Donald Trump et les limites de la caricature

Comme souvent, se tourner vers le New Yorker éclaire les enjeux politiques du moment. Plusieurs couvertures du magazine éveillent le soupçon: qui est le véritable objet de la satire? S’agit-il de Donald Trump, ou bien des spectateurs navrés de son ascension?

Ce qui frappe dans l’accueil vigoureusement hostile qui se manifeste du côté des forces progressistes comme des médias de la classe dominante, c’est l’incapacité à comprendre les ressorts du phénomène. Le recours à la caricature, qui s’est épanoui dans le sillage de Trump, n’est ici que le symptôme le plus apparent d’un mode de pensée résolument myope, qui se borne à peindre le nouveau président sous les traits du Père Ubu.

Non que le portrait ne présente en effet quelque ressemblance. Mais s’arrêter à la simple expression d’une détestation viscérale est un aveu d’impuissance de la part des élites, que l’élection américaine a précisément remis en cause. N’en déplaise au New York Times, la principale cause de l’arrivée au pouvoir de cet outsider n’est ni les fakes news ni les hackers russes, mais plus simplement le refus d’une part grandissante de la population de poursuivre le programme de la mondialisation néolibérale, qui ne profite qu’aux plus riches.

L’accession de Marine le Pen à la présidence, ou à tout le moins son arrivée en tête au premier tour, serait en France un effet secondaire du même refus, c’est à dire moins l’expression d’un choix populaire que la conséquence d’une mécanique électorale rendue folle par le déclin de l’affrontement binaire qui la justifiait.

La diabolisation française des Le Pen père et fille, qui a servi à gauche de substitut de programme politique, offre à l’inverse une préfiguration du long procès qui attend Donald Trump – avec une efficacité probablement comparable.

Non seulement la diabolisation ne marche pas, car elle ne fait que creuser le fossé qui sépare perdants et gagnants de la mondialisation, mais elle présente surtout le défaut majeur d’éviter aux élites de procéder à leur examen de conscience. Or, tant que les tenants du progrès ne s’apercevront pas que leurs préférences coïncident avec celles des promoteurs des inégalités, aucune modification des dynamiques politiques n’est à envisager. Ce qu’on appelle «populisme», soit la tentative d’échapper aux voies imposées par le système néolibéral, et qui mêle obligatoirement les désirs les plus contradictoires, faute d’organisation politique, est aussi l’expression la plus évidente de la mise hors-jeu du peuple par les forces aux commandes. Faire société sur la base de cette exclusion peut-il constituer un programme acceptable?

Trump n’est pas la cause de notre malheur, mais seulement un symptôme de notre incapacité à y remédier. Faute d’une sérieuse autocritique par les classes dirigeantes de leur responsabilité dans cet accident, il n’y a malheureusement pas d’alternative à la glissade vers un pouvoir de plus en plus autoritaire.

13 réflexions au sujet de « Donald Trump et les limites de la caricature »

  1. Difficile d’etre plus precis, plus exact dans le diagnostic.

    Incroyable quand meme tout ce qu’une image peut dire!!! Ou peut-etre, qu’une image ne peut rien dire d’autre que la vision du monde de la societe qui l’a produite.

    Et ce qui est fascinant, c’est que l’image, avec son cote ambigu, ambivalent (« qui est le véritable objet de la satire? ») est parfois plus intelligente que le discours qu’elle se propose d’illustrer, profitant de cet espace de liberte, de la « licence artistique », et peut ainsi jouer un role pedagogique au sein de la societe, alors meme que les deux (l’image et le discours) sont produits par exactement la meme elite, moins idiote finalement qu’on le croit des lors qu’il apparait quelque interstice, recoin ou l’ambiguite est toleree, ou la parole du fou reste permise.

  2. « le refus d’une part grandissante de la population de poursuivre le programme de la mondialisation néolibérale, qui ne profite qu’aux plus riches. »
    Ce n’est pas un peu paradoxal comme affirmation pour l’élection d’un homme qui a fait de sa fortune (réelle ou supposée, on est peut-être là aussi en présence d’ une escroquerie) son image de marque, la légitimation de ses comportements déviants, et qui choisit ses ministres parmi les plus riches des plus riches ( ou en tout cas parmi ceux qui affichent le plus leurs richesses) ?
    Et si c’était tout simplement une réaction à l’élection / réelection du premier Président noir ?
    Le slogan « America first », ne renvoie pas temps à la mondialisation économique qu’à une époque oú une amérique blanche, patriarcale, croyante et heterosexuelle (au moins en apparence) dominait sans partage le politique et l’économique et se confondait dans l’imaginaire collectif avec l’ Amérique.

