En prolongement des commentaires recueillis par Le Monde.fr sur les affiches du second tour, et sans surévaluer des produits à l’influence limitée, je voudrais souligner deux caractères communs à ces propositions, qui suggèrent que nous sommes déjà entrés de plain-pied dans un nouvel univers politique.
Bien sûr, les portraits laudateurs des candidats ne sont jamais que des masques, que nul n’a la naïveté de lire au premier degré. Toutefois, compte tenu de ce que nous savons des promesses de conflits inscrites dans les programmes respectifs du candidat de la casse sociale ou de celle de l’antagonisme des communautés, la surenchère de pacification des signes atteint ici des sommets, et prête pour le moins à sourire.
Frappante également est la similarité des messages, étrange compte tenu de la distance supposée entre les deux adversaires. Car l’un et l’autre ont choisi de vendre un corps plutôt qu’une politique: l’éblouissante beauté du jeune premier, exposée par le gros plan et débarrassée de tout attribut parasite, ou la séduisante féminité de la vestale, idéalisée par la retouche et par la sinuosité posturale conforme aux usages érotiques de l’image de la femme.
Fuck politics, disent les deux affiches, dans l’ambiance bleutée d’un conservatisme sécurisant – et dans le plus pur respect des stéréotypes de genre. N’ayez pas peur. Voici nos corps donnés pour vous.
Lire la suite: La martingale d’Emmanuel Macron, 02/05/2017.
14 réflexions au sujet de « Deux corps sans projet »
Certes, ça l’affiche mal… et les publicitaires ont atteint ici le plus bas niveau par le ravalement.
Cela étant, il faut choisir entre le néo-fascisme et le néo-libéralisme, on devrait donc ne pas se déterminer le 7 mai sur d’autres critères d’urgence républicaine.
On peut dire quand même que c’est de sa droite que lui vient la lumière (pour le futur président, si j’ai bien compris – il aura mon vote en tout cas) ( on se demande combien vaut son costume ou on laisse ça aux oubliettes ?)
Est-ce que tu penses que les livres en arrière plan ont été mis là comme un écho lointain à la photo officielle du Général ?
Plus généralement, la photographie de MLP me semble plus complexe, là où celle de Macron ressemble à des millers de portraits politiques destinés à des affiches. La seule question dans son cas, c’est la couleur du fond.
http://www.gentside.com/presidentielle/on-sait-enfin-pourquoi-marine-le-pen-montre-ses-cuisses-sur-sa-photo-officielle-de-campagne_art79821.html
https://lemuslimpost.com/cuisse-marine-pen-symbole-lutte-anti-islam.html
@Thierry: Comme indiqué, je complète ici un commentaire du Monde.fr, qui fait apparaître d’autres éléments, comme la bibliothèque. Oui, l’affiche de Marine Le Pen est plus travaillée. Je me limite dans mon billet aux facteurs communs. Les équipes de campagne, qui ont réalisé leurs projets indépendamment, n’ont évidemment pas pu prévoir ces similarités. Mais la cohabitation forcée des deux affiches sur les panneaux électoraux produit d’autres effets de sens, qui sont ceux que j’interroge ci-dessus…
Oups, désolé, je n’avais pas suivi le lien.
Au final, ça me semble quand même plus complexe que, par exemple, les 11 affiches du premier tour.
Je ne suis pas certain que l’on puisse mettre sur le même plan en France deux candidats qui mettent en avant leur corps, même en 2017, lorsque l’un est une femme et l’autre un homme. Il n’y a qu’à se rappeler de tous les incidents à l’Assemblée Nationale parce que des députées portaient des tenues jugées sexy par les députés ou même simplement regarder les anciennes affiches de Marine Le Pen.
Le corps de Marine Le Pen est utilisé ici de façon très politique. Une façon subliminale de rassurer ceux qui seraient susceptibles d’être déçus par une Présidente trop consensuelle ?
