La défaite Charlie

(English version) Plus importante mobilisation en France depuis la Libération, la marche de dimanche a-t-elle été l’«élan magnifique» d’un peuple qui redresse la tête face à la barbarie? Je voudrais le croire. Mais l’extrême confusion qui caractérise la lecture “républicaine” de l’affaire Charlie ne fait qu’accroitre ma tristesse et mon inquiétude. Je peux me tromper, mais mon sentiment est que cette apparente victoire est la signature la plus certaine de notre défaite.

Mercredi 7 janvier, j’apprends la tuerie à la rédaction de Charlie, en plein Paris. On annonce 11 morts. L’instant de sidération passé, mon cerveau associe de lui-même le souvenir de l’affaire des caricatures de Mahomet à l’attentat. Puis j’entends à la radio l’énoncé des quatre noms des dessinateurs: Cabu, Wolinski, Charb, Tignous. La tristesse et la colère m’envahissent, car je connais ces noms, je vois leurs dessins. Les victimes ne sont pas des anonymes, mais des personnalités sympathiques, bien connues du grand public, pour deux d’entre eux, depuis les années 1960.

Quatre noms qui changent tout. Je suis malheureusement incapable de me rappeler le nom des victimes anonymes de la prise d’otages de Vincennes, pourtant plus récente. L’attentat à Charlie-Hebdo est la marque d’un changement de stratégie redoutable des djihadistes. Malgré l’horreur des tueries perpétrées par Mohammed Merah (7 morts, mars 2012) ou Mehdi Nemmouche (4 morts, mai 2014), ces attentats ont été rangés dans la longue liste des crimes terroristes, sans provoquer une émotion comparable à celle d’aujourd’hui.

Depuis les réactions suscitées l’été dernier par l’exécution de James Foley, les journalistes sont devenus des cibles de choix des djihadistes. Au choix de la lisibilité symbolique des attentats, très apparent depuis le 11 septembre, se superpose une nouvelle option qui consiste à viser délibérément la presse, pour augmenter l’impact des attentats. Selon cette grille très mac-luhanienne où le média se confond avec le message, le réflexe naturel des collègues et amis des victimes étant d’accorder plus d’importance à l’événement que lorsqu’il s’agit d’anonymes, l’amplification médiatique est bien supérieure lorsque des journalistes sont touchés.

L’efficacité de cette stratégie a reçu sa confirmation le 11 janvier. Si 4 millions de Français sont descendus dans la rue, c’est à cause de la lisibilité d’un attentat visant la presse, institution phare de la démocratie, et à cause de l’énorme émotion suscitée par le meurtre de personnalités connues et aimées.

«Je suis Charlie» est la marque d’une identification d’une large part du grand public aux victimes. Il fallait, pour atteindre ce degré d’empathie, un capital de notoriété et d’affection qui ne pouvait être réuni que par les dessinateurs d’un journal satirique potache et non-violent.

Les effets de ce piège sont catastrophiques. Alors même que la société française glisse peu à peu dans l’anomie caractéristique des fins de système, exactement comme le 11 septembre a galvanisé la nation américaine, le «pays de Voltaire» ne retrouve le sens de la communauté que face à l’adversité terroriste. Comme l’écrit Daniel Schneidermann: «Elle flageolait, la France. On ne savait plus très bien pourquoi continuer à l’aimer. Depuis avant-hier, il me semble qu’on commence à re-comprendre ce qu’on a à défendre».

On ne sait pas ce qu’on a à faire ensemble, mais on sait contre qui. Le précédent rassemblement d’ampleur comparable, celui du 1er mai 2002 contre Jean-Marie Le Pen, réalisait lui aussi l’«union sacrée» contre un ennemi de la République, réunissant plus de personnes qu’aucune autre cause.

Nul hasard à ce qu’on retrouve aujourd’hui la même image à la Une des journaux, celle d’un pompiérisme exalté, qui s’appuie sur l’allégorie d’institutions pétrifiées dans un geste immobile. Soudée par la peur, le deuil et la colère, la communauté qui fait bloc contre l’ennemi est profondément régressive. Elle se berce de symboles pour faire mine de retrouver une histoire à laquelle elle a cessé depuis longtemps de croire. Dès le lendemain du 11 janvier, on a pu constater que cette mythographie républicaine signifiait d’abord le retour aux fondamentaux: retour de l’autorité, triomphe de la répression, dithyrambes des éditorialistes – jusqu’aux pitreries de Sarkozy, pas un clou n’a manqué au cercueil de l’intelligence.

Mais le pire est encore à venir. Car malgré les appels des modérés à éviter les amalgames, c’est bien la droite toute entière, calée sur les starting-blocks de l’islamophobie, qui s’est engouffrée sur le boulevard de la “guerre des civilisations” et la dénonciation de l’ennemi intérieur. Inutile d’essayer de rappeler que le djihadisme représente aussi peu l’islam que le Front national la France éternelle, la grille de lecture identitaire, celle-là même à laquelle cédaient les caricatures de Charlie, qui peignaient le terrorisme sous les couleurs de la religion, est trop simple pour manquer de convaincre les imbéciles.

Les terroristes ont-ils gagné? Si l’on parcourt la liste des motifs qui alimentent la radicalisation, dressée par Dominique Boullier, qui rejoint celle des maux de notre société, on se rend compte que rien d’essentiel ne changera, et que rien ne peut nous protéger de crimes qui résultent de nos erreurs et de nos confusions. Comme celui de la société américaine après le 11 septembre, c’est un sombre horizon que dessine l’après-Charlie. Passé le moment de communion, aucun élément concret ne permet pour l’instant de croire que ce ne sont pas les plus mauvais choix qui seront retenus.

74 réflexions au sujet de « La défaite Charlie »

  1. excellente analyse (« Quand les drapeaux sont déployés, toute l’intelligence est dans la trompette. », Stefan Zweig)

  2. En gros, vous venez de redécouvrir l’eau chaude: une « marche républicaine » comme expression nationale, qui rejoue tous les symboles de cette nation, de la République à la Nation, Bleu-blanc-rouge et Marseillaise, etc… Quelle surprise ! Et ces symboles forgés au 19e siècle apparaissent aujourd’hui comme pompiers et d’un romantisme désuet… Quelle découverte !

    Que cette manifestation de la nation, que d’aucun disait suicidée au passage, soit immédiatement exploitée par le gouvernement pour accélérer son agenda, quelle nouveauté ! Ça s’est toujours produit comme ça.

  3. Entre liberté et sécurité, l’écrasante majorité de nos concitoyens choisira la sécurité. Pour des raisons qui ont trait à notre héritage – pour lequel peu d’entre nous ont eu à se battre- à notre culture occidentale issue des trente glorieuses aussi, en notre croyance au progrès enfin, même si ces derniers temps elle est un peu ternie. Je suis aussi assez pessimiste et en accord avec votre analyse. Passées les effusions partagées, les problématiques demeurent. Il faudrait bien entendu fabriquer un nouveau joli petit moteur d’espérance partagée, de magnifiques horizons de progrès vers lesquels nous projeter sans oublier personne en chemin. Nous remettre à « faire société »… Hélas, la lourdeur de nos institutions, les enjeux électoraux à court terme interdisent même d’y songer.

    Un autre point: j’ai eu comme un étrange pressentiment en voyant tous ces chefs d’états réunis, cela m’a fait penser à une veillée d’armes.

    J’espère de tout coeur me tromper.

    Vincent Migeat

  4. Je suis assez dérangé qu’on dise manifester pour la liberté d’expression et que toute opinion un peu critique (tant qu’elle reste dans le périmètre de la loi) soit immédiatement condamnée et frappée d’anathème. Ce n’était quand même pas ça l’esprit de Charlie Hebdo. Il suffit de voir la censure opérée par Libé dans ses forums. Je ne suis pas d’accord avec les élèves qui ont refusé la minute de silence, mais quand je vois certaines réactions je me pose des questions. C’est quand même bien aussi leur droit de ne pas vouloir le faire sans pour autant faire d’eux des terroristes en puissance.