  3. La limite de la caricature dans ce cas viendrait de ce que ces caricatures auraient peut-être encore mieux fonctionné pour l’élection d’Obama. Combien de ces présidents auraient été horrifiés par l’élection d’un noir à la Maison Blanche ? Combien d’américains sont persuadés qu’Obama est musulman ce qui le disqualifierait pour le poste ?

  4. @Thierry: On peut pointer d’autres paradoxes, comme la publication d’un ouvrage intitulé «Révolution» par un ex-banquier, ex-ministre des finances et partisan de la mondialisation. Il faut croire que, parmi les contradictions, les mensonges et les illusions de l’offre politique, l’électorat est bien forcé de se débrouiller, lorsque le choix se réduit à deux. Ce n’est en tout cas pas moi qui juge que Donald Trump ne fait pas partie de l’élite, mais bien les classes dirigeantes, les médias dominants ou les stars du show-business, qui le font savoir bruyamment. Quant à Obama, faut-il rappeler qu’il achevait son second mandat, et que la question raciale n’a pas fait obstacle à sa réélection en 2012? Ce n’était en tout cas pas lui qui était candidat contre Trump, mais bien Hillary Clinton.

  5. « Non seulement la diabolisation ne marche pas, car elle ne fait que creuser le fossé qui sépare perdants et gagnants de la mondialisation, mais elle présente surtout le défaut majeur d’éviter aux élites de procéder à leur examen de conscience. »
    Effectivement, il y a un aveuglement des 2 côtés de lAtlantique au point que les dégâts humains sont devenus invisibles… et refont surface au moment du vote que personne n’a vu venir.
    Un article qui va dans ce sens ce week-end dans le M Magazine du Monde : L’élite démocrate en grande dépression. (http://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2017/01/21/les-elites-democrates-en-pleine-depression_5066682_4497186.html)

  6. La caricature (on a connu « Charlie Hebdo » et ses suites funestes montrant ce qu’elle signifiait) n’est pas qu’une surface apparente : elle renvoie bien, quand elle est réussie, à l’idéologie véhiculée par tel ou tel personnage qui l’incarne, que ce soit volontairement ou non.

    Il faut s’entraîner à caricaturer (ou à apprécier) au plus juste Fillon et la fille Le Pen.

  7. Je consigne à titre documentaire l’entretien de Jean-Loup Bonnamy, publié par FigaroVox: « Donald Trump à la Maison-Blanche: Pourquoi ce qui paraissait invraisemblable est arrivé », qui tranche dans le concert satirique visant le nouveau locataire de la Maison Blanche. Même si je ne partage pas tous les éléments de cette analyse (notamment les références à Christophe Guilluy ou à Régis Debray), je la rejoins sur de nombreux points:

    http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2017/01/20/31002-20170120ARTFIG00220-donald-trump-a-la-maison-blanche-pourquoi-ce-qui-paraissait-invraisemblable-est-arrive.php

  8. Bonjour Monsieur Gunthert,

    peut-on identifier les cinq personnages sur la caricature de gauche ? Il me semble voir la tête du président Kennedy, mais les autres ?

    Jacques Bienvenu

  9. Il s’agit des présidents américains: John Kennedy, Abraham Lincoln, Théodore Roosevelt, George Washington et Franklin D. Roosevelt.

