De métaphore à tout faire au statut de signature littérale d’une époque: l’histoire du mème «This is Fine», emprunté à une bande dessinée de KC Green de 2013, est celle d’une image rattrapée par une réalité oppressante. Le récit initial décrit l’attitude paradoxale d’un chien attablé devant son mug, souriant alors que les flammes envahissent la pièce. «Tout va bien», énonce le personnage aux yeux écarquillés, apparemment indifférent à la catastrophe.
Depuis l’Antiquité, l’incendie représente un des dangers les plus graves pour les collectivités humaines, par sa propagation irrépressible qui impose une mobilisation rapide. Efficace caricature du déni, le dessin emblématique de KC Green est rapidement réutilisé sous la forme d’un extrait isolant ses deux premières vignettes, comme un mème de réaction adaptable à n’importe quelle situation. Même s’il existe de nombreuses variantes, sa recontextualisation est d’abord caractérisée par une reprise ne varietur de l’image. Son usage comme critique d’une situation s’exprime plutôt par la légende, voire par la simple citation en conversation. Cette adaptabilité très large garantit son succès, attesté par sa déclinaison en mugs, t-shirts, et autres figurines. Une version animée proposée en 2016 par Adult Swim servira de matrice à la création de gifs animés, facilement mobilisables sur les réseaux sociaux.
Cette même année, KC Green explique que l’inspiration de son dessin est liée à la prise d’anti-dépresseurs, et publie une deuxième version du strip, intitulée «This is not fine», qui montre au contraire une prise de conscience du personnage. Dans l’intervalle, son usage se spécialise dans le domaine politique, pour dénoncer l’inaction des décideurs. Les hésitations du mandat de Donald Trump donnent de nombreuses occasions de réemploi. Epinglé en avril 2021 pour sa gestion hasardeuse du Covid par le dessinateur Allan Barte, Emmanuel Macron rejoint la galerie des dirigeants incapables de réagir au danger.
Dès 2017, en même temps que le récit climatique évolue, «This is fine» est associé à l’absence de réponse politique face au réchauffement. Lorsque Jacques Chirac évoquait en 2002, au sommet de Johannesbourg, l’urgence de l’action par la formule: «Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs», il s’agissait d’une métaphore. Mais avec la multiplication des mégafeux à partir de 2018, le dessin de KC Green devient chaque été une illustration littérale de la dégradation de la situation climatique. En août 2021, le designer Geoffrey Dorne imagine une fausse couverture «This is fine» au 6e rapport du GIEC, illustrant une nouvelle fois la faible reprise médiatique et politique de ses conclusions alarmantes. La propagation du mème témoigne du peu de confiance du public dans la capacité des dirigeants à passer à l’action.