  5. Bonjour André,

    La pérennité des valeurs ré-initiées par cette marche est certes un pari osé et aux résultats incertains et aléatoires, j’en conviens.
    Je vous prie de pardonner par avance la tournure un peu agressive de ma remarque mais je me demande si votre pessimisme ne se forge pas en partie à l’aune de votre méconnaissance du peu d’occasion qu’a la majorité des citoyens du monde de se frotter à ces mêmes valeurs.
    Vous lisez, vous sortez, vous vous cultivez sans cesse, ce qui aiguise votre regard et votre esprit critique. Vous êtes, en quelque sorte vacciné et vous n’oubliez jamais de faire les piqures de rappel. Votre appétit, votre soif de connaissance, votre expérience, votre perspicacité, votre position d’enseignant, de passeur et transmetteur de savoirs, vous inclinent à vous confronter, sans répit ni repos, à ces valeurs ainsi et surtout qu’à leurs contradicteurs.
    Mais ce n’est pas le cas de la grande majorité des citoyens de ce monde, peu armés pour cela, et j’espère que cette marche fut l’occasion, pour certains au moins, de reprendre contact avec la réalité de ces valeurs et du risque de perdre ce qu’ils en croyaient acquis.

    Bonne journée.

  6. Merci pour votre point. S’il y a une seule chose que j’aimerais retenir des premières décennies de ce que l’on nomme le IIIème millénaire, c’est que oui l’idée de Fin de l’Histoire est galvaudée, néanmoins elle ne déborde pas en effet directement vers une ‘guerre des civilisations’, mais bien plutôt vers une ‘continuation de l’Histoire’ comme le proposait Hubert Vedrine. Et l’Histoire prend du temps et demande des efforts de tous, au quotidien.
    Évidemment qu’il n’y a pas d’éléments concrets qui pourraient nous rassurer sur le fait que les bons choix seront faits. Car le mécanisme de l’Histoire, c’est qu’il est toujours question de choix, et de rien d’autre.
    Pour poursuivre votre point, c’est peut-être davantage sur les visées collectives sur lesquelles nous – ce peuple qui se rassemble face à l’adversité – avons peu de confidence. À nous, toujours les mêmes, de contribuer à bâtir une vision qui nous rassemble.

  7. @vincent Migeat

    J’ai exactement la même intuition que vous, et malheureusement, toutes les guerres et massacres ont débuté de cette façon. Toute cette atmosphère est à mon avis comparable à celle de juillet 14.

    Merci à André Gunthert pour ce très bon article avec lequel je me sens en phase à beaucoup d ‘égards.

  8. Pour préciser ma pensée, « pour l’instant » est bien une marque (mesurée) d’optimisme… Pour le dire autrement: les manifestations du 1er mai 2002 ont fourni elles aussi l’occasion d’une mobilisation nationale, qui paraissait significative sur le moment. Résultat: nous avons de fortes chances de nous retrouver devant la même configuration politique en 2017. Cette mobilisation qui a rassuré ses participants par son ampleur, mais n’a été suivie d’aucun changement de fond, n’a eu aucun effet à moyen ni même à court terme – les destinées du pays ayant été immédiatement confisquées par le pouvoir politique, relégitimé dans son autorité. Si ce précédent pouvait nous servir de leçon, il n’aurait pas été vain. L’unanimisme ne suffit pas. Le travail commence – par exemple par la contestation des options sécuritaires et autres gadgets du gouvernement, pour réclamer au contraire une véritable réflexion sur les causes…

  9. @andré gunthert : votre pessimisme vous honore, il est le résultat d’une analyse critique de la récupération politique inévitable et des mesures sans doute plus « liberticides » qui vont être prises dans la foulée par le gouvernement.

    Mais ceci ne remet pas en cause, comme l’a écrit Laurent Joffrin auquel vous faites allusion, « l’élan magnifique » qui a – oui – bien eu lieu dimanche 11 janvier et qui a produit au moins une prise de conscience de la fragilité de notre démocratie : à nous de rester mobilisés pour défendre les valeurs républicaines même avec un simple crayon, un blog, une chronique, une manifestation, tout cela peut-être aussi dérisoire que cela puisse paraître.

    Ou sinon, ce ne serait pas « la défaite Charlie » mais « la défaite démocratie ».

  10. Que les journaux et gazettes emploient les plus éculées figures de la rhétorique de l’image est tout à fait logique : ces figures sont les plus connues et donc les plus lisibles et les plus fédératrices. On se réunit rarement sur l’avant-garde…
    Que les gouvernements tentent de récupérer la manne que représente une mobilisation, d’autant plus que si la cause de la mobilisation est connue, les mobiles et les motifs en sont plus flous, c’est comme mettre un chat au milieu d’un étal de poissonnier… bien sûr que nos représentants vont se montrer sous leur meilleur jour, jouant des coudes pour être sur la photo, se servant de la noble cause pour se laver aux yeux des gazettes (avec des réussites diverse : personne n’a été vraiment dupe de la présence d’Orban ou de Davutoglu… en revanche, Netanyahu en ressort plutôt bien), mais les craintes viennent de la suite.
    Il y a eu l’événement ; il se répétera malheureusement, et là, il ne mobilisera plus autant, parce que ses échos sont déjà entrés dans notre horizon.

  11. André Gunthert > Alors même que la société française glisse peu à peu dans l’anomie caractéristique des fins de système

    Et il y en a pour penser qu’on peut définitivement faire une croix sur la croissance, qui a été possible par une énergie abondante et bon marché:

    « Une croissance bridée par la question énergétique ? »
    http://www.dailymotion.com/video/x2al5e3

    La question du partage *équitable* des richesses va donc être de plus en plus d’actualité, chez nous comme dans les pays moins industrialisés, puisque le lien entre relégation et fanatisme semble globalement avéré.

  12. Le pessimisme de cet article me semble faire le jeu de ce qui est redouté. Et si, en plus de faire une exégèse, toujours salutaire, vous proposiez des pistes d’action concrètes?
    Notre France est aussi malade du trop plein de penseurs qui se contentent d’écrire, si bons soient leurs papiers.
    Je vous invite à écouter Boris Cyrulnik, qui analyse bien l’une des causes de cette gangrène. La désaffection des familles à éduquer leurs enfants. Et pour travailler depuis quelques années sur la question de l’orientation des jeunes et des chercheurs d’emploi, je peux vous dire que la posture abandonnique de certains parents se retrouve dans tous les milieux sociaux.
    Je ne fais pas partie des régressifs que vous fustigez. Je suis aller marcher, tout simplement pour être parmi ceux qui se sont bougé hors de leur confort. Pour montrer qu’il y a des gens qui vont résister et qui veillent.

  13. Il y a une quantité innombrable de manifs illustrées par un portrait de groupe de manifestants juchés sur la statue du Triomphe de la République. Vos rapprochements iconographiques mériteraient d’être élargis par une recherche plus ample.
    Je note que le titre « La défaite Charlie » est déjà une provocation sur le mode de la proximité avec les victimes, en s’éloignant de ces manifestations/communions de circonstances, des « autres », ceux qui proclament « Je suis Charlie » et en font un symbole, vous pointez ironiquement le dévoiement de l’esprit du journal. Vous aviez d’ailleurs remarqué ce texte dans la même veine : http://blog.marcelsel.com/2015/01/07/je-ne-suis-pas-charlie .
    Permettez-moi, à mon tour de faire mon intéressant.
    Je trouve intellectuellement délirant de comparer la manifestation suite au premier tour des élections de 2002 avec la marche suite aux tueries des 7 et 9 janvier, l’amalgame ne produit rien qui fasse vraiment sens. Sur le plan iconographique vous auriez pu comparer les deux unes de Libé pour le vérifier, mais ce n’est de toute évidence pas votre but. Insultant sont vos propos sur cette « communauté qui fait bloc contre l’ennemi est profondément régressive ».
    J’ai participé à cette marche et je ne me reconnais pas dans vos projections, si j’y suis allé c’est précisément pour manifester mon absence de peur à ceux qui auraient des intentions de reprendre ce genre d’action. Le terrorisme est la dissémination de la peur, faut-il le préciser. Le calme de la foule était remarquable, voilà un dénominateur commun intéressant, une réponse intelligente au déchaînement de violence froide.
    C’est ici que je vous retourne vos compliments : laisser supposer que cette foule puisse croire que la marche de dimanche résoudra le problème du terrorisme est au pire malhonnête au mieux infantile. Quant aux valeurs défendue par cette foule, il y en a au moins une qui était clairement partagée : celle de la liberté d’expression de la presse. Une valeur à laquelle vous ne croyez plus depuis longtemps.

