Je fais mes débuts de chroniqueur spécialisé à Arrêt sur images (contenu réservé aux abonnés), où je prends la suite du dessinateur Alain Korkos. Centrée sur les questions d’image et de société, cette intervention bimensuelle en vidéo a pour objectif de vulgariser à l’intention d’un public large les problématiques du visuel et leurs effets sociaux.
Comme à mon habitude, je travaillerai surtout à partir de l’analyse de la réception et des données objectives de l’histoire visuelle, en évitant de proposer une évaluation qualitative, selon le processus de la Distinction qui définit habituellement l’approche critique des formes culturelles. Compte tenu des contraintes commerciales d’Arrêt sur images et de la nature de contenus originaux produits par le site, je ne reprendrai pas ces vidéos sur mon carnet de recherche, mais en proposerai le cas échéant une discussion ou un prolongement.
Pour ce premier épisode, j’ai retenu le démarrage en fanfare aux Etats-Unis du blockbuster Wonder Woman (Patty Jenkins, 2017), cas très intéressant qui révèle à la fois le décalage persistant entre les attentes du public et les propositions des producteurs culturels, mais aussi la réalité d’une négociation entre ces acteurs, qui s’effectue à travers les manifestations de la réception. Le succès de Wonder Woman modifie la donne en montrant qu’un “film de filles” peut être un produit industriel rentable. Il est à espérer que la leçon soit retenue par les producteurs.
Le point qui m’intéresse ici est la reconnaissance de la dimension symbolique de cette négociation. Ce qui différencie surtout cette production des précédents mettant en scène une “femme forte” comme héroïne principale, c’est le statut du film à grand spectacle comme point culminant de l’investissement industriel, et donc comme étalon symbolique à fort pouvoir normatif. Pour le dire vite, même si le caractère plus respectueux de la représentation de la femme constitue une avancée, ce film n’a évidemment rien d’un manifeste féministe. Ce qu’il atteste, c’est une modification de la présence des femmes à l’intérieur du monde du cinéma. Ce progrès abstrait est apparemment perçu comme un facteur positif participant de la réévaluation du féminin. Miroir du monde social, l’univers de la culture est un espace symbolique structuré par de puissants effets de hiérarchie, dont l’évolution est scrutée à la loupe par ses acteurs.
Dans le cadre très contraignant d’une chronique à la brièveté imposée, je me suis borné aux arguments les plus visibles, comme l’évolution marquée du costume de l’héroïne (une adaptation qui concerne d’ailleurs également les costumes masculins, témoignant de la recherche d’un plus grand réalisme sur le plan matériel, mais aussi d’une gravité nouvelle pour des héros qui s’éloignent de plus en plus de l’univers des “comics”) ou de son attitude corporelle. Au final, l’empreinte de ces effets d’apparence confirme l’importance de la dimension physique des super-héros – mais aussi le fait que ces personnages symboliques restent d’abord et avant tout des images.
- Lire également sur ce blog: “Jessica Jones, femme forte”, 08/03/2016.
5 réflexions au sujet de « Wonder Woman et l’image des femmes »
Apartheid Woman ? Mother Palestine ne lui dit pas <>…
Cf. l image en question sur le site de CAPJPO, aujourd’hui…
http://www.europalestine.com/spip.php?article13111
19 juin 2017
L’actrice de Wonder Woman, propagandiste de l’armée israélienne, persona non grata dans des pays arabes
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Le film “Wonder Woman”, sorti début juin, suscite la polémique dans le monde arabe, en raison du soutien affiché de son actrice Gal Gadot à l’armée israélienne, rapportent les agences de presse. Rien d’étonnant !
Cf. la suite du texte.
Quand la superficialité intéressée des producteurs d images – et de leurs analystes, fût-ce aux Hautes-Etudes ou à Arrêt sur Images – fait place, pour une fois, à la fort pertinente dénonciation imagée de la géopolitique, voire de la géostratégie <> à l actuel Empire, du conditionnement médiatique au moyen d une <> au sex appeal Wonder à la coercition militaire via des bombes un peu moins accortes, cette fois, puisqu au phosphore blanc, etc.
Impensable, inanalysable, in-imag-inable sur @sI ? Mais pourquoi donc … ?
