Faire sourire Rimbaud?

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L’animation, c’est la vie. C’est sur la base de ce présupposé simpliste qu’une entreprise israélienne d’exploitation de l’histoire familiale, MyHeritage, spécialisée dans la généalogie et la commercialisation de tests ADN, fait la promotion d’une application en ligne permettant d’animer un portrait.

L’opération est simple et rapide: à partir du téléchargement d’une image, une IA retouche, recadre et applique en quelques secondes un schème d’animation présélectionné. Le visage roule des yeux, cligne des paupières, esquisse un sourire… Sur les réseaux sociaux, Abraham Lincoln, Oscar Wilde, Napoléon, Rimbaud ou Mona Lisa se voient pareillement affectés de la même minauderie robotisée.

Le succès rencontré par ces reconstitutions a submergé le web de clignements d’yeux romantiques. Adossée à la nostalgie, l’illusion créée par l’animation peut être bluffante. Mais l’application restitue-t-elle vraiment les apparences vivantes d’un individu? C’est ce que laissent croire les réactions d’usagers, émus de voir s’animer l’image figée d’un disparu ou d’un ancêtre qu’ils n’ont jamais connu.

L’illusion se dissipe dès qu’on teste les capacités de l’IA sur le portrait d’un proche dont on connait les expressions. La mise en mouvement stéréotypée des traits ne recrée jamais la gamme très personnelle qui fait précisément l’identité d’une physionomie. Mais la promotion de l’application, qui invite à l’utiliser sur des images anciennes, éloigne habilement cette confrontation.

Proches de l’aspect des deepfakes pornographiques, les résultats sont plus ou moins convaincants selon l’angle de prise de vue et la symétrie de la pose, et présentent souvent des déformations étranges. Le moindre écart, ou le port de lunettes, qui modifie la géométrie des traits, créent des zones affectées d’une vie propre, à l’aspect parfois monstrueux. Mais le principal défaut de l’animation est de générer des mouvements qui ne tiennent pas compte des structures osseuse et musculaire sous-jacentes, impossibles à extrapoler à partir des informations superficielles du portrait. La reconstitution des mimiques fait glisser les traits du visage comme un masque de peau sur un crâne lisse.

La seule chose dont on peut être sûr, c’est que Rimbaud n’a jamais souri de cette façon. Ce que propose MyHeritage, c’est de superposer au standard de la pose photographique une expression forcée. Le résultat en dit plus sur les conventions du portrait que sur les victimes de cette simulation.

11 réflexions au sujet de « Faire sourire Rimbaud? »

  1. Ne gâchons pas notre amusement à voir l’image de notre visage s’animer comme un mauvais miroir comique, comme un autre fantomatique. Avec, en image d’entrée, un portrait de face bouche fermée sans lunettes et tête nue, l’illusion est presque troublante. Avec un portrait quasi trois-quart affublé de lunettes, d’un chapeau et tout sourire, le grotesque monstrueux devient repoussant.
    Bien que cela soit clairement un produit marketing s’appuyant sur des conventions (ce n’est qu’une démonstration technique), cela laisse présager d’un développement de la mascarade visuelle (à bon ou mauvais escient) et, corollairement, de voir la confiance aux images paréidoliques se désagréger encore.
    À propos, que donne la figure du sieur Gunthert passée à la moulinette de MyHeritage?

  2. J’ai évidemment supprimé mes tests, ainsi que le compte automatiquement créé. Je ne conseille d’ailleurs pas d’essayer l’application, même par jeu, car MyHeritage a une politique de communication très envahissante, et conserve votre e-mail même après effacement du compte. On se souvient que cette entreprise avait été victime en 2018 d’une fuite de données de 92 millions de ses clients.

  3. Cette technique transforme les photos de vos proches, de ceux que vous aimez ou de vos ennemis, en cadavres animes… Pauvre Rimbaud. Il ne merite pas ca. Personne ne merite ca. Heureux ceux qui se sont faits rares, ont reussi a ne pas inonder facebook et le net de leur portrait!!! Lisons Levinas et Finkielkraut. Le visage… Regardons les visages, ceux que nous aimons, toujours en devenir, jamais pareils, regardons aussi ceux des musees, arretons de les prendre en photo!

