Lors de son premier déplacement international en tant que président, Donald Trump a notamment rencontré le pape François au Vatican, le 24 mai 20171. Une photographie par Evan Vucci (AP) de cette audience a rapidement suscité des réactions moqueuses, sous la forme de commentaires ou de détournements d’images diffusés sur Twitter.
Outre le contraste entre le blanc de la soutane papale et le noir protocolaire des tenues des invités, l’opposition entre le sourire du président américain et les mines sombres des autres protagonistes a particulièrement inspiré les internautes. Souligné par divers montages témoignant de l’habituelle bonne humeur papale, l’air chagrin du pontife semblait fournir la preuve de l’universel désagrément provoqué par le nouveau locataire de la Maison-Blanche.
Ce buzz confirme également, jusque dans les méthodes comparatives utilisées, la sensibilité du plus grand nombre à l’expressivité faciale – ce qui n’a rien de surprenant, puisqu’il s’agit d’une compétence sociale élémentaire. Que cette ressource soit abondamment utilisée dans le paysage de l’information visuelle, et qu’elle l’ait été depuis les temps les plus reculés pour orienter la lecture des images, paraît tout aussi banal.
Ce constat comporte pourtant un enseignement essentiel. Face aux ambiguïtés de l’iconographie et à l’absence de formation à l’image, les professionnels recourent depuis bien longtemps aux codes sociaux existants plutôt qu’à un savoir spécifique pour faciliter l’interprétation des documents visuels.
Cette réponse pragmatique, qui contredit tous les projets d’éducation à l’image, n’est pas une simple transposition des mécanismes cognitifs. Leur adaptation à l’espace médiatique forme une culture visuelle autonome, fruit d’une longue élaboration.
Ainsi, la visite papale constitue-t-elle une épreuve protocolaire récurrente, à la scénographie stable, qui s’impose traditionnellement aux chefs d’Etat et suggère la mise en série. Parmi les images de la rencontre, si la sélection éditoriale retient une photographie qui comporte un écart visible, celui-ci attirera forcément l’attention. Comme de nombreux photoreporters, Evan Vucci est habile à capter les travers physionomiques, grimaces ou défauts ponctuels, qui étaient autrefois effacés par respect pour les acteurs de l’actualité, et qui sont désormais archivés à des fins narratives. Dans le contexte médiatique, l’air chagrin du pape est interprété, non comme une émotion passagère, mais comme un écho au récit de la prise de fonction tumultueuse du président américain, et devient ainsi une invitation à la manipulation et à la controverse.
- Stephanie Kirchgaessner, «Pope looks glum after Vatican meeting with Donald Trump», The Guardian, 25 mai 2017. [↩]
7 réflexions au sujet de « L’air chagrin du pontife »
Oui, le contraste est saisissant.
Une autre hypothèse : est-ce que la célèbre poignée de main du colosse Trump n’aurait pas écrasé et réduit en bouillie l’anneau papal, empêchant désormais sa Sainteté de lancer à l’avenir, depuis son balcon du Vatican, des saluts « urbi et orbi » ?
D’où l’air fortement déconfit du monsieur tout-blanc !
Je vous cite:
« Face aux ambiguïtés de l’iconographie et à l’absence de formation à l’image, les professionnels recourent depuis bien longtemps aux codes sociaux existants plutôt qu’à un savoir spécifique pour faciliter l’interprétation des documents visuels.
Cette réponse pragmatique, qui contredit tous les projets d’éducation à l’image, n’est pas une simple transposition des mécanismes cognitifs. Leur adaptation à l’espace médiatique forme une culture visuelle autonome, fruit d’une longue élaboration. »
Il me semble qu’il y a la beaucoup de matiere resumee en tres peu de mots… Bref, je pige que dalle!
Trump est un personage evidemment assez primaire, (il suffit de lire son paraphe dans le livre des visiteurs de Yad Vashem, mais de nombreux autres exemples sont deja disponibles… Il n’y a pas grand-chose « derriere » ce qu’il dit, ou alors, il n’a pas appris a y mettre les formes).
En revanche, la relation entre Trump et les media est fascinante, un peu comme deux ours affames qui tournent autour de l’autre et s’observent en gromelant, attendant le moment propice pour se devorer l’un l’autre.
Dans ce contexte, il est evident que « l’education a l’image » (des lecteurs) est remise a plus tard par les deux adversaires…
Mais cette situation dont nul ne peut nier qu’elle est fortement antagonistique, quelle que soit l’opinion personnelle qu’on a de Trump (ou des media) est beaucoup plus proche, de facto, de l’idee qu’on se fait a priori et traditionellement des media comme « contre-pouvoir », en tout cas cette situation est de fait beaucoup plus saine et beaucoup plus « democratique » (selon la conception traditionelle en occident de la democratie comme lieu de confrontation entre pouvoir et contre-pouvoirs) que la situation francaise, ou les media et Macron sont dans une lune de miel qui peut se comparer a celle d’Obama au lendemain de son election. Ils ne peuvent pas lui donner le prix Nobel, ca ferait repetition, mais on sent qu’ils sont a l’affut de toutes les opportunites de l’honorer comme ils en ont envie… Drole d’epoque!
@Laurent Fournier: La part manquante du raisonnement peut être restituée par la lecture du billet: « La communication visuelle, nouveau créole« . En résumé: les caractères de la narration visuelle, en particulier son absence de syntaxe, présentent un haut degré d’ambiguïté et de dépendance au contexte. Face à ces contraintes, les producteurs ont développé une réponse de l’hyperlisibilité des images (qui contredit accessoirement le projet d’éducation à l’image: les professionnels ont résolu depuis longtemps le dilemme de la non-formation à l’image par le développement d’une narration adaptée). Le recours aux codes sociaux existants plutôt qu’à un savoir spécifique de l’image fait partie de cette stratégie. Je développerai plus longuement cette thèse dans un article plus complet en juin.
Sinon, sur la visite papale, on peut lire le commentaire de Chris Cillizza: « The tale of Donald Trump’s visit with Pope Francis, in 2 pictures« .
Le point qui m’importe particulièrement dans le relevé ci-dessus sont les deux commentaires visuels qui procèdent par mise en série d’images, et apportent ainsi la preuve d’une interprétation vernaculaire de l’expressivité (une chose est de le dire, une autre de le démontrer).
Le commentaire de Cillizza dans CNN est bien.
Voice of America (VOA News) publie cette remarquable photo de Trump et ses camarades de l’OTAN:
http://fm.cnbc.com/applications/cnbc.com/resources/img/editorial/2017/05/26/104494867-RTX37MUF-DonaldTrump-NATO.jpg?v=1495811645
Tout le monde a l’air un peu bete ou a l’air de vouloir etre ailleurs, sauf Trump, qui lui est tres present mais il a l’air vraiment tres colere!
CNN, Voice of America… La relation entre Trump et les media americains est plus complexe qu’avec les media europeens, beaucoup plus previsibles. Et puis, ce commentaire intelligent dans CNN… Comme quoi faut pas etre sectaire, en cherchant bien on peut trouver matiere a reflexion dans des lieux surprenants.
L’air inquiet a cote de Monsieur et Madame Trudeau s’efforcant de sourire avec plus ou moins de conviction, l’air discretement peine a cote d’Obama carrement hilare… RT pousse dans le sens de CNN et VOA… Conjonction inattendue?
https://www.rt.com/viral/390179-miserable-pope-francis-trudeau/
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