une Une papier de s’adresser au lectorat du papier – qui certes ne rajeunit pas –, plutôt qu’à des vingtenaires à qui il ne viendrait même pas à l’esprit de gaspiller deux euros pour une brassée de feuilles mortes, puisqu’ils ont leur smartphone.
Inversement, il n’est pas difficile de trouver des illustrations moins inventives dans la presse (qui doivent donc s’adresser à un lectorat encore plus assagi). Cet emprunt à la culture du web, en l’occurrence issu de la production des “Croisons-les”, bien connue des amateurs de loltoshops, est incontestablement plus moderne que toutes les couvertures disponibles à ce jour sur le sujet.
Hors la qualité esthétique (discutable), je ne vois pas trop la différence (fondamentale) avec les couvertures (géniales et intelligentes) du « New Yorker » qui, elles, sont dessinées. Vos arguments ne sont basés que sur des « UNE » (donc publicitaires), créées par des graphistes-monteurs de collages (Certains y gagnent des prix !) Strictement rien à voir avec LE journalisme (encore une fois un titre tendancieux), qu’il est tendance et si facile, d’accuser de tous les maux. Vous savez parfaitement que le choix éditorial ne vient ni des photojournalistes, ni des reporters, ni des rédacteurs.
…/… Je m’interroge sur le pourquoi de vos polémiques récurrentes ciblées ?
@Martial Maurette: Quelle polémique? Ne vous en prenez pas au messager. Je me borne à relever des tendances et à synthétiser des observations. Les grandes agences photographiques ou les institutions dédiées font la part belle au photojournalisme documentaire, mais accordent moins d’intérêt à d’autres formes de journalisme visuel, alors même que celles-ci se développent. Je ne suis pas le seul à percevoir que la multiplication de ces alternatives interroge le grand récit de la photographie: il s’agit donc d’une évolution qui mérite toute notre attention.
Les Unes sont en effet des contenus particuliers, avec une dimension de communication. Mais outre qu’il serait paradoxal d’exclure ces productions du champ éditorial, alors que leur empreinte est si forte (vous citez vous-même les couvertures du New Yorker), leur contrainte d’attractivité en fait de bons indicateurs de tendances en matière de styles graphiques, comme une sorte d’avant-garde.
Les brefs relevés, comme le billet ci-dessus, ne peuvent en aucune manière remplacer des enquêtes plus fouillées, mais ils ont vocation à en préciser le programme. C’est pourquoi leur critique est la bienvenue – du moins si elle dépasse le seul procès d’intention, pour apporter de vrais arguments de fond.
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