  4. Bonjour André,
    rien à voir mais n’étant pas sur Twitter, juste un petit mot à propos de l’émission de France Culture, qui m’a semblée plus intéressante que d’habitude (je passe sur Erner se faisant rembarrer par François Héran, bon dieu que ça fait du bien !). En effet, enfin un point de simple bon sens a enfin été soulevé alors que je n’y croyais plus: tout le monde (y compris les charlistes) aurait dû se demander pourquoi le dessin (obscène je crois que personne ne peut nier ce caractère) de Coco avait été montré à des pré-ados pour illustrer la « liberté d’expression ». Parce que bon, si on va par là, le grand procès de la liberté d’expression, c’est quand même celui du magazine Hustler. Est-ce qu’on présenterait ce magazine à des gosses de 13 ans, ou, tant qu’à faire, puisque c’est une autre affaire d’intolérance de la part de « bigots », les fameuses photos de bites de Mapplethorpe ? Ou bien encore, allons-y gaiment, les concerts de Genesis O Porridge à la grande époque ? (Sans compter que dans ces deux derniers cas, il n’y a pas d’homophobie comme dans le cas qui nous occupe). Alors, évidemment, on me dira que les gamins voient des images autrement plus obscènes sur internet. Certes, mais elles ne sont pas étudiées à l’école… (contrairement à ce que prétendaient les abrutis qui militaient contre les abécédaires…)
    À aucune époque Charlie n’a été un journal pour enfants, et pourtant ce point n’est jamais souligné, à ma connaissance, dans le fameux « débat public » alors que quand même, quoi… Les gens deviennent complètement dingues en France, vu de l’étranger, ça ne fait plus aucun doute. Y’a-t-il un autre pays où des gens « de gauche » nient avec autant d’énergie l’existence même d’un racisme systémique ? M’enfin, mais non, d’ailleurs au moins, dans la plupart des pays qui connaissent cette situation, les tenants de cet ordre s’en vantent, donc au moins on sait où on est (qui, en Amérique latine, oserait prétendre qu’il n’y a pas de racisme et d’antisémitisme ? Mais jamais ça n’arrive, jamais ! Et pourtant les Constitutions et codes civils sont calqués sur le modèle français). Je préfère franchement avoir affaire à des trumpistes, des suprémacistes et whitexicans qu’à des Laurents Bouvet… (On a eu droit à Michel Franco, idole de Bégaudeau, qui nous a expliqué que « whitexican » c’était du racisme inversé. Son film, Nuevo Orden, niveau racisme, c’est carabiné : récompensé à Venise).
    Besitos de México (et merci d’être là)

  5. @Cecilia: Dérogeant à mon hostilité coutumière pour les hors-sujets, je vous remercie pour cet excursus à propos d’une conversation en effet remarquable (à laquelle participait également Bruno-Nassim Aboudrar). On retrouvera ici l’émission de ce matin:
    https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/liberte-dexpression-liberte-denseigner-le-casse-tete-des-professeurs-avec-francois-heran-et-bruno

    La caricature de Coco (qui va succéder à Willem à Libération) était non seulement obscène, mais aussi homophobe et raciste (la représentation des musulmans en position de prière, où celle-ci est assimilée à une position sexuelle, est en effet un grand classique de la caricature islamophobe). Ces éléments ont été totalement effacés par la lecture « civique » de l’image (https://dessinezcreezliberte.com/fiches-decryptage/religioncaricaturedemahomet/#1593391785832-cf727cb8-967a). De façon plus générale, c’est tout l’héritage de la caricature – imagerie de remise en cause comique, mais aussi violente et outrageante — qui est nié par cette instrumentalisation du genre au profit de la morale républicaine.

  6. @André Gunthert
    Évidemment que ce dessin est raciste et homophobe, ça crève les yeux, raison pour laquelle je n’ai que vaguement évoqué le sujet.
    Mais en l’occurrence, ce qui pose question, c’est son obscénité, parce qu’il est montré à la fameuse « École de la République », à des gamins. Et, ce n’est que mon avis, c’est peut-être cette obscénité qui a déclenché le « buzz » parmi les gosses. Peut-être que sans cet aspect-là, la gamine n’aurait pas menti, etc, etc. Bref, je veux juste dire que ce genre de dessins (et dans la bibliothèque de mes parents – on a à peu près le même âge vous et moi, il y en avait des carabinés, des Hara-Kiri, des bouquins d’Anaïs Nin avec le mec qui viole une nana pendant qu’on décapite un autre mec, etc., etc.), ne sont pas du « matériel pédagogique » destiné à des mômes de 12-13 ans. C’est heureux qu’en fin quelqu’un l’ait dit : Charlie Hebdo n’est pas un journal pour enfants. Et ne l’a jamais été.
    Car je ne me fais aucune illusion, les dessins homophobes et racistes, ça passe sans problème. Ce qui est bizarre dans cette affaire, c’est que quelque chose d’aussi obscène (porno) ait pu servir de « matériel pédagogique ». Depuis le début, ça m’a laissée pantoise.

  7. Sinon, pour rester dans votre sujet, je dois dire qu’ayant « perdu » (quelle négligence de ma part, n’est-ce pas ? Non, on me l’a assassiné !) l’amour de ma vie , j’aurais été tentée de tester pour le voir bouger à nouveau, mais en fait, mon cerveau fait ça très bien tout seul, surtout la nuit.

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