  14. Total désaccord. c’est pas parce que Pécresse balance un tweet idiot que « la répression triomphe ». Et la droite ne s’est pas « engouffrée sur le boulevard de la guerre des civilisations ». Elle était, avec la gauche, sur le boulevard Voltaire – nuance! Et si c’était « inutile d’essayer de rappeler que le djihadisme représente aussi peu l’islam que le Front national la France éternelle », ce serait parce que (presque) tout le monde l’a bien compris, et les marches du week-end l’ont prouvé. A cause du presque, ce n’est pas inutile…

  15. dixit vincent migeat :

    « Entre liberté et sécurité » ou « je suis charlie et flic -slogan qui a eu son importance » (…)

    « l’écrasante majorité de nos concitoyens choisira la sécurité. » Le choix a déjà été fait. Le franchouillard que je suis le sait. J’aime rire et me sentir en sécurité. Le rire a été attaqué, je ne suis plus vraiment en sécurité. En conséquence, je réagis.

    Le rire est une technique orale, non écrite, utilisée depuis des millénaires sans aucun manuel d’instruction ni quelqu’un qui le pense, le construit. Il échappe à tout le monde y compris à ceux qui voudraient s’en emparer pour des raisons idéologiques, religieuses, politiques, d’analyses et historiques (cf l’anecdote du pigeon et de hollande). cqfd, le rire.

    M’est avis que ce « et » cherche à unir les deux parties de ce qui ne fait plus symbole effectivement. dixit a gunther : « Elle se berce de symboles pour faire mine de retrouver une histoire à laquelle elle a cessé depuis longtemps de croire. » Je dirai, plutôt : »elle *cherche* des symboles pour faire mine etc. »

  16. Je partage votre inquiétude sur les suites : on peut légitimement craindre de la politique à courte vue, de la crispation sécuritaire et de la généralisation nauséabonde, etc.

    Mais je pense que votre analyse manque un point essentiel : certes « on ne sait pas ce qu’on a à faire ensemble » (pas encore, peut-être ?), mais « on » veut le faire ensemble. Il reste donc à mon sens une volonté manifeste de vivre ensemble, et donc de résister aux tentatives de division des extremistes de tout poil (au passage, c’était donc aussi symboliquement une belle grosse baffe pour Marine Le Pen et ses théories).

    Pour ma part j’étais vraiment surpris (très positivement) de voir un tel élan collectif se manifester, au delà des différences manifestes d’opinion et même d’interprétation sur les évènements, et à l’inverse du réflexe de repli sur soi qu’on pouvait craindre. En d’autres termes, un très grand nombre d’individus ont fait l’effort de mettre de côté leurs différences (temporairement, mais quand-même) pour quelque chose de collectif qu’ils ressentent comme plus important.

    Certes c’est imparfait, mal défini, brouillon, sans doute peu efficace… Mais quand et où dans le monde avons-nous vu un tel rassemblement spontané autour des simples valeurs de paix, de liberté et d’unité ? Il y a un sens fort à cela, même si on ne peut pas encore l’analyser.

  17. On aurait plus de facilité à croire aux valeurs prétendument défendues par la République si celles-ci présentaient moins de contradictions. « Il ne faut pas confondre la liberté d’opinion avec l’antisémitisme, le racisme, le négationnisme », déclarait lundi le Premier ministre Manuel Valls à propos de Dieudonné. La France est donc un pays où la liberté d’expression est permise pour l’islamophobie, et interdite pour l’antisémitisme (je précise que dans le second cas, la limitation me paraît raisonnable: dans l’espace démocratique, aucun droit ne peut s’exercer sans responsabilité).

    Dans un autre cas récent, l’argument démocratique a été mobilisé, mais à l’envers. Pour Renaud Dély, la publication des photos de Florian Philippot par Closer (condamné par la justice) signifiait rien moins que « la fin de la démocratie ». Encore une fois, la liberté de la presse paraît à géométrie très variable.

    Mais cette discussion elle-même a-t-elle réellement un sens? Les dessinateurs de Charlie (qui a viré Siné) sont-ils véritablement tombés pour la liberté d’expression, ou les caricatures n’ont-elles été qu’un prétexte à la tuerie? Les mesures liberticides que le gouvernement s’apprête à prendre ne sont-elles pas la meilleure illustration de la vacuité d’un slogan qu’on ne brandit que le temps d’une manif?

  18. Sur ce coup-là Une du monde était bonne en 2002, pas en 2015. Quand à votre diptyque je le trouve facile, presque méprisant…

  19. En 2002, c’était la Une de Libé… Je donne un avis, qui s’appuie sur une analyse, vous avez tout loisir de donner le vôtre (merci toutefois d’éviter de travestir le mien). Pour préciser, je juge ici non une photo, mais son usage (son choix par des éditeurs pour illustrer une couverture-affiche de journal, ou par des internautes pour manifester leur soutien à la manifestation, etc.): c’est un fait de réception qui construit une signification contextuelle, qui fait un tout avec ses commentaires, légendes et autres énoncés.

  20. « Je peux me tromper, mais mon sentiment est que cette apparente victoire est la signature la plus certaine de notre défaite. »

    « La démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État, elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. »

    Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, 1988.

  21. C’est à la jeunesse de réagir. La génération qui arrive. Le travail qui a été conduit, aujourd’hui, dans les écoles républicaines le prouve. Il faut changer la France une fois de plus. La France collabo, la France de Jeanne d’Arc, la France résistante, la France des lumières, de la révolution, de louis XIV et de Vercingétorix, de Goscinny et de Choron. Cette France là changera.

    Cela dit je suis d’accord avec ce que vous dites mais la majorité débile des foules qui ne comprennent pas n’existe plus il s’agit maintenant d’une minorité inculte qui est armé. Par qui et pourquoi?

    C’est bien ce qui a été dit. Si la liberté d’expression réduite et le sécuritaire l’emportent alors le terrorisme aura gagné. C’est ce que vous dites et c’est ce que je pense et que beaucoup pensent aussi. La France n’est pas l’Amérique. Fuyons la violence.

  22. « on ne sait pas ce qu’on a à faire ensemble » (pas encore, peut-être ?), mais « on » veut le faire ensemble »

    Ernest Renan écrivait :  » Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue ou d’appartenir au même groupe ethnographique, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. »

    Peut-être avons-nous cessé de constituer une nation depuis des décennies, et que ce qui nous mène, c’est une société en pilotage automatique et à la destination incertaine. D’où l’incertitude sur l’avenir.

    C’est en fait le piège du néo-libéralisme dont la victoire incontestable a placé la gouvernance des états sous l’empire de l’économisme (surtout depuis qu’il est en échec) Nous avons oublié:

    Que nos valeurs viennent de loin, et que nos ancêtres se sont battus pour elles.
    De transmettre cet héritage à nos enfants, et surtout à ceux dont les parents viennent d’une autre culture.

    D’aimer peut-être notre pays, ou en tout cas d’aimer « faire société ».

    De penser l’avenir en termes politiques autres qu’électoraux

    De fournir enfin un vrai horizon de progrès, seul à même d’entrainer nos concitoyens vers un avenir commun.

    Il faudrait en conséquence saisir cette occasion que les évènements dramatiques de la semaine dernière nous procurent pour formuler un projet de société à la mesure des enjeux tels que l’éducation, les quartiers en difficulté, l’environnement etc…

    Mais il faudrait avoir maintenu dans ce pays un niveau plus haut d’éducation populaire, ce qui hélas n’est pas toujours le cas.

    Marchons.

    VM

  23. Rien n’est pire tout est, au moins dans l’instant, mieux. Les idiots utiles du terrorisme islamiste, MLP, Zemmour, dont la progression semblait inexorable ont, au moins l’espace de 3 jours, été marginalisés. Marine à Beaucaire, la leader du premier parti de France devant 1000 personnes, c’était pathétique.
    Ma référence, pas forcément plus réjouissante, ce serait ni la guerre de 14 (pas de Tartarin de Tarascon, de Pasqua pour terroriser les terroristes pour l’instant), ni le deuxième tour d’une élection où un outsider avait réalisé un hold up mais n’avait aucune chance d’être élu, mais « touche pas à mon pote ». Je me rappelle que lorsque le mouvement est apparu, j’avais réalisé d’un seul coup que je n’étais pas seul. Et ça n’allait pas de soi. Après la récup par le PS a tué le mouvement, mais sa seule existence, si brêve aura-t-elle été, aura cassé une dynamique qui semblait inéluctable.