  10. Il est rassurant de penser que les gens qui ont voté pour Trump (ou Brexit, ou Le Pen) l’ont fait pour protester contre la mondialisation néolibérale. J’aimerais le croire moi aussi (j’essaie de le croire), mais l’explication me parait un peu courte. D’abord parce que, contrairement à ce qui a beaucoup été dit, ce ne sont pas uniquement, ni même majoritairement les pauvres qui ont voté Trump. D’après ce que j’ai pu lire, les plus pauvres se sont soit abstenus, soit ont voté majoritairement (mais pas triomphalement) Clinton. Y compris les blancs. Il serait d’ailleurs bon de ne pas relayer en boucle (vous ne le faites pas directement mais c’est sous-jacent) le poncif selon lequel le « peuple » aurait voté Trump et « l’élite » Clinton (à moins de considérer qu’il y a aux Etats-Unis une élite dépassant de 3 millions d’âmes l’effectif des classes populaires).
    Ensuite, et surtout, si c’était vraiment la lutte contre la mondialisation néolibérale qui motivait les électeurs, ils auraient pesé de manière beaucoup plus décisive pour Sanders. Et même si l’on peut rétorquer que ce dernier a été « barré » par l’establishment démocrate, rien ne dit qu’il l’aurait emporté face à Trump.
    Si l’on revient à la situation française, elle est encore plus désespérante. L’offre alternative de gauche existe bel et bien, et depuis longtemps (LO, NPA, PCF, Mélanchon… Hamon aujourd’hui, il y a l’embarras du choix pour renverser plus ou moins violemment la table); force est pourtant de constater que c’est Le Pen ou l’abstention, quand ce n’est pas Sarkozy (2007), qui séduisent. Ce sont d’ailleurs, ironiquement, plutôt les classes moyennes supérieures urbaines qui votent pour cette gauche « de gauche » et la font survivre. Il y a donc bien autre chose, qu’il ne faut sans doute pas caricaturer de manière méprisante, mais dont il faut prendre la mesure: la force d’attraction des idées de droite. C’est un impensé de la gauche qu’une bonne partie du « peuple » puisse être attiré par ces idées pour elles-mêmes. si l’on suit les analyses qui suivent les victoires de la droite ou de l’extrême-droite, si les électeurs votent à droite, c’est qu’ils ont été trompés, manipulés par les médias, qu’il expriment maladroitement une colère légitime contre l’ordre néolibéral, ou encore (votre variante) à cause « d’une mécanique électorale rendue folle par le déclin de l’affrontement binaire qui la justifiait »…. Bref, pour des raisons exogènes, pas en raison d’une adhésion consciente aux valeurs profondes de la droite (conservatisme social, libéralisme économique pourvu qu’il nous favorise, xénophobie plus ou moins affirmée…). Il suffirait dès lors qu’un candidat propose un véritable programme de gauche pour emporter la mise. J’en doute, malheureusement, mais je conviens que ce genre d’idée permet de garder espoir.
    Dernière chose: il existe des définitions plus fines du « populisme » que celle que vous utilisez. Par exemple celle qui considère comme « populiste » celui qui a la prétention d’incarner le peuple tout entier – quand bien même il n’aurait obtenu qu’une majorité courte (voire aucune comme dans le cas de Trump, battu par Clinton dans le vote « populaire ») – et qui utilise cette prétention pour exclure ses adversaires politiques, en les plaçant hors de l’enceinte sacrée de ce « peuple » et en leur déniant ainsi toute légitimité à s’exprimer. A cette aune il me semble qu’on peut utiliser le terme pour caractériser un certain nombre de mouvements et de leaders politiques, s’inquiéter de leur rhétorique, sans pour autant tomber dans la défense désespérée du système.

  11. @Phil: Vous réduisez l’analyse politique que je propose à une déduction à partir des caractéristiques des seuls électeurs de Trump. Ce n’est pas ainsi que je raisonne. Dans un système électoral basé sur le binarisme, et donc le rapport arithmétique, l’abstention joue un rôle aussi important que le vote, il faut donc intégrer à l’analyse les électeurs démocrates démobilisés par la candidature Clinton (de même qu’en France, l’élection de MLP supposerait une sérieuse démobilisation de l’électorat à l’endroit des partis traditionnels).

    Par ailleurs, je ne propose aucune définition du terme « populisme »: je souligne que le choix de ce terme par les commentateurs pour caractériser les options anti-système de l’électorat est révélateur d’une perception de la société interprétée comme division de classe. Les réactions des classes dirigeantes au Brexit ou au succès des propositions dites « populistes » trahit un réflexe anti-démocratique qui disqualifie par principe les souhaits des classes défavorisées.

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