Je ne mets pas sur le même plan deux candidats (je comprends que la question puisse se poser). Je dis simplement que ces deux affiches, à leur corps défendant si j’ose dire, car cette proximité n’était pas prévisible, travaillent le même message: celui d’un abandon de la politique (qui fait peur), au profit d’incarnations individuelles qui n’ont plus que leur corps à mettre en avant (ce qui, dans les deux cas, faut-il le préciser, n’est qu’une posture de discours, car il y a bien des objectifs derrière chaque candidature…).
Je souhaiterais apporter ma contribution à l’analyse comparative de ces deux affiches. Il me semble que l’on ne peut renvoyer dos à dos (ou face à face si je puis dire) ces mises en scènes photographiques :
Le corps érotisé de MLP est offert au regard, en réduisant hélas l’image de la femme en politique à son seul pouvoir de séduction – les féministes en prendront note. Le slogan « Choisir la France » placé sur ses seins, en dessous de sa veste déboutonnée nous annonce clairement que nous serons nourris par la « mère » patrie durant les cinq prochaines années. Le choix d’une bibliothèque en arrière-plan de l’affiche de MLP, fait de plus écho aux photographies officielles de Charles De Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy qui ont été prises dans la bibliothèque de l’Elysée. Mais alors que Charles de Gaulle avait la main droite clairement appuyée sur des livres, ou queFrançois Mitterrand tenait les Essais de Montaigne dans ses mains en gage de prise en compte du savoir, les mains de MLP étrangement mêlées s’appuient sur du vide. Le flou de l’arrière-plan se double d’une désorganisation explicite avec des livres disposés horizontalement et dont certains sont penchées en écho à l’attitude de son corps. La culture est ici réduite à un simple décor sans être prise en compte dans sa dimension symbolique. En s’affichant au devant d’une bibliothèque, MLP se projette déjà à l’Elysée et semble confondre au passage les codes de la photographie officielle de la fonction présidentielle (censée être affichée dans les mairies de France après le résultat des élections) avec ceux des affiches de la campagne présidentielle, censées identifier la position du candidat/de la candidate à cette fonction.
Face à la mise en scène triviale du corps érotisé de MLP, l’affiche d’EM le présente dans une attitude frontale et sobre en mettant en avant la clarté et la franchise du regard. Son corps n’est pas exposé dans une attitude sexuée ambiguë, contrairement à sa rivale qui dénude sa cuisse, se maquille le regard, ouvre sa chemise ou adopte une pose lascive dans une harmonie de couleurs chaudes et froides. Le candidat s’installe dans la fonction présidentielle en occupant seul l’espace de l’image. Les couleurs froides connotent le sérieux de sa démarche mais les nuances de tons induisent la souplesse avec laquelle il entend gouverner la France. L’arrière-plan en effet n’est pas uniforme, il s’éclaircit vers la droite, (sans connotation politique mais en harmonisation avec notre sens de lecture de l’image occidentale qui suit celui de la lecture du texte). Cette subtilité peut être perçue comme une allusion à l’optimisme récurrent dans la campagne de ce candidat. Le « ciel » se dégage derrière lui, vers un avenir plus lumineux et plus clément…
@Sophie Limare: Merci pour ces remarques! Quelques éléments de réponse: d’abord un point méthodologique. Pour être pertinente, l’analyse d’une image doit tenir compte de son contexte d’énonciation, notamment de ses émetteurs et de ses destinataires. S’il est légitime de déplier les complexités d’une œuvre d’art qui s’adresse à une sphère érudite, on ne peut évidemment pas postuler la même subtilité pour une affiche électorale, qui vise un public beaucoup plus large. Interpréter la position des livres de la bibliothèque comme faisant écho à celle du corps, ou un dégradé comme un «ciel qui se dégage … vers un avenir plus lumineux et plus clément» me paraît pousser un peu loin la compétence ou l’imagination supposée des destinataires.