  24. “L’esprit du 11 janvier”, selon Nathalie Saint Cricq, responsable du service politique de France 2:

  25. Bonjour André! Et dire que durant les événements du 11 Septembre, tu étais à Londres, entre la bibliothèque et la coop où nous t’hébergions! Aujourd’hui c’est une autre plateforme que j’ai montée qui héberge des artistes en résidence, en Guadeloupe, justement pour faire avancer les idées..car il y en a bien besoin! Merci de tes articles que je découvre sur Rue89…Joëlle et L’Artocarpe http://www.artocarpe.net

  26. A. Gunthert,
    Quel intérêt de relayer le discours de cette folle furieuse ? Pour prouver quoi ? J’ai marché le 11 janvier pour montrer que je ne vivrais pas dans la peur, et je suis très étonné d’entendre toutes les intentions qu’on nous prête aujourd’hui, c’est hallucinant. Je ne sais plus qui a dit que déconstruire le bullshit prenait beaucoup de temps et d’énergie, mais là on est en plein dedans.

  27. (Lu : …Les dirigeants d’une soixantaine de pays…) Ces VIP étrangers, venus en urgence non préméditée, cela pourrait-il nous donner l’espoir, qu’il y a encore une immense aura française reconnue et respectée ?

  28. « c’est bien la droite toute entière, calée sur les starting-blocks de l’islamophobie »
    Il y a bien longtemps que la gauche et l’extrême gauche pratiquent la même islamophobie au nom de la laïcité, du féminisme, etc.

  29. Bon article cependant je regrette l’absence du contexte actuel, par néologisme : « glocal », ou quand nos valeurs locales soit disant universelles, deviennent globales depuis le désert avec une bonne 4G. Ce qui hier concernait seulement un contexte national est aujourd’hui devenu transnational contrôlé à distance par des barbus en pyjama connectés.

  30. Si ces marches font du bien à ceux qui vont les faire, qui sommes nous pour tenir un jugement ?
    Ce n’est pas parce que l’on ne partage pas toutes les idées de charlie hebdo que l’on ne veut pas défendre la liberté de la presse.
    Personne ne nous dit que « se sont les plus mauvais choix qui seront retenus  » comme personne ne nous dit non plus que ce sera les meilleurs, on ne sait jamais.
    Et je suis charlie pour soutenir les familles des victimes, la liberté de la presse, la liberté tout court aussi, mais je n’ai pas toujours les mêmes idées que celles de l’hebdomadaire.

  31. Si je suis d’accord avec le début de votre article sur les causes de ce grand élan populaire, il me semble toutefois que votre conclusion appelle à modération. A l’analyse du rassemblement de dimanche, on voit bien que sous la banniere « je suis Charlie se retrouvent tous les courants de pensée traversant la société Française. Des libertaires poste 68 tars aux religieux modérés, de l’extrême gauche à la droite de la droite.Naif le politique qui voudrait croire le contraire, et passer au dessus des clivages traditionnels pour imposer un tout sécuritaire par exemple au détriment des principes démocratiques. La société Française pour sortir de sa torpeur a besoin de chocs, économique ou sociétal, mais elle possède les amortisseurs nécessaires pour ne pas tomber dans les excès que vous mentionner. Le grand gagnant de ces événements sera je l’espère la laïcité, par le retour à la sphère privée du religieux , car s’ il n’est pas question d’islamophobie, il appartient à l’islam de France de battre sa coulpe, afin de rappeler à tous qu’elle fait partie de la diversité de ce pays mais qu en aucun cas, comme les autres cultes, elle ne doit se manifester dans le domaine politique au sens large et s arroger le rôle de censeur public.

  32. @pagola: « s’il n’est pas question d’islamophobie »… Mais alors de quoi? ;) Je suis historien. Pourtant, je n’ai pas à m’excuser pour la mobilisation de l’histoire par le Front national. De même, aucun croyant n’a à se justifier pour un acte de terrorisme, fut-il accompli au nom d’une religion. Croire le contraire, c’est raisonner comme les identitaires, qui mettent les humains dans des boîtes (et les “juifs” dans des camps). La laïcité est un alibi commode pour mettre une population (qui n’est pas et n’a jamais été une communauté) au ban de la nation. Sans moi.

  33. Ce qui nous a soudé dimanche c’est de réagir, de ne pas rester le cul collé au fauteuil devant la télé, de manifester notre indignation et notre tristesse, de nous mobiliser devant un acte contre lequel on n’a rien pu faire et qui nous révolte. Si cela avait été la peur les gens seraient restés chez eux.
    Après ça on peut toujours coller des mots trop grands là dessus : Nation, République etc, pour fabriquer du discours politique ou de la polémique comme ici. Mais ça c’est une réaction, pour paraphraser Charlie, de gros con.

  34. Cher Monsieur Gunthert,
    Il n’est, et « pour l’instant » et encore pour un assez long temps, personne, il n’est vraiment personne qui puisse prétendre discerner toutes les dimensions de ces événements : les tueries, et le rassemblement.
    Mais l’événement qui fait le sujet de votre article est le rassemblement (et non pas les tueries). Et ce qui fait ici le seul sujet de mon bref commentaire, c’est votre article. Tel quel. Car, en définitive, il y a trois événements : le massacre, et puis le rassemblement (réaction au massacre), et puis les réactions à ce rassemblement.
    Oui, je crois qu’il est – cet ensemble des « prises de parole » (en cours), au sujet du rassemblement –, lui-même, un événement. Et je ne prétends pas en faire le tour de cet ensemble ! Je ne prétends même pas démêler toutes les implications de votre seul article. Je m’en tiens à ces deux questions : celle de la décision, et celle de la considération.
    La « décision », c’était celle qu’il y avait à prendre : y aller, ou ne pas y aller (au rassemblement, dimanche).
    Nous pouvons, chacun, apprécier relativement le sens (et les conséquences, etc.) de telle décision prise. Mais quant à la décision elle-même, elle ne supporte aucune relativité : j’y suis, ou je n’y suis pas. Nous avons le droit, chacun, de dire : « J’y vais, mais… », ou bien « Je n’y vais pas, mais… », mais, et c’est une simple impossibilité logique, je ne peux pas y être ET ne pas y être.
    Et, ayant lu et relu votre article, je n’ai pas réussi à savoir si vous y aviez été. Ou non.
    Entendons-nous : pour ce qui me concerne, ce qui m’intéresse, c’est de connaitre les raisons (raisonnables) qui entrainent la décision dans un sens ou dans un autre. Mais, là, aucune annonce de la décision prise ?
    (Si je m’arrête là-dessus, c’est que j’ai par ailleurs réagi à Philippe Bilger qui, pensant en avoir tout compris avant même que l’événement ait eu lieu, annonçait clairement : « pourquoi-je-ne-participe-pas-a-la-marche-républicaine ».
    http://patrickg75.blogspot.fr/2015/01/prise-de-parolelettre-ouverte-monsieur.html
    Pour ce qui vous concerne, compte tenu de ce que vous en pensez après coup, je crois que vous n’y êtes pas allé non plus ; à moins que, y étant allé, vous le regrettez. Mais peu importe, aujourd’hui, la décision prise. Le temps de l’action – de cette action – est passé. Ce qui importe au présent, c’est le sens donné à.
    D’où la seconde question : celle de la considération. La façon dont vous « considérez » ceux qui y étaient. Et là, vous êtes singulièrement en phase, à mon grand regret, avec le personnage cité ci-dessus:
    <>
    (André Gunthert)
    « [la marche républicaine] n’est destinée, dans une sorte de béatitude collective satisfaite d’elle-même, qu’à persuader la nation que durant quelques jours elle aura été à peu près unie. »
    (Philippe Bilger)

    Finalement, maintenant, je crois bien que vous n’y étiez pas. Donc, comme Monsieur Bilger, vous « en parlez sans savoir ». C’est bien triste…
    Patrick Guillot

  35. Je ne sais pourquoi la citation que je fais de votre article semble ne pas être reprise ?
    Il s’agit de  » Soudée par la peur […. régressive. Elle se berce de symboles, etc. »

    « Soudée par la peur, le deuil et la colère, la communauté qui fait bloc contre l’ennemi est profondément régressive. Elle se berce de symboles pour faire mine de retrouver une histoire à laquelle elle a cessé depuis longtemps de croire. »

  36. @Patrick Guillot: Non, je n’y étais pas. Et contrairement à ce que semblent penser ici ceux qui se croient propriétaires du sens de l’événement parce qu’ils ont choisi de défiler, le choix inverse peut relever d’une décision tout aussi raisonnée, pesée et lourde de signification – exactement comme pour une élection, autre acte citoyen, par lequel on peut se prononcer de plusieurs façons. Il y a ceux qui se sont exprimés en défilant. Pourquoi l’avis de ceux qui s’en sont abstenus aurait-il a priori moins de valeur?