Vous avez raison, « ce film ne constitue pas un manifeste féministe ». Je dirais même que c’est tout le contraire, car en reproduisant l’image d’une « “femme forte” comme vous le dites, il ne fait que copier le modèle masculin de la force comme étant synonyme de violence…
Par ailleurs, dans une certaine mesure, si l’on revient à une analyse du type « Adorno/Horkheimer », le film Wonder Woman ne constitue pas une véritable révolution dans la représentation de l’art puisqu’il reste fidèle à la fusion commerciale argent/violence même si dans ce cas, c’est une femme qui porte la machine.
Excellente analyse !
@Bug: Voir plutôt Numerama pour restituer à cette polémique sa juste dimension: http://www.numerama.com/politique/263396-wonder-woman-et-gal-gadot-reveillent-les-tensions-entre-israel-et-ses-voisins.html Il est intéressant de noter, comme le fait l’article, que le boycott du film n’a pas touché la franchise Fast & Furious (dans laquelle l’actrice Gal Gadot faisait ses débuts), confirmant la dimension symbolique particulière du personnage de Wonder Woman. Le film ne pouvant en aucune manière être considéré comme une œuvre anti-palestinienne ou anti-arabe, ce procès par amalgame est évidemment regrettable, comme toute censure politique d’œuvres culturelles.
@Djino: Merci! Toutefois, je me garderai bien de «revenir à une analyse du type Adorno/Horkheimer», qui est moins une analyse qu’une condamnation univoque, au nom de préjugés culturels paternalistes, remis en question par Bourdieu dans La Distinction. Non, certes, Wonder Woman ne constitue pas «une véritable révolution dans la représentation de l’art» – et tel n’est nullement l’enjeu de cette superproduction hollywoodienne. La réception positive de cette adaptation évoluée du personnage de Wonder Woman est à comprendre et à resituer dans le contexte de la culture populaire états-unienne et à la place particulière qui y est faite à l’imagerie des super-héros – symbole national qui fait office de support d’identification favori pour les jeunes générations. Dans ce contexte, ménager le public féminin en lui procurant un porte-drapeau un peu moins machiste est perçu comme une victoire (ce n’est pas moi qui le dit, mais la réception critique)…
Je viens de voir chez etam, une trousse /sac avec wonder woman d’un côté et un slogan « don’t worry girls will save the world ». Donc la question est:
est-ce que l’angle féministe ne serait pas un choix marketing?
Est-ce qu’analyser l’impact et y découvrir qu’il coïncide avec le choix marketing, ne devrait pas annuler toute interprétation des effets, surtout sur les jeunes générations qui s’imprègnent sans barrière, en jalon d’un fait sociétal?
La récupération du féminisme par le marketing, pourquoi? On sait que la récupération clôt un phénomène en lui enlevant son goût de scandale et témoigne d’une acceptation social et d’un compromis, celui d’enlever l’aspect « danger » du phénomène au risque d’y perdre ses caractéristiques, ses sources, (rap, rock, gay pride, etc). Oui la récupération est le témoin d’une évolution de la société.
Mais un féminisme réduit à pas grand chose qu’on récupère, n’est-ce pas une manière de faire taire la lutte féministe, celle dont la cause est juste? Le compromis est unilatéral!
« Wonder Woman » est un produit des industries culturelles qui, depuis l’origine, met en scène le « girl power » (plutôt que le féminisme). Il n’est donc pas étonnant d’en trouver des déclinaisons commerciales, et il ne me paraît pas juste de parler de « récupération par le marketing », comme dans le cas d’une expression non-commerciale.
Par ailleurs, je ne pense pas non plus que le marketing serait la fin d’un processus social. Je crois que les choses sont beaucoup plus diffuses et plus entremêlées. La réception du film WW montre qu’il y a des enjeux situés à des niveaux différents (notamment, dans ce cas, au niveau symbolique) – et qu’au final, aucun d’entre eux n’est négligeable. Le combat pour l’égalité des genres est encore très loin de sa conclusion – et le marché, qui n’est pas en dehors de la culture, mais qui y a sa part, est un outil parmi d’autres de la recomposition des hiérarchies sociales.
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