Une analyse plus contextuelle peut légitimement s’appuyer sur la comparaison avec le corpus des affiches électorales des campagnes présidentielles passées, dans des limites temporelles raisonnables, en se basant sur l’hypothèse que le public visé peut procéder spontanément à des parallèles ou à des rapprochements évaluatifs dans cette iconographie. C’est ainsi que l’on pourra par exemple remarquer que les deux affiches récentes ont en commun d’évacuer toute forme d’altérité (de nombreuses affiches politiques incluant au contraire une présence humaine aux côtés du candidat), ou encore la respiration visuelle procurée par un horizon ouvert (et souvent champêtre). Dans ce cadre, il est donc fort probable que le décor sur lequel se détache le visage de Macron est simplement perçu comme un fond neutre artificiel, en opposition avec des décors aériens réalistes. Cette interprétation est cohérente avec les choix de neutralisation et de décontextualisation qui animent à l’évidence cette composition, dont les auteurs ont choisi d’éviter tout élément anecdotique, tout signal allusif.
Cette absence de signes est par définition plus difficile à interpréter, non seulement parce qu’elle ne fournit pas de support à la glose, mais aussi parce qu’elle doit d’abord être identifiée comme telle. Cette décision artistique peut être comprise comme faisant écho aux choix politiques du candidat, qui a pris soin de contrôler étroitement son positionnement ou ses propositions programmatiques.
C’est dans le cadre de cette analyse avant tout politique qu’il me semble légitime de saisir le gros plan expressif comme un élément signifiant de l’affiche – presque le seul offert au regard, avec l’omniprésence de la couleur bleue.
Bien sûr, vous avez raison, la féminité de Le Pen est plus descriptive que la virilité de Macron. Mais cette différence s’explique avant tout par celle des codes de genre, c’est à dire par le fait que la dimension érotique n’est pas manifestée de la même façon dans les deux sexes. Si les féministes peuvent en effet constater avec l’affiche Le Pen le respect des caractères traditionnels de l’exhibition féminine, comme le dévoilement de parties du corps ou la sinuosité posturale, indices de disponibilité sexuelle, les spécialistes du genre doivent de même observer que le visage souriant, quoique posé sur un col fermé et dûment cravaté, n’est pas moins conforme aux règles de l’érotique masculine. Plus discrète dans son expression, celle-ci passe en effet par le visage plutôt que par le dévoilement du corps, et surtout par la recherche d’empathie manifestée par la mimique et le regard frontal. Dans les limites étroites qui s’imposent à la communication politique, nous avons bien affaire ici à la mise en valeur d’une présence physique – qui est du reste un classique de la communication politique (Giscard, Mitterrand, Chirac, Jospin et bien d’autres ont fait l’objet d’une représentation délibérément érotisée).
Dommage que Topor ne soit plus là, il nous aurait proposer des affiches plus implicantes.
Sans aucun doute, et ça n’aurait pas été trop difficile…
Bonjour André,
Je ne sais pas vraiment s’il faut absolument essayer d’en faire quelque chose, mais en voyant Marine Le Pen en candidate à la présidentielle assise sur un coin de table, je repense – par amalgame – à l’interview de François Mitterrand par Yves Mourousi au milieu des années 1980.
http://www.toutelatele.com/photos.php3?id_article=51684&id_document=37723
J’étais bien jeune à l’époque, mais je me souviens que cette fesse journalistique posée sur la table du président avait fait beaucoup jaser à l’époque, pour son audace et son irrévérence envers le chef de l’État (bien que cette posture ait sûrement été convenue avec Mitterrand, soucieux de paraître chébran voire câblé, https://youtu.be/aIyzS4syksM).
Une possible référence télévisuelle intéressante à rappeler, d’une part compte tenu de la similitude des postures (corporelles) de Mourousi et Le Pen, d’autre part et surtout compte tenu de la « posture » (politique) ouvertement irrespectueuse et différenciatrice du FN vis-à-vis des années de gouvernement des présidents issus de l' »UMPS » (autre amalgame…).
Juste une piste…
La mise en scène de l’affiche de MLP est d’autant plus intéressante à décrypter après sa prestation agressive lors du débat du second tour. Au-delà de l’objectif de séduction, les retouches photographiques du visage et du corps peuvent être dorénavant perçues comme le moyen de masquer la véritable identité d’une candidate qui peine à contrôler sa propre image.
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