    Contrairement à ce que vous affirmez, je ne parle pas de la manifestation sans savoir …puisque je ne parle pas de la manifestation. J’ai écrit ce billet mardi, et non dimanche, c’est-à-dire après les commentaires de la presse, et donc essentiellement en réaction au sens imposé par les grands médias (lire à ce propos le beau récit d’Adrien Genoudet, qui pour avoir participé à la marche, n’en manifeste pas moins son malaise face à cette appropriation: http://mainegative.com/2015/01/14/cetait-le-11-janvier-de-quelle-histoire-parlons-nous/ )

    Il y a une temporalité de la construction de l’événement collectif. Ce billet n’a pas de sens isolément: il vient à son tour et prend place, après la manifestation première de l’émotion, puis celle de la réaction collective, parmi la troisième vague de commentaires, au sein d’une réception plus multiforme et plus critique. C’est ensemble que toutes ces prises de parti construisent notre compréhension – dynamique – de l’événement. Je ne prétends ni avoir raison (ce billet commence par: « je peux me tromper »), ni m’être fait mon idée une fois pour toutes. J’ai lu avec attention les divers témoignages, et ceux qui contredisent mon opinion. Je souhaite simplement avoir pris ma part à cette élaboration: écrire ce billet est ma démarche, ma participation, mon action – ni plus ni moins (f)utile que la vôtre.

  37. La victime journaliste n’est pas une victime comme les autres, et vous montrez bien que la mobilisation de la corporation journalistique a largement amplifié le phénomène. On l’avait constaté quand Florence Aubenas avait été enlevée, la mobilisation avait été massive et suivie par les médias.
    Mais peut-être faut-il aussi aller chercher dans la diffusion ultra rapide du slogan « Je suis charlie » pour expliquer la mobilisation. Chacun a reçu, quelques heures après le massacre, un ou plusieurs texto, une forme de « kit », clef en main, poussant à sortir dans la rue muni de son affichette.
    Un slogan simple, que tout le monde peut s’approprier et qu’il est difficile de contourner. En quelques heures, tout le monde est devenu Charlie, tout le monde devait être Charlie.
    Ne pas être Charlie, c’était déplacé voire scandaleux.
    J’ai écris un texte dans ce sens sur mon blog : La Tentation du Regard
    http://tentation-du-regard.fr/vous-devez-etre-charlie/

  38. « Et contrairement à ce que semblent penser ici ceux qui se croient propriétaires du sens de l’événement parce qu’ils ont choisi de défiler, le choix inverse peut relever d’une décision tout aussi raisonnée, pesée et lourde de signification – exactement comme pour une élection, autre acte citoyen, par lequel on peut se prononcer de plusieurs façons. »

    Personne ne vous demande de vous justifier de ne pas y être allé, si vous pensez que de ne rien faire c’est être actif, grand bien vous fasse ! Pour tout dire on s’en fout. Mais cela ne vous autorise pas à ridiculiser ceux qui ont marché, ou faire des amalgames grossiers du type anti islamistes = anti islam.

  39. @Jack: Vous employez des termes que je n’ai pas utilisé. J’emploie « djihadistes », « terroristes », « identitaires » et « islamophobie ». Mon seul usage d’ « islam » est négatif (« le djihadisme représente aussi peu l’islam que le Front national la France éternelle »). Je laisse les lecteurs juges de vérifier de quel côté vient la grossièreté…

  40. La grossièreté ne viendrait-elle pas d’abord du tombereau de présupposés dont vous chargez les manifestants pour soutenir votre point de vue ? Votre image de manifestants « soudés par la peur » qui seraient le ferment d’un patriot act à la française ne résiste pas bien aux faits et aux quelques témoignage qu’on peut lire ici. Et je ne vois pas ce qu’il y aurait d’élégant ni de très malin à traiter les marcheurs d’imbéciles tout en prenant soin de mettre « l’intelligence » de votre côté. Difficile dans ces conditions de prendre au sérieux votre précaution en préambule « Je peux me tromper ».
    Bonne soirée.
    Julien

  41. « Charlie-Hebdo » était un naufrage programmé. Le passage de Philippe Val avait modifié, dégradé, l’image du journal. Le talent propageait, sous couvert d’irrévérence et de libre expression, ces idées dans l’air du temps, les pires, celles qui clament contre toute évidence être victimes de censure…

    Appelons ça la libre expression et reprenons une louche de Mahomet.

    Cette caricature de journal gaucho à la dérive serait devenue, effet inattendu de ses provocations inutiles, le brise-glace d’une démocratie qui somnolait et dont le réveil effraie. Dans une drôle d’odeur ou l’unanimité flirte avec l’inhumanité, le Titanic n’est plus très loin.

  42. @jul: La conversation sur internet habitue à croiser des interlocuteurs un peu trop pressés, qui préfèrent lire ce qu’ils veulent plutôt que ce que l’auteur a écrit. C’est pour eux que je prends la précaution de rajouter des liens qui précisent mon propos. Il suffit donc de cliquer sur le terme « imbéciles » pour découvrir – oh, surprise! – qu’il vise, non les marcheurs (ça ne correspond pas du tout à ma pensée), mais les auteurs d’actes antimusulmans (revoici le lien: http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/12/une-vingtaine-d-actions-contre-la-communaute-musulmane-recensees_4554633_3224.html ;)

  43. J’évoquais évidemment les marcheurs et la régression que vous croyez reconnaitre chez eux ! Pour ma part les agressions contre les musulmans au nombre de 50 aujourd’hui sont le fait, non pas « d’imbéciles » mais de criminels, dangereux dans le contexte actuel.
    Durant le rassemblement du mercredi soir place de la République un fou à entrepris d’harranguer la foule en déchirant le Coran, il n’a été ni encouragé, ni lynché, mais il a été prestement viré. C’est ce que je retire de mon expérience : l’esprit de ces rassemblements était là, responsable et digne.

  44. vous estes pessimiste sur l’avenir des conséquences d’un mouvement
    c’est un sentiment comme un autre
    vous vous faites Cassandre
    soit c’est la liberté de chacun de pronostiquer
    je préfère écouter Cyrulnik ou même Prouteau
    le propos désenchanteur n’est pas chez vous le déchirement du voile de l’enchantement mais simplement une militance pour Tina
    il vous manque le rire
    j’ai eu plaisir à manifester
    et se faire plaisir ça fait du bien

  45. Rassurez vous je ne connais pas votre personne ni toute la richesse des autres textes que vous avez pu écrire: c’est donc bien à ce texte et aux sentiments de son auteur qui me paraissent en naitre, dont je parle.
    « Passé le moment de communion, aucun élément concret ne permet pour l’instant de croire que ce ne sont pas les plus mauvais choix qui seront retenus. »

    Justement au moment où beaucoup de gens ont été secoués et par les assassinats et par les très nombreuses manifestations partout en France, une brève ouverture des oreilles et des paroles se produit, Alors c’est joyeux car je peux discuter avec mes voisins d’autre chose que de la météo et je trouve que c’est ma responsabilité de donner un avis sur l’évènement et sur les choix qu’il me semble être devoir fait, ils me répondent, on réfléchit etc
    car l’enjeu c’est bien de débattre et de ne pas laisser quelques journalistes experts stipendiés dire le vrai de l’évènement. C’est aussi ça la démocratie: chacun doit faire sa part
    et d’ailleurs le net aussi a brusquement vu se densifier son contenu dans toutes les opinions

    Ainsi j’aime ce texte de Philippe Derudder:
    « Bien sûr, comme tant d’autres, « je suis Charlie », horrifié, peiné, révolté par un acte aussi lâche et d’une inhumanité sans nom. Ne vous méprenez pas sur ce que je vais partager avec vous; le but n’est pas de trouver des justifications, des excuses à ceux qui l’ont perpétré. Il est de ne pas nous laisser prendre par « l’effet loupe ». Vous savez, quand toute notre attention est focalisée sur un point précis, notre champ de vision ne perçoit plus ce qu’il y a autour et ce serait un bien piètre hommage à rendre aux victimes du journal que de ne plus être capables de voir les choses au delà de l’évènement lui-même.

    Si le terrorisme pratiqué par les fanatiques assassins est indéniable, et dont d’ailleurs les principales et plus nombreuses victimes se situent au sein des peuples du proche orient, une autre forme de terrorisme est à l’œuvre dans notre monde, en permanence et infiniment plus destructeur, mais non reconnu car jamais désigné comme tel et parce que confondu à l’ordinaire du quotidien. Je veux parler du terrorisme lié à une autre idéologie, économique celle-là mais qui a pris la place de la religion, je veux nommer l’ultra-libéralisme. Ce terrorisme là n’a pas besoin de Kalachnikov ni d’opération commando; il tue et inflige d’immenses souffrances à des millions de personnes mais en silence, dans le plus total anonymat et la plus totale banalisation, avec pour arme l’ordinateur, la spéculation, les traités de libre échange, la dette, l’impératif de croissance, la recherche de profit financier comme seul finalité. 30.000 citoyens du monde meurent de la faim chaque jour, (5 fois les tween towers de NY) non que la nourriture manque, mais parce qu’elles n’ont pas l’argent pour l’acheter. 40 millions de personnes aux États Unis survivent grâce aux tickets repas. 150.000 personnes sont sans abri en France. 200 millions de chômeurs dans le monde, du moins répertoriés dans les statistiques, sans doute beaucoup plus. Que voulez-vous, c’est la crise! Mais nous avons la situation bien en main, assurent nos dirigeants politiques, prêtres de cette autre religion, avec une bonne cure d’austérité, croyez-nous, vous vous sentirez tout de suite mieux! Parlez-en aux Grecs…

    Oui, je suis Charlie, mais je suis aussi le chômeur qu’on culpabilise et dont on rogne les indemnités, le sans abri qu’on feint de ne pas voir tant il dérange, le paysan sans terre du Brésil ou d’ailleurs, le Kogi qu’on chasse de son territoire pour y chercher du pétrole, l’esclave moderne des mines d’Afrique ou des usines du tiers monde… mais je suis aussi terre dévitalisée par les intrants chimiques, rivière empoisonnée, graine stérilisée, fonds marins dévastés, arbre déraciné, abeille désorientée, air pollué, roche fracturée… Bref, Vie niée. »

    Voilà, restons Charlie

  46. Merci pour cet extrait. Je crois aussi que le néolibéralisme est « infiniment plus destructeur ». De surcroit, comme le suggère le texte de Dominique Boullier que je cite ci-dessus, ses dérèglements sont également l’un des facteurs du terrorisme qui frappe nos sociétés. Je comprends que se réunir fait du bien. Mais il faudra plus qu’une manif pour changer tout ça.

  47. Merci de votre intelligente lucidité, elle est rare et pourtant si indispensable . Vous avez écrit en l’argumentant ce que je ressens depuis des jours … Hélas je ne suis ni chercheuse, ( officiellement ) et encore moins entourée de brillants / tes chercheurs/ ses de votre niveau . Alors au moins je vous lis et vous en remercie…

  48. (Lu l’article mais pas tous les comm.)

    Merci pour ce point de vue argumenté qui donne un bon contrepoint et qui n’est pas courant dans les médias. Moi je me posais pas mal de questions sur ce rassemblement avant qu’il se déroule. Je n’y étais pas en personne, mais j’en ai vu des bribes par les médias. Votre article aide à réfléchir sur cette situation compliquée.

    Certes ce que vous relevez me paraît juste et on peut le regretter. Il faut apparemment attendre une adversité extérieure pour que la nation se serre les coudes. Exemple : les guerres mondiales du XXe siècle. Le reste du temps, ambiance village gaulois ! On peut regretter ça.

    Mais pour autant cela ne disqualifie pas à mes yeux totalement ce qui se passe. Je suis émerveillé notamment par la créativité qui s’est déchaînée pour exprimer (sans violence) son opinion, prolongeant l’esprit qui animait les dessinateurs. C’est magnifique.

    Par ailleurs, comme le relevait un écrivain invité à la radio, il y a un enjeu symbolique qui a été effectivement soulevé à l’occasion de cet attentat : la liberté d’expression a été atteinte dans un de ses bastions. Et cela a inquiété bien plus que les Français. Cela a révolté des hommes au-delà de nos frontières, et ému bien plus que le dernier massacre de Boko Haram pourtant terrifiant en nombre de victimes. Il y aurait réellement quelque chose d’essentiel à l’humanité (qui traverse potentiellement l’entière communauté humaine) qui se trouve menacé par ce nouveau type d’acte terroriste. Cela justifie à mon avis, effectivement, ce soulèvement populaire pacifique.

    Quant aux conséquences sur notre style et nos règles de vie (les lois), oui, restons très vigilants !

  49. Jeudi 15 janvier 2015-01-15

    Cher Monsieur Gunthert,

    Je vous sais aussi attentif au bon poids des mots qu’à la bonne mesure de l’impact des images – ces images qui sont votre domaine de prédilection.
    Quant aux images, donc…
    Sans doute, « nul hasard » dans la similitude des deux images choisies, par des journaux, pour illustrer ces deux journées du 1er mai 2002 et du 11 janvier 2015, puisque ces deux manifestations – comme beaucoup d’autres – ont trouvé un de leurs points d’appui en cette Place de la République ; et la statue qui se dresse en son centre est assez photogénique, en effet, prise sous un certain angle… – ce dont peuvent facilement se rendre compte, et des manifestants assez acrobates, et tous les photographes un peu professionnels. A part ça, votre déduction d’une similitude des significations de ces deux journées, à partir du rapprochement formaliste entre ces deux images… D’autres que moi, ici même, ont déjà suffisamment relevé, je crois, ce que l’on pouvait en penser.
    Quant aux mots, maintenant…
    Que l’allégorie de la République qui se dresse là soit un parfait échantillon d’un « pompiérisme » bien daté, c’est évident. C’est de l’histoire de l’art. Mais qu’elle soit celle d’institutions « pétrifiées dans un geste immobile » ?
    Que nos institutions (actuelles) soient « pétrifiées », c’est un point de vue politique tout à fait estimable. Et je n’aurais pas besoin de beaucoup me forcer pour y adhérer. Mais, prendre une sculpture (une sculpture !) comme témoin de cette pétrification…, c’est plaisant. (Une sculpture ? Peut-être faudrait-il en commander une nouvelle mouture à des artistes ‘cinétiques’ ?) Oui, c’est plaisant… mais ça ne nous mène pas bien loin dans la réflexion.
    Quant aux mots, encore, mais là, il s’agit des miens …
    Je n’ai jamais dit, ni tenté de dire, que « ceux qui ont choisi de défiler sont propriétaires du sens de la manifestation ». Au contraire, j’indique en préambule qu’il n’est, « encore pour un assez long temps, … vraiment personne qui puisse prétendre discerner toutes les dimensions de ces événements. » Et, pour dire autrement ce que j’ai dit, votre propre formulation me convient parfaitement : le choix d’y être, présent, à ce rassemblement, peut être provoqué par l’émotion, certes, mais aussi « relever d’une décision raisonnée, pesée et lourde de signification », – tout autant que le choix de s’abstenir. Ma question, qui était le premier objet de mon commentaire, n’était pas de dénigrer le choix de l’abstention. Ma question (qui était, en résumé : « puisque vous en parlez, y étiez-vous ? »), elle était provoquée plus particulièrement par ce que j’ai indiqué comme le second objet de mon commentaire : votre manque de « considération » pour ceux qui y étaient allés. En fait, par devers moi, c’est même plutôt du mépris que je voyais dans la façon dont vous en parliez … Mais, non, « mépris » était sans doute déplacé, exagéré. Mais « manque de considération » un peu trop poli pour être honnête. J’ai trouvé ce matin le juste mot : vous vous êtes montré « condescendant », avec ceux qui ne sont pas restés chez eux. Et cette condescendance est particulièrement pénible de la part de quelqu’un qui n’a même pas pris la peine d’aller y voir …
    Mais, vous me répondez, vous : « Je ne parle pas de la manifestation ». Textuellement… Vous ne parlez pas de la manifestation ? Mais alors, de quoi parlez-vous ? « Essentiellement en réaction » dites-vous, « au sens imposé par les grands médias ».
    Mais non, vous ne parlez que de ça, de la manifestation, quand vous décrivez (depuis quelle position assurée ?) les participants comme « soudés par la peur », et formant ainsi « une communauté régressive », « se berçant (de symboles) », « pour faire mine (de retrouver une histoire, etc.) ».
    Etions-nous « soudés » d’ailleurs ? Moi (qui ne représente qu’un quart de millionième de la masse) par exemple, là où j’ai marché, je ne dirais pas ça. Mais un ami qui était plus proche de l’épicentre me suggère : agglutinés. Bref, globalement, nous étions ensemble, ça oui – ce qui est déjà suffisant.
    Ensemble « dans la colère et dans le deuil » ? Dans la colère, je ne sais pas. Moi (un quart de millionième, etc.) par exemple, j’étais plutôt nauséeux que colérique. Quant au deuil… c’est un peu intime, ça. Moi (un quart de millionième, etc.), par exemple, je ne me sentais en deuil – à proprement parler – que de certains, qui m’étaient plus proches que d’autres, pour telle ou telle raison.

    Etions-nous « régressifs » ? Une communauté régressive, dites-vous… Si nous avions été unanimes, ah, oui, là, je suis d’accord : les désirs d’unanimité, ce sont bien les prémisses du totalitarisme, et l’unanimité, elle, peut être régressive. Mais, je trouve regrettable cette association de ‘communauté’ à ‘régressif’. Pour former une communauté, il faut être déjà assez mature, je crois.
    Etions-nous apeurés ? Non. Plutôt tranquilles. Mais inquiets, oui, sûrement. Qui ne le serait pas ? Alors, tranquillement inquiets – si je peux oser ! Sans doute parce que fiers, et étonnés, d’être si nombreux et solidaires pour défendre notre liberté – n’ayons pas peur des mots !

    En conclusion, provisoire, vous parliez « en réaction » disiez-vous, « au sens imposé par les grands médias ». Mais, peut-être avez-vous réagi uniquement au sens que vous seul avez projeté sur ces fameuses images ?

  50. Je lis une analyse peut-être juste, mais d’une seule facette des événements de Charlie Hebdo. Et selon moi avec un zeste de pessimisme dans un discours qui se veut objectif.

    Les choses sont plus diversifiées, complexes et riches que cela. Il y a toutes les nuances de gris dans cette affaire, vraiment toutes. L’analyse ne peut-être simple, ni ne se résumer qu’à ça.

    Il y a eu une vrai ferveur et une vraie mobilisation, peut-être réellement inédite. Et qui peut suggérer que dans les temps difficiles qui nous attendent, des rassemblement plus fort, plus internationaux pourront se produire. Nous sommes peut-être au début du chaos, comme du merveilleux. Peut-être qu’une grande partie de l’Humanité prend un autre visage dans la difficulté et qui n’est plus uniquement celui de l’individualisme et de l’agressivité. Nous sommes en plein changement et notre civilisation est en pleine mutation.

    Comme un accouchement, la mise en tension et la douleur sont malheureusement nécessaires pour faire naître du nouveau en nous et entre nous.

    Peut-être que celle prendra encore du chemin, mais peut-être aussi sommes-nous sur la bonne voie.

    Autant diviser pour régner fonctionne autant les épreuves rassemblent.

    Ne voyons pas tout en noir sans pour autant l’ignorer. Le blanc existe, et les attentats du 7 en ont révélées. Cette facette là est réelle, elle aussi.

  51. Les gens qui ont manifesté dimanche 11 janvier n’étaient ni pour, ni contre quelque chose, ils « étaient », tout simplement. Ce n’était pas prémédité : la plupart d’entre nous pensait aller marcher contre la peur, contre la violence terroriste, ou pour la liberté d’expression, entre autres idées. Mais une fois sur place, nous fument pris dans un mouvement, une énergie qui pendant quelques heures ont transcendé toute forme d’appartenance, rendant celle-ci non pas caduque mais secondaire. A ce titre, le « Charlie » de « je suis Charlie » prenait un sens tellement universel que le slogan pouvait s’entendre comme « je suis un homme », « je suis humain » ou « je suis », tout court ; je suis, et je fais face au néant promis par les tueurs. Cet après-midi-là, sans que je ne songe au lendemain, ni aux tentatives de récupération, j’ai marché avec des hommes, des femmes de tous âges et de toutes conditions (contrairement à ce qu’en dit Lordon dans un autre texte, qui nous y croit tous « blancs, urbains et éduqués ») qui ont manifesté tout en sachant par ailleurs qu’ils prenaient un risque ; peut-être est-ce d’avoir mis notre peur en sourdine qui nous a donné ce surcroit d’énergie, ce sentiment de dignité, je ne sais pas. Je comprend ceux qui qui n’y sont pas allés, quelle qu’en soit la raison. Mais toute forme de représentation ou d’explication a posteriori de ce qui s’est passé ce jour-là est forcément réductrice, surtout si l’on a recours à des symboles. C’était juste une parenthèse, un moment où des hommes ont eu besoin de vivre et de montrer leur humanité. Elle fut courte, mais elle a existé.

  52. @Patrick Guillot: Le découpage « d’une part (les images)/d’autre part (les mots) » montre les limites de la méthode d’analyse scolaire. Ça n’a évidemment aucun sens d’isoler les images du raisonnement général, puisqu’elle ne sont qu’un exemple de confirmation d’un parallèle historique, celui proposé entre la manifestation du 1er mai 2002 et celle du 11 janvier 2015, appuyé d’abord sur la réalité numérique, à savoir le nombre exceptionnel de manifestants réunis dans toute la France, qui situe ces deux événements tout en haut de l’échelle des mobilisations.

    C’est bien ce facteur, mis en exergue à juste titre par les commentaires de presse, qui alimente l’essentiel de mon raisonnement. Ce nombre est significatif, mais de quoi? Les JT et quotidiens de dimanche et lundi ont voulu y voir le signe d’une victoire sur le terrorisme. Le parallèle que je propose souligne au contraire la dimension de l’émotion dans la mobilisation, mais aussi le peu – ou l’absence – d’effet du précédent anti-FN, quoique cette manifestation ait été jugée en son temps tout à fait satisfaisante, par sa ferveur et son ampleur, du point de vue de ses participants.

    Il n’y a aucune « condescendance » de ma part pour les manifestants (je maintiens que, comme en 2002, une communauté uniquement formée par la désignation d’un ennemi entretien une définition négative et régressive de ses intérêts, c’est une question purement structurelle, pas une attaque personnelle), plutôt un avertissement: marcher, c’est bien, mais ça n’a jamais suffi. Ne nous contentons pas, comme en 2002, de l’effet de communion, étape bien sûr nécessaire, mais que les grands médias avaient trop tendance à considérer lundi comme la réponse suffisante à l’événement. Depuis, les analyses critiques se sont multipliées (http://www.regards.fr/web/article/penser-l-apres-janvier-2015), et la compréhension de l’attentat a en effet évolué, ce qui me rend moins pessimiste pour la suite.

  53. En effet André, ce qui peut nous rendre optimistes, c’est de voir le débat que ces événements ont soulevés, dans la presse, dans les écoles, au sein des familles. Nous n’avons jamais autant discuté ensemble autour de la table que depuis les attentats et surtout les manifestations du week-end dernier – auxquelles, fait également unique, nos enfants ont accepté de participer. Je ne sais pas ce qui sortira de ce vaste brain-storming que rien ne structure, aucune organisation, aucun pouvoir. Mais il n’aura pas eu lieu en vain. C’est un mouvement populaire au sens premier, c’est-à-dire à l’initiative du peuple. Il agite le peuple, il le travaille de l’intérieur, il l’oblige à se retourner sur ce que notre société est en train de devenir, sur les risques que nous encourons à accentuer nos réflexes individualistes et consuméristes. Qu’en sortira-t-il ? Encore une fois, nous n’en savons rien. Mais ça vaut le coup de s’y investir.

  54. lundi 19 janvier 2015

    Cher Monsieur Gunthert,

    Bien entendu, mon découpage (« quant aux mots / quant aux images») n’était qu’un clin d’œil (le poids… le choc…). Mais, c’est vrai, il n’y a guère de possibilité d’humour sans un minimum de connivence.

    Bref. Si je résume ce que j’ai compris de votre raisonnement général : les deux manifestations (celle du 11 janvier 2015 comme celle du 1er mai 2002) ont, toutes les deux, rassemblé un grand nombre de personnes, et cela dans une égale ferveur. Vous en concluez que les deux événements sont similaires. (Par ailleurs, vous voyez une confirmation – exemplaire – de votre parallèle – historique – entre les deux événements, dans le fait qu’ils ont, tous les deux, donné l’occasion de deux images mises « en Une », dont la seconde peut passer pour un ‘copier-coller’ de la première.) En conséquence, la première manifestation n’ayant pas même été le signe d’un « affaiblissement » du FN, la seconde ne peut pas être celui d’une « victoire sur le terrorisme ».
    Ce parallèle que vous faites doit être, pour vous, remarquable. Pour moi, il est insignifiant. Et nous pourrions en rester là…

    Mais, d’ailleurs, une « victoire sur le terrorisme »…, qu’est-ce que cela voudrait dire ?
    Un acte terroriste, c’est un certain usage de la violence, une variante de la lutte armée, de la guerre. De ce point de vue, seules les armes peuvent vaincre le terrorisme. Et ça, c’est l’affaire des services compétents. Cela ne pourra jamais être l’affaire des manifestants. (Ceux-ci peuvent seulement, incidemment, encourager ces services…) Mais, d’autre part, ce ne sont jamais ces services-là (l’armée ou la police) qui vont être affrontés dans l’acte terroriste ! (Sinon « symboliquement » : c’est un agent de police, occupé à régler un problème de circulation, à qui on tire dans le dos…) Ce qui doit être atteint, par l’acte terroriste, ce sont des gens désarmés (des journalistes en réunion, des clients d’un magasin…). L’objectif n’est pas militaire (anéantir une brigade, couler un navire, etc.) mais politique : « terroriser » une population, provoquer la peur des uns, la haine des autres, etc. Excusez-moi… mais, d’entendre que ce rassemblement n’est pas une « victoire sur le terrorisme » m’oblige à cet enfonçage de portes ouvertes !
    Les personnes présentes à ce rassemblement (dans lequel j’ai compté, personnellement, pour un quart de millionième…) n’étaient pas là pour vaincre militairement qui que ce soit, bien sûr. Ils y avaient parmi eux assez d’intelligence, je crois, pour qu’ils ne pensent pas que leur réunion allait éradiquer ce terrorisme-là, et encore moins ses raisons ! Mais, les personnes présentes à ce rassemblement (dans lequel j’ai compté, personnellement, pour un quart de millionième…), j’ai vu – et elles étaient là, justement, pour le « manifester » ainsi – j’ai vu qu’elles étaient sans peur, et sans haine. Et, rien que pour cela, leur réunion a été une victoire (sur le terrorisme, oui).

    Autre démonstration possible : imaginons que, ce fameux dimanche, seuls deux pelés et trois tondus se soient retrouvés à manifester, et en plus sans vigueur, sans « émotion »… Cela aurait été une défaite pour qui ?

    Autre point, qui revient, justement, avec insistance, ici, et ailleurs : l’émotion. La « dimension de l’émotion »… C’est étonnant, cette insistance, dans la mesure où elle semble vouloir suggérer que, 1) les manifestants, étant émus, ne réfléchissent plus, et que, 2) l’émotion est… pas grand-chose.

    1) Il y a, je crois, ici-même, dans ces échanges abrités par votre blog, déjà assez de démonstrations de capacité à réfléchir, à raisonner, posément – ou pesamment -, autant de la part de ceux qui ont choisi d’y être que de la part de ceux qui ont fait le choix contraire. Vous nous « avertissez » que « marcher c’est bien mais ça n’a jamais suffi » … Ah, mais, sans condescendance !
    2) Et l’émotion ? Oui, sans doute peut-elle être, parfois, le symptôme d’une pathologie ? Mais nous n’en sommes pas là, n’est-ce pas.
    Non, l’émotion n’est pas par elle-même l’ennemi de la pensée. Elle est, si elle doit être, « à côté » de la pensée – et, si la pensée exige d’être actualisée, c’est elle, l’émotion, qui nous met en mouvement. Sans trop solliciter l’étymologie, oui : l’émotion est le moteur. Parfois exhibé, mais d’autres fois souterrain, subtil… ce n’est que lui qui produit l’énergie nécessaire quand il faut que la pensée soit « réalisée » – par un passage à l’acte.

    Mais tout cela est sans doute inutilement polémique…
    Je veux finir par ce qui est, je crois, le cœur de votre pensée (mais la pensée a-t-elle un cœur ?) : « … une communauté uniquement formée par la désignation d’un ennemi entretient une définition négative et régressive de ses intérêts … ».
    Je suis absolument d’accord avec vous. Je peux reprendre à mon compte, mot pour mot, votre formulation. Là où je ne suis pas d’accord, vous vous en doutez, c’est quand, – au vu de quoi, et depuis où, je ne sais pas trop, finalement – vous avez vu, vous, dans l’ensemble des présents à ce rassemblement du 11 janvier 2015, une telle communauté (régressive, etc.).

    Que la communauté des présents à ce rassemblement y ait trouvé l’occasion de s’affirmer en s’exprimant « contre », contre ceux qui prétendent la nier par la violence, je ne vois pas en quoi c’est la marque d’une régression. C’est celle d’un besoin d’affirmation minimum.
    Moi, ce que j’y ai vu (depuis mon petit quart de millionième de présence…), c’était une communauté essentiellement formée, d’abord, par une même volonté positive : faire valoir, pour elle, la nécessité d’une liberté essentielle.

    Bien cordialement,
    Patrick Guillot

    Ps : Peut-être, pour tenter de penser l’événement, pourrait-on passer maintenant à d’autres thèmes ?
    Par exemple, les tenants et les aboutissants, si l’on peut les discerner, de ce qu’il est convenu d’appeler « l’islamisme radical » ?
    Ou bien : la position, vis-à-vis de la liberté d’expression, de « la nôtre » – de religion dominante : le catholicisme ?
    Ou bien…

  55. @Patrick Guillot: « Seules les armes peuvent vaincre le terrorisme ». Nous sommes ici en profond désaccord. C’est précisément tout l’inverse: les armes seules ne vaincront jamais le terrorisme (ni rien d’autre, d’ailleurs). Je vous rejoins en revanche dans le constat que, lorsqu’on se croit confronté à l’impuissance, il ne reste qu’à produire des symboles.

    Il y a pourtant bien des moyens d’agir contre le terrorisme, et pas seulement par la violence. Pour ne prendre qu’un seul exemple: si le conflit israélo-palestinien était réglé (ce qui ne pourra se faire que par la voie diplomatique), ne pensez vous pas que cela retirerait une part considérable de l’attrait de la filière djihadiste?

    Comme son titre l’indique, ce blog est spécialisé dans l’étude des images. Je reviens donc à une intervention plus dans mes cordes avec le billet: “Les images “iconiques” du 11 janvier, un monument involontaire?

  56. @André Gunthert : « De ce point de vue ». J’avais écrit (posément) « de ce point de vue  » – juste pour dire que seule la violence peut contrer la violence – mais sans doute ma précaution oratoire était-elle trop discrète ?
    (« Un acte terroriste, c’est un certain usage de la violence, […]. De ce point de vue, seules les armes peuvent vaincre le terrorisme »)

    Mais je vois que nous pouvons nous retrouver : dans la mesure où l’acte terroriste est (aussi) symbolique, on peut (et on doit) y répondre par l’acte symbolique. Et le rassemblement est une telle réponse. Et le rassemblement du 11 janvier était, de ce point de vue, une victoire (mais ce n’est qu’une opinion…)
    Bien sûr, un des moyens pour contrer la violence peut être de retirer aux violents leurs raisons de l’être, violents. Certes…

    Quelle est la part du conflit entre Israël et Palestine, dans les raisons de l’attrait exercé par le « Jihad » ? Je ne suis pas compétent sur cette question.
    Et ce n’est pas du tout dans mes cordes, de distinguer les possibilités d’un règlement purement diplomatique de ce conflit. (Pour tout dire, mon opinion est qu’un conflit violent ne se règle diplomatiquement que lorsque les deux parties se retrouvent – plus ou moins – à égalité, militairement parlant, et également sans espoir de l’emporter ainsi définitivement. Et la question serait alors : Israéliens et Palestiniens sont-ils à égalité – de ce point de vue ? Mais tout cela n’est qu’une opinion, n’est-ce pas, donc tout à fait sans importance, au regard de cet état de fait.)

    Oui, j’ai déjà ouvert, et lu, du côté du « monument involontaire ».
    Tout à fait intéressant. Nous nous retrouverons sans doute de ce côté-là…

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